Après L’Heure de l’ours, César du meilleur court-métrage d’animation 2021, la réalisatrice Agnès Patron revient avec un nouveau court-métrage d’animation à la gouache, Une fugue, sélectionné en mai à la Semaine de la Critique, consacré au deuil entre frères et sœurs.
Une maison rouge aux volets bleus, au milieu d’une clairière battue par le vent. Quatre volets, deux en haut, deux en bas, qui donnent à l’édifice l’allure d’un dessin d’enfant, mais aussi d’un étrange visage : les fenêtres et les volets du haut sont ouverts, comme les yeux de l’enfant que nous allons suivre.
C’est une jeune fille brune, au premier étage de la maison, qui n’arrive pas à dormir. Elle regarde la pluie tomber avant de se remémorer sa complicité passée avec son frère mort, leurs souffles qui se mêlaient, leurs promenades clandestines dans la forêt toute proche, les soirs d’intempéries.
La qualité première d’Une fugue est de parvenir à transporter sans pathos son public dans ce souvenir douloureux. Pour ce faire, le scénario, co-écrit par Agnès Patron avec Johanna Krawczyk (qui avait déjà participé à l’écriture du scénario de L’Heure de l’ours), fait le choix de passer du temps présent à celui du souvenir sans solution de continuité : il suffit que la jeune femme s’allonge pour que sa robe disparaisse et laisse apparaitre un corps d’enfant. L’entrée dans le passé se confond alors avec une incursion dans un monde magique et merveilleux, où tout est possible. Ainsi, les yeux mystérieux de la maison solitaire se font synecdoques de la forêt tout entière, où les arbres semblent humains et, comme il convient, un rien menaçants. Une fugue se présente dès lors à une nouvelle Alice au pays des merveilles, à ceci près que son personnage principal est brun et que les lieux se sont départis des couleurs chatoyantes du film de Disney pour des teintes plus sombres, à l’image de ce deuil qui ne passe pas.
Car les couleurs sont au cœur du travail d’Agnès Patron : le ciel présente des nuances de mauve surprenantes, que l’on trouve également dans les végétaux. Les espaces les plus obscurs jouent de la fluorescence pour créer un endroit surprenant, où le fantastique est davantage suggéré que représenté. En outre, les reflets et les ombres des personnages dans une mare font perdre toute conscience du ciel et de la terre : de l’original et de sa copie, quel est le premier ? Ce monde parallèle, où apparaissent des points lumineux aux faux airs d’étoiles, est à ce point surprenant que l’on s’attend à en voir surgir une nouvelle Dame du Lac.
L’on retrouve ainsi dans Une fugue des éléments qui, déjà, structuraient L’Heure de l’ours. Outre cette conscience aiguë des couleurs, l’on retrouve un film sans paroles qui n’est pas un film dépourvu de son : le compositeur Pierre Oberkampf accompagne les pérégrinations de la jeune fille par le son d’un vent de plus en plus fort et inquiétant. Agnès Patron montre à nouveau dans Une fugue son aptitude à faire surgir d’un propos en apparence trivial et fort banal un univers magique et singulier.
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Retrouvez prochainement l’interview d’Agnès Patron et de Pierre Oberkampf