Animatrice et réalisatrice britannique, Joanna Quinn s’est vue remettre un Cristal d’honneur lors de la cérémonie d’ouverture du Festival d’Annecy. Très reconnue et appréciée dans le milieu de l’animation, elle a été primée pour ses courts aux Bafta, aux Emmy, à Annecy et a été nommée deux fois aux Oscars. À l’occasion de sa venue au festival où tout a démarré, elle fait le point sur l’humour, le dessin qui l’a aidée à se construire, l’avancée des femmes dans le cinéma et l’intérêt porté pour les petites équipes.

© Annecy Festival / S. Clement
Format Court : Vous êtes venue à Annecy pour la première fois en 1987 avec votre film Girls Night Out. Votre photo d’accréditée a été projetée lors de la cérémonie d’ouverture.
Joanna Quinn : Oh mon Dieu, oui !
Vous êtes habituée aux interviews maintenant, mais vous souvenez-vous de vos toutes premières ?
J.Q. : Non, pas du tout. Je ne me souviens pas avoir été interviewée au début… Quand est-ce que ça a commencé ? Peut-être après mon premier film. J’étais très effrayée, je pense. J’imagine que c’est le cas parce que l’animation est un travail très solitaire. En plus, la plupart des journalistes étaient des hommes. Girls Night Out montrait un strip-teaseur masculin, on me posait des questions sexistes, comme : « Détestez-vous les hommes ? ». C’était dur, surtout que j’étais très jeune. Il y a eu beaucoup d’antagonismes avec ce film.
Ce film a-t-il tout changé pour vous ?
J.Q. : Oui, surtout sur le plan médiatique. C’était la première fois que je venais à Annecy. C’était mon tout premier festival. Comme je faisais mon film toute seule, je n’avais pas conscience du public en face. Je pensais juste que mon film allait faire rire, et je ne réalisais pas combien il y avait peu de films sur les femmes. En Grande-Bretagne, on était un peu plus avancé sur la question des représentations féminines. Quand j’ai vu mon film à coté de ceux réalisés par les hommes, dont certains étaient vraiment sexistes, j’ai bien senti qu’il n’y en avait pas beaucoup avec des personnages féminins forts, à part chez Michaela Pavlátová. J’ai compris que j’avais une certaine responsabilité.
C’est une grande responsabilité de vouloir faire la différence, surtout quand on est jeune. Pour vous, que représente un personnage féminin fort ?
J.Q. : C’est quelqu’un qui guide l’histoire. Ce n’est pas forcément politique, ça n’a pas besoin d’être un manifeste. C’est juste un point de vue. C’est un personnage qui doit juste être vu à travers les yeux d’une femme.

« Girls Night Out »
Vous parliez du Royaume-Uni, de vos débuts… Vous aviez déjà un lien avec l’animation ?
J.Q. : À l’université, je faisais des études de design graphique, pas d’animation, et il n’y avait pas vraiment d’autres animateurs autour de moi. J’ai fait mon film d’études, Girls Night Out, sans penser à un avenir dans l’animation. Ensuite, on m’a conseillé d’ajouter une bande-son et de l’envoyer à un festival d’animation. J’ai choisi Annecy… un peu par hasard !
Et ensuite ?
J.Q. : Le premier festival où j’étais allée, c’était celui de Londres, mais ce n’était pas un festival d’animation à proprement parler. Je n’avais aucune idée de ce qui se passait à l’international. Ici, à Annecy, je me suis retrouvée face aux studios américains. Mais à l’époque, MTV avait émergé, il y avait beaucoup de vidéos musicales, d’animations intéressantes et d’expérimentations visuelles.
Vous êtes passée par l’illustration. Vous dessinez depuis toujours ?
J.Q. : Oui, je suis enfant unique. J’étais souvent seule, petite. Le dessin m’a toujours apporté du réconfort, il m’a permis de m’évader. Mes parents étaient en train de divorcer, j’étais obsédée par le dessin. Ça a été une bouée de sauvetage. J’avais le contrôle, c’est devenu un peu une ligne de vie essentielle.
Vous avez fait beaucoup de courts-métrages. Qu’est-ce qui vous attire dans ce format ?
J.Q. : Je ne pense pas en termes de long métrage. J’adore le processus : dessiner, produire, envoyer le film à un festival, être avec d’autres cinéastes, comme ici. C’est tellement beau. Un court-métrage peut raconter une très grande histoire. Et comme je dessine chaque image à la main, c’est un format qui me convient.
Est-ce que vous travaillez seule ?
J.Q. : Non, j’ai une petite équipe : mon partenaire, Les, Marcia Rojas, mon assistante de toujours), et quelques autres. Quand on est très occupés, on est six.

« Affairs of The Art »
Vous étiez l’une des rares femmes animatrices à vos débuts. D’ici quelques jours, votre court, Affairs of the Art, sera présenté dans un focus consacré aux femmes animatrices de ces dernières années. Ca peut être compliqué d’être une source d’inspiration et une référence. Comment voyez-vous l’évolution pour les femmes dans le milieu ?
J.Q. : Il y a eu énormément de changements. Il y a beaucoup plus de films faits par des femmes, sur des sujets féminins, et ils sont acceptés. Dans les studios ou dans le jeu vidéo, je ne sais pas si c’est aussi avancé. Mais pour les courts-métrages, oui, car ils demandent moins d’argent, une équipe moins grande.
Quand on vous entend, on reconnait certains de vos personnages. Vous faites beaucoup de blagues, de grimaces, vous riez beaucoup. Avez-vous envisagé de devenir actrice ?
J.Q. : Oui ! Je voulais être actrice, mais je n’ai pas été plus loin. J’ai compris que l’animation, c’est une forme d’interprétation. Je peux jouer sans être vue. Je suis capable d’agir à travers mes dessins, de rendre un personnage crédible, de faire réagir le public émotionnellement. C’est ça, mon défi, mon « pouvoir ».
Qu’est-ce qui vous fait rire ?
J.Q. : Les petites choses, les réactions des gens, la vie quotidienne. Au cinéma, je ris tout le temps. Ma mère était une femme très drôle, très entourée. J’ai grandi dans un environnement où on riait beaucoup. Je pense que ça m’a marquée.
On veut toujours être représenté comme le plus beau et le plus intelligent. Or, dans vos films, vous montrez les corps comme ils sont, avec leurs formes, leurs défauts, et les comportements privés, parfois gênants, souvent à la limite du ridicule, mais on est malgré tout beaucoup d’affection pour vos personnages. D’où vient cet intérêt ?
J.Q. : Sans doute de ma mère. Après le divorce de mes parents, je vivais avec elle. Elle était très sociable, il y avait beaucoup de femmes autour d’elle. Elle avait beaucoup de problèmes aussi. Il y avait toujours beaucoup d’alcool dans notre maison, beaucoup d’humour et beaucoup de femmes très bruyantes. Je suppose que j’étais le témoin de cette amitié, cette solidarité qui a aidé ma mère à survivre. Ses amies m’ont aidée aussi. Du côté de mon père, il y avait beaucoup de politique — ils venaient de Belfast, ils étaient tous communistes, très engagés. Mes films sont un mélange des deux : l’humour, la solidarité féminine… et un fond plus sérieux, plus politique parfois. Je conçois mes films comme amusants mais pas frivoles, des films qui ont toujours du sens et qui ont peut-être un message.
Vous privilégiez l’animation traditionnelle, le dessin, et le crayon de couleur. Avez-vous déjà été tentée par d’autres techniques ?
J.Q. : Pas vraiment. J’aime le dessin sur papier. J’ai essayé le digital pour mon dernier film avec une tablette Cintiq pendant six mois, mais ça ne m’a pas plu. J’aime le défi de l’apprentissage mais j’aime surtout le contact avec le papier. C’est ce qui me rend heureuse.
Propos recueillis par Katia Bayer
Article associé : la critique de Girls Night Out