Dans Hypersensible de Martine Frossard, vu à Cannes, le corps devient paysage, les sensations prennent le pouvoir, et l’hyperperception s’ancre comme le cœur d’une expérience cinématographique à la frontière du conte et de la science-fiction. Porté par une mise en scène organique et fluide, ce court métrage propose une réflexion profonde sur la fragilité des corps, la douleur invisible et la beauté cachée dans l’excès de sensibilité.
Un corps qui sent trop
Le film explore l’expérience d’une jeune fille souffrant d’hypersensibilité sensorielle, une condition encore mal comprise, souvent marginalisée. Ici, le moindre bruit, la moindre lumière, un simple contact deviennent ondes de choc. Le film traduit cette perception décuplée à l’image : les textures se dilatent, les mouvements sont presque liquides, la caméra épouse le souffle, le frisson, la tension intérieure. Ce rapport hypersensible au monde est à la fois une source de souffrance (quand le réel agresse) et une grâce (quand il caresse). Car dans cette hypercapacité à sentir, il y a aussi la possibilité d’un plaisir démultiplié :les zigzagues de la route, une voiture qui fonce, le vent sur la peau deviennent alors des expériences quasi cosmiques.
Une métamorphose mythologique
La trajectoire du personnage, après un accident, bascule dans une forme de science-fiction sensorielle. Son corps change, se dilate, s’ouvre, se transforme jusqu’à littéralement s’enraciner dans la terre. Une évocation directe à Daphné, la nymphe de la mythologie grecque métamorphosée en arbre pour échapper à Apollon. Ici, cette transformation n’est pas une fuite, mais une renaissance. L’arbre devient symbole de guérison, de réconciliation avec un corps autre, plus fort, plus vaste, plus lent aussi. C’est une manière de dire que le mal-être peut muter en force, que l’hypersensibilité peut devenir une connexion au vivant, un état d’écoute radicale du monde.
Transmission silencieuse
La dernière scène, d’une simplicité bouleversante, renforce cette lecture symbolique. Une petite fille, assise à l’arrière d’une voiture, regarde l’arbre qu’est devenue la femme aux côtés de sa mère. Aucun mot n’est prononcé, mais tout est là : le cycle de la transmission, le lien féminin, la compréhension silencieuse de celles qui ressentent trop. Ce geste de regard, minuscule, devient un pont entre générations, une promesse de reconnaissance, peut-être même de réparation.
Hypersensible est un film qui se vit avec le corps autant qu’avec l’esprit. Son esthétique fluide, presque liquide, son refus du récit classique, sa poésie organique en font un objet sensoriel rare, qui donne forme à ce que tant de personnes vivent sans pouvoir l’exprimer. À la fois mythe contemporain, conte de transformation, et lettre ouverte à celles et ceux qui sentent trop, ce court métrage offre une réponse douce et puissante à un monde souvent trop bruyant.