Pardi di Domani, retour sur les films primés de la compétition internationale de Locarno

Le festival de Locarno s’est achevé ce week-end. Du côté du Concorso Internazionale, deux films ont été primés du Léopardo d’or et de celui d’argent : Hyena, un film d’Altay Ulan Yang mettant en scène un internat angoissant en Chine et Still Playing de Mohamed Mesbah, le portrait d’un père de famille palestinien en Cisjordanie occupée. Ces deux films ont pour désir de confronter le spectateur aux travers sombres d’une humanité fragile. Avec peur, angoisse ou encore haine, ces deux réalisateurs cherchent à faire réfléchir sur la violence des humains.

Dans une esthétique noire et blanche, proche du gothique, avec ses éclairages clair-obscur et un château isolé, Hyena dresse le tableau d’une école d’art extrêmement sélective en Chine. L’isolement géographique, la solitude du lieu presque fantomatique accentue l’idée d’isolement des jeunes garçons, évoluant dans un lieu mystérieux avec des allées de statues de marbre. Censées représenter l’art classique européen que ces jeunes garçons viennent étudier, ces statues reflètent les états émotionnels des élèves. Le film appuie sur la notion de groupe et plus particulièrement de la violence qui peut se créer et accroître au sein d’un groupe donné. Les statues s’écroulent, se brisent au fur et à mesure que la raison perd pied et que le chaos prend place dans un ordre hiérarchique cruel, constitué d’élèves bourreaux et d’un harcelé. Le personnage principal est la première victime de ce système. Or, un nouvel élève vient bousculer l’ordre établi. Mis à l’écart visuellement de par sa chevelure blonde presque blanche, son arrivée est l’élément perturbateur de ce récit. Plus qu’un personnage, il représente quelque chose : l’excellence, la jalousie, le sujet d’une colère graduée. Il est une cible, celui du groupe. Ils sont en nombre, il est seul, il y a un leader et une victime. Tel un mouvement de foule, la haine grandit au sein du groupe et se propage. Les attaques deviennent de plus en plus violentes, l’humiliation initiale laisse place à l’agression.

Dans cette agitation, le personnage principal prend part au groupe. Car au contact de la masse, l’harcelé devient harceleur. Le caractère fédérateur du groupe est aussi celui qui permet la propagation d’idées, d’émotions, de mouvement. Le personnage, dans un désir d’appartenance finit par transférer sa rage non pas envers ses bourreaux mais sur la nouvelle cible du groupe. La lumière crue qui baigne le film d’un clair-obscur tel un tableau baroque, accentue la cruauté, la lâcheté et la contradiction du personnage principal. Il se perd dans une violence sourde. Mis en exergue par la mise en scène, la cruauté de ces étudiants est contée tel un cauchemar, une histoire lointaine à la fois et nette et surréelle. Le récit se confond dans la brume d’une légende, d’une mise en garde sur la haine qui se meut au creux des êtres.

Still playing, deuxième film récompensé, cette fois-ci du Léopard d’agent, nous parle du quotidien d’un père concepteur de jeux vidéo en Cisjordanie. Dès la scène d’introduction, le contexte d’une réalité brutale nous est présenté. Celle de la présence d’Israël sur ce territoire, des attaques. Rasheed n’est même plus surpris. Il demande au cameraman si c’est sa première fois, celle d’être témoin d’une attaque israélienne ou de leur irruption dans un village. Il en rigole même, d’un rire désabusé face à l’incrédulité de la banalité qu’est devenu cette situation. Rasheed ajoute qu’ils ne savent pas si il y a eu des blessés, que l’évènement n’est pas terminé. Le réalisateur lui demande si ses enfants viennent ici, dans cette zone, ce soir-là attaquée. Dès les premiers instants, son rôle de père est énoncé. Ses enfants voulaient venir dans ce quartier, il leur a dit se ne pas le faire. Ce soir, il y a la violence, il y a la peur. Ce soir-là est ordinaire, et pourtant, est d’un danger déconcertant. Ses enfants n’auraient pas été en sécurité. Rasheed conçoit des jeux vidéo sur ce sujet précis. Sur des parents qui ne parviennent pas à protéger leurs enfants. Le film partage les « gameplays » (des images de personnes qui se filment en train de jouer à des jeux vidéo) du projet de Rasheed « Liyla & The shadows of war ». Des joueurs du monde entier découvrent un monde en ruine dans lequel un personnage tente de sauver sa famille des bombardements. La poésie des ombres du jeu ne cache en rien le drame dont sont témoins les joueurs. Malgré tous les efforts du personnage, le joueur finit par perdre sa femme et sa fille. Avec son travail, Rasheed tente d’éveiller les consciences sur ces drames. Il partage son expérience de la guerre, cette violence en hors-champs du film, omniprésente. Celle qui vient ternir le quotidien de Rasheed et de ses enfants, plein d’ambition alors qu’ils tentent de remporter un concours de robotique. Leur père prend soin d’eux, les aime. Ils s’entrainent ensemble pour le concours, vivent une vie de famille qui semble « ordinaire ». Néanmoins, comme le rappelle le jeu de Rasheed tel un fil rouge dans le film, la guerre, la violence, la douleur dont bien là. Rasheed dit au réalisateur qu’il n’est pas possible de vivre une vie normale ici. Et quand ce dernier lui demande à quoi ressemble une vie normale, Rasheed répond, à lui qui vient de l’extérieur : « Je ne sais pas […] qu’est ce qu’une vie normale? S’il te plaît, dis-le moi. ».

Ces deux films forts viennent clôturer dix jours de festival, de films et de compétitions. Un échantillon saisissant qui témoigne de la violence contemporaine.

Garance Alegria

Retrouvez prochainement l’interview d’Altay Ulan Yang

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