Megan Northam : « Mes combats nourrissent mes choix, mes rôles »

Cela fait un moment qu’on s’intéresse à Megan Northam. La comédienne, attendue dans Les Misérables, a reçu des propositions intéressantes ces dernières années que ce soit dans Rabia (pour laquelle a été nommée cette année aux César dans la catégorie Meilleur espoir féminin), Les Passagers de la nuit, Salade grecque, Pendant ce temps sur terre, … Nous l’avions découverte pourtant dans un court, Miss Chazelles de Thomas Vernay (2019) où elle jouait une Miss, en proie à la rivalité et à l’attirance pour une autre candidate au prix de la beauté. À Cannes, Megan Northam faisait partie des 10 to Watch, une initiative d’Unifrance mettant en valeur 10 comédiens et réalisateurs. À l’occasion de notre échange, on a découverte une comédienne sensible et franche qui a commencé au cinéma sans parler, devant la caméra de Yann Gonzalez, et qui s’intéresse depuis aux rôles militants saupoudrés de féminisme en gardant ses distances avec un milieu parfois difficile. Rencontre, intérêt.

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Format Court : J’ai vu que tu avais joué dans Nous ne serons plus jamais seuls (2012) de Yann Gonzalez. Tu en as gardé des bons souvenirs ?

Megan Northam : Bien sûr, c’était la toute première expérience de ma vie devant une caméra. Je n’avais jamais fait ça avant, et j’ai adoré. C’était super ! Le casting se faisait sous forme de petits stages. Moi, j’ai toujours aimé les activités de groupe, comme la danse ou les colonies. C’était une découverte incroyable de l’expression corporelle. Je me demandais ce que je faisais là. Il y avait plusieurs castings, comme des micro-stages, et à la fin, Yann a annoncé dix noms. J’étais dedans. On a tourné dans les blockhaus de Nantes. J’y avais fait la fête plus jeune, c’était ouf ! Comme le film était muet, c’était parfait pour débuter le jeu, sans avoir à gérer les dialogues tout de suite.

Tu ne parlais pas du tout ?

M.N. : Non. Je ne voulais surtout pas parler ! Et c’était très bien ainsi, car parler, ça aurait été trop d’un coup. Je n’avais jamais joué, donc c’était déjà énorme. J’ai toujours eu du mal, dans la vie et même en vieillissant, quand il y a trop d’informations à intégrer d’un coup.

Cannes, ça va ?

M.N. : C’est très brutal.

C’est pour ça que je voulais aussi te parler aussi de Miss Chazelles de Thomas Vernay. Ce court-métrage m’avait marquée. On voit beaucoup de courts, parfois les comédiens disparaissent. J’ai l’impression que ce film a représenté un tournant dans ta carrière.

M.N. : Complètement. Si on parle de cinéma, c’est grâce à ce rôle, dans le film de Thomas, que les choses ont bougé. On avait déjà fait des clips ensemble. Justement, après Nous ne serons plus jamais seuls, j’ai fait pas mal de clips. C’était cool aussi de pouvoir, encore une fois, continuer à jouer sans parler. J’adorais ça : jouer sans parler, mêler musique et image. Ça avait du sens pour moi, ça en a toujours. J’ai toujours aimé la musique. J’en ai parlé à mon agent récemment, j’aimerais refaire des clips. Il y a des clips qui sont des œuvres, qui sont vraiment très beaux. J’aimerais y retourner, oui !

« Nous ne serons plus jamais seuls »

Pour revenir à Miss Chazelles, c’est un film qui occupait la plus grosse part de ma bande démo. Il m’a permis de gagner des prix au Festival Jean Carmet et au Festival de Clermont-Ferrand. Tatiana Vialle, Présidente du jury à Jean Carmet et directrice de casting, m’a remis le Prix du jeune espoir féminin. On fêtait le prix avec une coupe de champagne. Elle m’a posé une question simple, mais directe, droit dans les yeux : « Tu veux être actrice ? ». Je ne savais pas trop, je lui ai répondu : « Je ne sais pas, c’est cool comme expérience. Peut-être qu’avec un prix, j’aurai peut-être plus de légitimité d’aller demander à une agence de me prendre ». Elle m’a dit : « Des petites blondes comme toi, il y en a plein donc si tu veux sortir ton épingle du jeu, il ne faut pas que tu ailles dans les grosses agences. Je te propose deux agents qui viennent de monter leur propre agence ». Elle avait perçu mon caractère, ma « fragilité », mon angoisse sociale, je pense. Grâce à elle, j’ai rencontré François Tessier, mon agent actuel.

La légitimité, c’est important qu’on en parle. Est-ce que tu te poses encore la question aujourd’hui ? Arrives-tu à maintenir une forme de distance avec tout ce qui concerne les comédiens qui sont mis en lumière ?

M.N. : Oui. C’est pour ça que des fois je suis un peu en colère envers moi-même, parce que je ne sais pas trop où me placer et que je maintiens cette distance tout le temps sauf quand je dois jouer une scène. Là, je n’ai plus de distance, je rentre dans le tas. Par rapport au milieu, j’essaie de garder cette distance, mais c’est assez épuisant. Je me demande pourquoi moi aussi, je ne me laisserais pas plonger dans ce système, dans les paillettes et dans le luxe. J’ai souvent l’impression de me trahir quand je plonge là-dedans. Quand je craque, je me fais de la peine, c’est-à-dire que je rentre chez moi et que je sens que je me trahis moi-même.

Tu aurais fait quoi si tu n’avais pas été actrice ?

M.N. : Je pense que j’aurais peut-être continué à être animatrice de colonie. Je me serais plus penchée vers le social ou alors j’aurais trouvé un métier manuel. Mon cerveau fonctionne en arborescence, en hyperactivité. Le concret, le manuel, ça m’apaise parce que tirer sur les ficelles des émotions tout le temps dans ce métier, ça demande beaucoup d’énergie.

« Miss Chazelles »

Tu figures au casting de Les Misérables de Fred Cavayé. Comment abordes-tu le rôle de Cosette ?

M.N. : C’est un gros film, très grand public. D’un côté, c’est assez effrayant, je n’ai jamais fait un film grand public comme ça, avec un casting pareil. D’un autre côté, je suis flippée et excitée à l’idée de rencontrer de nouvelles têtes et de nouveaux acteurs ou actrices (Vincent Lindon, Tahar Rahim, Camille Cottin, Benjamin Lavernhe, Noémie Merlant, .. ndlr.). En réalité, je suis contente, c’est un classique, Les Misérables. Petite, j’adorais Oliver Twist, les personnages pauvres, malheureux, mais lumineux. Je rêvais un peu de jouer ces petits personnages-là. Je suis très contente du rôle de Cosette adulte, il me stimule et me donne envie d’être sur le tournage. Par rapport au personnage de l’enfant, elle est moins esclave, comme ce que j’ai déjà fait dans Rabia, et elle est plus révolutionnaire, avant l’heure, pour une femme de cette époque. Je suis contente d’apporter mon féminisme et mon militantisme à travers ce rôle.

Dans quelle mesure les combats, les militantismes, ça prend de la place dans ta vie ? Tu as fait partie de l’Association des Acteur·ices. Est-ce que tu as l’impression que les choses vont mieux, dans le milieu ?

M.N. : Il n’y a pas que ce combat, il n’y a pas que le combat féminin. Il y a plein, plein de combats. J’ai fait partie de cet association à un moment où j’en avais vraiment besoin. J’ai compris que je n’étais pas seule dans ce combat-là. Je sais qu’on n’est pas seule, mais on se sent seule quand on vit quelque chose. Moi, j’ai été très soutenue grâce à ces femmes-là, et ça avait du sens, parce que j’ai déjà vécu des violences par des hommes dans ma vie, dans la vie de tous les jours, comme, je pense, à peu près toutes les femmes de ce monde. On vit toutes des violences à différents degrés. On vit les choses de façon différente. Moi, j’ai vécu des trucs qui m’ont choquée et perturbée, et là, c’était au sein du travail. Être entourée d’autres actrices, réalisatrices, m’a aidée profondément. Mais c’est un combat qui est très lourd aussi. Parfois, j’ai eu besoin de m’éloigner pour respirer et vivre ma vie aussi, parce qu’il y a d’autres choses que le cinéma dans une vie. Parfois, j’ai besoin de rebondir, recharger mes batteries mais je me rends compte que je ne suis jamais loin de ces combats et que j’y retourne. Ils nourrissent mes choix, mes rôles.

La réalisation, l’envie de raconter des histoires, c’est quelque chose qui te tente un jour ?

M.N. : Pourquoi pas, mais pas maintenant. Je suis lente à la mise en action. Une fois lancée, je fonce, mais il me faut du temps. Et gérer une équipe, ce n’est pas encore pour moi.

Propos recueillis par Katia Bayer

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