Le Festival Premiers Plans d’Angers vu par Raoul Servais

Angers, un bon plan

Il y a de petits objets géniaux que l’on aurait aimé inventer, le post-it, l’entonnoir pliable. Il y a des titres que l’on aurait aimé imaginer, Les affinités électives, À l’ombre des jeunes filles en fleurs…Et puis des noms, des intitulés, des slogans politiques qui frappent, qui restent. Ainsi en est-il de Premiers Plans, le Festival d’Angers mettant à l’honneur chaque année au mois de février, les premières œuvres, longues, courtes ou moyennes.

Premiers Plans, titre à double sens : premiers plans tournés évidemment, mais aussi référence à l’expression « de premier plan », quelque chose d’important, qui fait l’objet de l’attention générale. Disparaît, avec ce  nom astucieux, le côté bancal et imparfait que l’on aurait été tenté d’accoler à un nom comme Festival du Premier Film. Après 21 ans d’existence, sa réputation n’est plus à faire, un nom devenu une référence.

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Cette année, outre une centaine de films en compétition, un jury prestigieux, des milliers de spectateurs, des rétrospectives et autres tables rondes, outre tout cela donc, un Président de Jury bien connu  pour la section animation : le réalisateur qu’on ne présente plus, Raoul Servais. Et qui mieux que le maître de l’animation belge qui a su hisser le format court au rang de chef-d’œuvre devenu depuis classiques, pour juger des courts métrages d’animation ? Petite balade lui et moi, escortés par le brouillard glacé de la Côte. Là-bas la mer, ici les yeux clairs du magicien d’Ostende… Nos voix qui se perdent.

Au programme des courts d’animation cette année, 24 films venus de toute l’Europe et trois personnes pour en juger, le plasticien et scénographe français Emmanuel Morin, le  fondateur et directeur de la boîte de production Caméra Enfants Admis, Jean-Luc Slock, et bien sûr Raoul Servais, Président du Jury. Un Jury qui a décerné le grand prix à « La Peste » de Benoît Galland, Gildas LeFranc, Olivier Du bocage et Michal Firkowski. « Les quatre réalisateurs qui ont fait ce film viennent de l’école Supinfocom de Valenciennes. Ce n’est pas pour l’originalité de l’histoire que nous avons décidé de remettre le prix à ce film, mais bien pour son atmosphère et la technique qui nous ont vraiment séduits. C’est un film d’une grande qualité graphique et qui possède une ambiance très particulière. Ce film, qui dure à peine 5 minutes, met en scène des personnages, qui, pour ne pas être touchés par l’épidémie portent des masques avec de longs museaux. On retrouve déjà ça d’ailleurs dans des gravures du XVIIIème siècle : un masque en forme de bec avec deux trous à l’endroit des yeux.  Cela donne aux personnages un aspect totalement monstrueux. Ces gens habillés de noir avec ces masques horribles qui circulent dans les rues, c’est très impressionnant ».

Une description et une atmosphère qui rappellent inévitablement les horribles personnages  masqués d’ « Opération X 70 » que Raoul Servais avait créés en 1971. « C’était vraiment mon coup de cœur, c’est vrai, mais c’était aussi celui des autres membres du Jury… Le film a vraiment fait l’unanimité comme je l’ai annoncé lors de la remise du prix. Il se démarquait des autres, même si nous avons vu des choses extrêmement intéressantes. »

24 films d’animation en compétition, et un seul prix à remettre, voilà de quoi frustrer un jury. Une limitation due aux nombreuses sections récompensées (en tout 23 prix pour  5 sections) dont les plus gros reviennent, comme toujours, à la fiction et aux formats longs. « Ce n’est pas évident en effet de ne choisir qu’un film ! J’ai quand même demandé s’il était possible de remettre des mentions spéciales. Il ne s’agit pas d’un prix, mais une mention a le mérite de mettre d’autres films en valeur. C’est une sorte d’encouragement. Nous avons donc décidé de donner deux Mentions Spéciales à des films qui étaient quand même remarquables, « La Vita Nuova »  de Christophe Gautry et Arnaud Demuynck et « Orgesticulanismus » de Mathieu Labaye. »

Deux films belges donc dont « Orgesticulanismus » qui avait déjà, au mois de novembre, séduit le jury du festival namurois Média 10-10 en remportant le Meilleur Court Métrage d’Animation et le Prix de la Presse ! Une preuve supplémentaire du talent des animateurs du plat pays ou une solidarité pour la production nationale ? « Quand je regarde un film, je ne fais pas attention à sa provenance. Je le regarde pour ce qu’il est, ce qu’il me donne à voir.  Il se trouve que le Jury a décidé de donner ces deux mentions à ces deux films-là parce qu’ils le méritaient vraiment. »

Mais un festival, ce n’est pas seulement des prix et des films, c’est aussi une ambiance. Des festivals, Raoul Servais en a fréquenté des centaines dans le monde entier après 50 ans de carrière. « À Angers, Je n’ai qu’une vue partielle évidemment car je n’ai malheureusement pas pu assister aux séances des autres sections. Ce que j’ai pu voir, c’est qu’il y règne une atmosphère très particulière, sans doute due à la jeunesse du public. Ce festival attire beaucoup de gens, mais surtout des jeunes, la plupart étudiants bien sûr. C’est un festival extrêmement vivant qui facilite les rencontres. L’ambiance bonne enfant me rappelle un peu celle du Festival de Gand qui est aussi un événement qui attire de nombreux étudiants. D’ailleurs, la marraine du festival Premiers Plans d’Angers, Jeanne Moreau, m’avait confié, il y a quelques années, que c’était là les deux festivals qu’elle portait vraiment dans son cœur. »

Un jeune public en demande de nouvelles propositions allant à la rencontre de cinéastes d’une même génération. Voilà une des grandes particularités du Festival d’Angers. « En animation, mais c’est peut-être le cas pour d’autres sections, on sent véritablement une envie d’exploiter de manière inventive les nouvelles technologies. Les jeunes réalisateurs extirpent tout ce qui est possible et imaginable de l’image digitale.  J’ai vu des choses vraiment extraordinaires ».

Autre constat. Ce n’est pas évident, lorsqu’on n’a pas encore un nom, de réunir le budget nécessaire à la réalisation d’un film. Une difficulté plus évidente encore lorsqu’il s’agit de courts métrages d’animation qui n’ont que rarement la chance d’être vus hors des festivals. « La plupart des films en compétition à Angers étaient des films de fin d’études. Il est tellement difficile, lorsqu’on sort du circuit scolaire, de faire un film d’auteur. Les moyens sont extrêmement limités, les aides à la production presque inexistantes car le long métrage et les séries télévisées raflent tout. Du coup, la quasi totalité des courts métrages d’animation qui sont réalisés le sont grâce aux écoles. Pour la plupart des films que j’ai pu voir, on sent qu’il s’agit d’un premier film. Il y a un potentiel, mais pas ce n’est pas encore tout à fait abouti : il manque un peu d’expérience, de maturité. Pourtant, pour quelques-uns, on peut dire que tout est déjà là, et ça c’est vraiment quelque chose d’extraordinaire. »

Sarah Pialeprat

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