Quinzaine des Réalisateurs : le repère des auteurs

Fondée en 1968 par la SRF (la Société des Réalisateurs de Films), la Quinzaine des Réalisateurs est une section parallèle, indépendante, internationale et non compétitive du festival de Cannes. En 69, elle apparaît, sous le nom de « Cinéma en liberté ». Dès sa première édition, la manifestation s’intéresse aux jeunes et nouveaux cinéastes, aux preneurs de risques, aux audacieux, aux avant-gardistes, aux poètes, aux défenseurs d’un cinéma d’auteur indépendant et original. Des noms ? Rainer Werner Fassbinder, Nagisa Oshima, Werner Herzog, Werner Shroeter, Alain Tanner, Jim Jarmush, Spike Lee, Michael Haneke, Atom Egoyan, Martin Scorcese, Ken Loach, Youssef Chahine, les frères Dardenne, Hou Hsiao-Hsien, Naomi Kawase, Takeshi Kitano, …

Voilà pour les longs métrages. À la Quinzaine, les auteurs se repèrent également à travers la forme courte : Jean-Marc Moutout (« Tout doit disparaître »),  Fabienne Godet (« La tentation de l’innocence »), Eric Guidado (« Un petit air de fête »), Viencent Dieutre (« Entering indifférence »), Bouli Lanners (« Muno »), Johan Van Der Keuken (« Présent inachevé »), Bruno Podalydès (« Versailles Rive Gauche »), Axelle Ropert (« Etoile violette »), Apichatpong Weerasethakul (« Luminous People »), Pedro Costa (« Tarrafal »), Erick Zonca (« Rives »), Philippe Harel (« Une visite »), ….

À la différence des longs métrages sortis au cinéma et en DVD, les courts estampillés « Quinzaine » ne jouissent pas d’une visibilité extraordinaire, demeurant souvent cantonnés au circuit des festivals. Dans le passé, pourtant, certains films, pris individuellement, ont pu bénéficier d’éditions DVD, comme « Versailles Rive Gauche » édités avec d’autres inédits de Bruno Podalydès. En 2007 et 2008, un effet plus collectif a été imaginé, à l’initiative de l’éditeur Chalet Pointu : deux compilations de courts métrages sélectionnés par la section parallèle sont sorties en DVD. La première comprend sept films, la seconde, en inclut cinq, plus quatre bonus. En effet, la sélection 2008 comporte une subtilité et se présente comme un double DVD. Côté pile, la Quinzaine, côté face, Semaine de la Critique. De ces deux éditions, trois films se dégagent tout particulièrement.

Yom mota shel Shula (Le jour de la mort de Shula)

Présenté sur le DVD 2007, ce court israélien est le film de fin d’études de Asaf Korman, diplômé de l’école Minshar, à Tel-Aviv. Acteur, musicien, et monteur (il a notamment travaillé sur Jaffa de Keren Yedaya), ce jeune réalisateur a filmé les membres de sa famille, dans cette histoire inspirée de la réalité. Shula, le chien de la famille Korman, atteint d’une tumeur, doit être piqué. Le père, Yossi, transporte son corps dans le carton d’une télévision couleur, sur le toit de sa voiture, et rentre chez lui, pour l’enterrer dans les dunes. Il prévoit un pique-nique en famille pour les derniers adieux, mais ni sa femme ni ses enfants ne le rejoignent. Seul, il porte le cercueil de carton, et s’endort sur le sable. Lorsqu’il se réveille, il fait jour. Les pleurs le submergent. « Yom mota shel Shula » est un film prenant. Sa mise en abîme, son sens du cadre, son montage raffiné, son image sombre, sa pudeur, et la fragilité du père, celui du réalisateur, en font toute sa force.

Même pas mort

Autre titre de la sélection 2007, « Même pas mort » de la française Claudine Natkin, ancienne étudiante en image à La fémis, est un film sur l’enfance, les jeux dangereux, les premiers émois, le rapport à la féminité et la mort. Coupe courte, jeans, t-shirt unisexe : Chloé, forte tête, a dix ans et ne fréquente que les garçons. Les filles, elle n’aime pas ça : ça chiale tout le temps, ça allume les garçons, et pour ne rien arranger, ça joue mal au foot. Dans la forêt, Chloé a pour habitude de jouer à des jeux de strangulation, avec ses copains Ben et Léo, jusqu’au jour où Marie, une petite charmeuse, s’incruste dans leur groupe. Quand vient le tour de cette dernière, Chloé pose naturellement ses mains sur son cou.

Prix SACD à la Quinzaine, Mention spéciale pour Chloé Jager Berger, au Festival mondial du court métrage de Toronto en 2008, « Même pas mort » traite d’une pratique fort médiatisée ces dernières années, par le nombre de faits divers qui lui sont apparentés : le jeu du foulard, aussi appelé « le jeu des poumons », le « rêve bleu », « le jeu de  tomate », la « nuit merveilleuse », les « trente secondes de bonheur », Pour interpréter cette expérience d’apparence anodine, Claudine Natkin a fait appel à des enfants comédiens, non professionnels. Le joli visage, tour à tour butté, interrogateur, et inquiet, de Chloé Jager Berger, marque étrangement sa pellicule.

Sagan om den lille dockpojken (Le Conte du petit bonhomme)

Très différent des deux autres, « Sagan om den lille dockpojken » est, sans aucun doute, un film suédois. Présent sur le double DVD de 2008, ce film d’animation délirant se présente comme une ‘’histoire très longue et terriblement complexe’’, subdivisée en trois chapitres (“Rendez-vous avec une dame”, “Ivanhoé, “Une femme dans mon lit”). Son réalisateur, Johannes Nyholm, travaille depuis dix ans autour du personnage de Puppetboy, un petit bonhomme en short, particulièrement vilain. Dans « Le Conte du petit bonhomme », le personnage, partageant son appartement avec un petit joueur de flûte farceur, sue à grosses gouttes bleues, en prévision de la visite d’une copine rousse, bien en pâte à modeler. Alors que la version de Cannes comporte trois parties, celle d’Annecy intègre, cette année, en guise de bonus, un quatrième chapitre, “What a shame, Brian”, ne manquant pas de saveur. Si on se décidait enfin à se mettre au suédois, ce serait certainement pour l’humour du projet, ses voix, ses bruitages, et sa version télé inédite de « Ivanhoé » (1982).

Cette année, Johannes est revenu à la Quinzaine, sans Puppetboy. Son nouveau court « Drömmar från skogen » (Songes des bois), est un film bien différent, dans lequel des ombres chinoises évoluent dans une musique angoissante et un décor mystérieux. On est bien loin de « l’histoire très longue et terriblement complexe’’ de Puppetboy.

Katia Bayer

Quinzaine des Réalisateurs Cannes 2007; Double DVD Spécial Cannes 2008 : Quinzaine des réalisateurs /Semaine de la Critique. – Editions Chalet Pointu

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