Les courts au Champs-Élysées Film Festival

Le rideau est tombé sur l’édition 2025 du Festival du cinéma des Champs-Élysées, qui s’est tenue cette année dans une ambiance à la fois festive et engagée. Du glamour des avant-premières aux débats houleux autour du cinéma indépendant, l’événement a une fois de plus transformé la plus célèbre avenue de Paris en un lieu de choix pour le 7ᵉ art. Entre découvertes prometteuses, hommages appuyés aux figures du cinéma mondial et prise de parole des jeunes talents, cette édition a su conjuguer tradition et renouveau. Retour sur les révélations portées par les choix du jury et du public, cette année encore de très belles découvertes cinématographiques.

Au bain des dames de Margaux Fournier (Prix du Jury Découverte, Meilleur Moyen Métrage ex æquo)

Dans Au bain des dames, Margaux Fournier signe un premier court métrage solaire et plein d’entrain, dont la forme souple et fluide captive dès les premières minutes. Adoptant une approche hybride, à mi-chemin entre le documentaire et la fiction, la réalisatrice nous emmène sur une plage marseillaise, en compagnie de quatre septuagénaires, le temps d’un après-midi. Habituées des lieux – qu’elles fréquentent pour certaines depuis plus de quarante ans – ces quatre femmes, pétillantes et pleines de verve, sont ici chez elles, dans leur royaume informel et solaire.

Le corps des femmes, et plus précisément celui des femmes âgées, est placé au centre du récit. Un tag griffonné sur un mur – « Soutif obligatoire les vieilles » – illustre l’âgisme ordinaire et la violence sociale imposée au corps féminin vieillissant. En réponse à cette injonction normative, les quatre amies tombent la chemise, et le soutien-gorge avec. Ce geste, aussi simple que radical, incarne une forme de résistance joyeuse : une réappropriation de leurs corps, trop souvent relégués à l’invisibilité ou au mépris.

La caméra de Margaux Fournier filme ces corps avec une tendresse rare, loin des clichés de la « beauté fanée ». Peaux bronzées, rides, tâches de vieillesse : chaque marque du temps devient ici un motif de récit. Leurs corps racontent Marseille, le soleil, les étés passés, mais aussi la liberté conquise avec les années. La sensualité du regard porté par la réalisatrice transforme ces femmes en véritables sirènes méditerranéennes, éprises de leur autonomie et de leur puissance retrouvée.

Le court métrage explore aussi les paradoxes de la vieillesse avec une grande finesse. Les discussions oscillent entre la nostalgie d’une jeunesse révolue – avec les avantages sociaux et symboliques qu’elle confère aux jeunes femmes – et le soulagement d’être désormais libérées des injonctions de performance et de dévotion au genre masculin. D’ailleurs, les hommes sont quasiment absents : relégués au rang de souvenirs, ou tenus au bout du fil, ils ne sont présents que comme figures secondaires, à la marge d’une sororité affirmée.

Mais cette absence n’exclut pas le désir. Ces femmes continuent de draguer, de séduire, avec légèreté et humour. Elles refusent de se voir dépossédées de leur sexualité, et rappellent ainsi que le désir féminin ne s’éteint pas avec l’âge – une idée encore trop souvent taboue à l’écran.

Ce qui marque surtout, c’est l’humour de ces femmes, leur vitalité communicative et leur appétit de vivre. Elles incarnent un esprit méditerranéen souvent accaparé par les figures masculines : gouaille, chaleur, culot, liberté de ton. Ici, ce sont elles qui parlent, qui rient, qui séduisent, qui occupent l’espace.

La mer, d’abord simple toile de fond, devient peu à peu un personnage à part entière. La caméra, parfois granuleuse, embrasse les matières – sable, sel, peau – pour mieux nous immerger dans cette ambiance de plage. Le bruit constant des vagues rythme le film comme une respiration, créant un environnement sensoriel fort qui ancre le récit dans une forme de réalité charnelle et palpable.
Avec Au bain des dames, Margaux Fournier propose bien plus qu’un portrait attendri de femmes âgées : elle signe un manifeste poétique et politique pour un âge libre, joyeux et indiscipliné. Un hommage à la mer, aux corps, à la parole féminine – et à la vie, tout simplement.

Ne réveillez pas l’enfant qui dort, de Kevin Aubert (Prix du Jury Découverte, Meilleur Moyen Métrage ex æquo et Prix du public, moyen métrage)

Avec Ne réveillez pas l’enfant qui dort, Kevin Aubert, scénariste et réalisateur camerounais, signe un premier long-métrage aussi troublant que maîtrisé. Le film, à mi-chemin entre le drame psychologique et le thriller onirique, explore la question de la résistance face au mariage forcé et les mécanismes du corps pour se protéger d’un destin trop violent. L’intrigue suit une jeune fille que l’on dit promise au mariage mais qui semble refuser son destin et préfère aller au cinéma et voir la vie avec des yeux d’enfants. Un jour, son entourage ne parvient plus à la réveiller. Dormir pour ne pas subir une vie imposée.

Kevin Aubert, dont le parcours passe par le court-métrage et le théâtre, impose ici un style personnel : mise en scène sobre, tension feutrée, et un travail sonore remarquable. Sa caméra se déplace avec lenteur et sensibilité pour servir un propos intime sur le déni, le silence familial, et la nécessité d’écouter la parole des enfants.

Sans effet spectaculaire, mais avec une rigueur impressionnante, Kevin Aubert livre un film poignant sur le poids du non-dit, où chaque silence, ou sommeil, est un cri retenu. Une belle promesse pour la suite de sa carrière.

Grands Garçons de Chriss Itoua (Prix du Jury Découverte, Meilleur Court Métrage Français)

Avec Grands Garçons, Chriss Itoua poursuit une œuvre documentaire intime et politique, centrée sur les identités queer et racisées. À travers des témoignages et une mise en scène sensible, le film interroge la construction de la masculinité dans un contexte post-migratoire. Sans pathos, mais avec une grande justesse, Chriss Itoua donne à voir des parcours souvent invisibilisés, portés par une parole libre et incarnée.

Formé à Paris I et passé par plusieurs résidences (Côté Court, Ateliers Médicis), le réalisateur s’est fait remarquer avec Masc. (2018) et Muanapoto (2022), deux films où l’intime est politique. Grands Garçons s’inscrit dans cette continuité, confirmant une voix singulière dans le paysage du documentaire français. Un court-métrage poignant, à la fois doux et percutant.

Trapped de Sam et David Cutler-Kreutz (Prix du Jury Découverte, Meilleur Court Métrage Américain)

Dans Trapped, Sam et David Cutler‑Kreutz signent un thriller haletant de 15 minutes, dans lequel Joaquin, concierge de lycée et père célibataire, va subir une série de « prank » (blagues) plus inquiétants que drôles. Le récit, sous tension constante, explore les tensions de classe et la conscience morale dans un cadre élitiste.
Récompensé au SXSW par un Special Jury Award et primé Meilleur court métrage US au Palm Springs ShortFest 2024, Trapped, confirme la montée en puissance du duo de frères, déjà salué pour A  Lien, nommé aux Oscar en 2025.

Ce court métrage se distingue non seulement par son rythme tendu et sa mise en scène soignée — appuyée par une image et un son immersifs — mais aussi par la justesse de son propos. La confrontation entre un travail mal rémunéré et les privilèges scolaires devient le terrain d’un duel moral : jusqu’où tenter de rétablir l’ordre sans se perdre soi-même ?

En 15 minutes, Trapped, parvient à conjuguer suspense, critique sociale et émotion intime : une performance remarquable de la part de Sam et David Cutler‑Kreutz, confirmant leur talent pour raconter l’urgence des tensions humaines dans un format court.

Malina d’Ana  Blagojević (Prix du public, meilleur court métrage français)

Dans un petit village serbe, Zora et Dragomir commencent ce qui devait être le plus beau jour de leur vie : leur mariage. Mais le matin même, Zora fait une fausse couche. Pour ne pas briser l’ambiance de la fête, elle garde ce terrible secret… un choix qui transforme la célébration en comédie noire teintée de malaise.

Ana Blagojević mélange subtilement une esthétique documentaire à une fiction, avec un “vrai faux mariage” comme décor. Elle porte un regard féministe aigu : Zora cache sa douleur pour préserver une image collective de bonheur. L’humour noir naît de l’absurdité de la situation, renforcée par un sentiment de malaise latent. Cette ambivalence confère au film une émotion troublante et durable.

Malina marque une double casquette : Ana est à la fois la réalisatrice et l’interprète de Zora . Formée au Conservatoire et active sur scène et à l’écran (notamment dans Avant l’effondrement, Le Ravissement), elle mêle théâtre, comédie et cinéma en gardant toujours un engagement social et féministe. Un très beau premier pas.

Metal de Samuel McIntosh (Prix public, meilleur court américain)

Un homme masqué, enfermé au sous-sol et nourri uniquement de dessins animés, parvient un soir à s’évader. Commence alors une errance étrange et presque surréelle, à la recherche d’un lieu — réel ou mental — où il pourrait enfin exister autrement que comme un corps enchaîné.

Avec Metal, le réalisateur californien Samuel McIntosh signe un film visuellement fort, à la lisière de la fable dystopique et du cauchemar introspectif. Fidèle à sa démarche — bousculer les genres sans jamais s’y enfermer — il tisse une narration quasi muette, tendue et poétique, où l’absurde côtoie l’angoisse avec précision.

Fondateur de Void Productions (2017), McIntosh défend un cinéma de genre libre et underground. Déjà remarqué avec Interstate, il continue d’imposer un style singulier, à la fois brut et élégant, porté par une vraie maîtrise du cadre et une mise en scène audacieuse. Metal le confirme : Samuel McIntosh est une voix à suivre dans le paysage du cinéma indépendant contemporain.

Anouk Ait Ouadda

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