Au Festival d’Annecy, Émilie Tronche présente une petite exposition autour de Samuel, le personnage central de sa mini-série d’animation phénomène créée pour Arte et produite par les Valseurs. Passée par l’École des métiers du cinéma d’animation d’Angoulême, la jeune femme à la fois réalisatrice, scénariste et animatrice prête sa voix et sa gestuelle aux personnages de sa série drôle et touchante qui convoque les premiers émois, des pas de danse et la forme d’un journal intime. Pour Format Court, Émilie Tronche revient sur son approche du dessin, les histoires de ses débuts, son goût pour le trait et sa découverte du milieu professionnel.

© Chloé Vollmer-Lo
Format Court : En sortant de l’école, tu n’es pas passée par la case classique du court même si les épisodes de Samuel peuvent être considérés comme des courts à part entière…
Émilie Tronche : La série, ça n’a jamais été une idée dans ma tête. Même à l’école, on n’en parlait pas trop en fait. Et oui, les épisodes de Samuel, je les considérais comme des très courts. Ce sont des films qui durent 2 à 3 minutes. Je considère en même temps Samuel comme un premier film. Quand j’ai imaginé la série, chaque épisode était à chaque fois un film. Il fallait qu’il y ait un rythme dans chaque épisode et qu’il y ait un rythme global dans l’entièreté, comme pour un film.
À Annecy, on croise plein d’étudiants d’écoles d’animation du monde entier. Tu as étudié à l’Atelier de Sèvres puis à l’école d’Angoulême. Qu’est-ce qui t’a incité à choisir ces deux formations ?
E.T. : Je dessinais, mais pas très bien. Ça m’apparaissait très dur de rentrer dans une école. En tapant « école d’animation » sur Google, je suis tombée sur un classement. J’ai regardé des courts-métrages, c’est ça qui m’a donné envie de faire de l’animation. Je voyais que je n’avais clairement pas le niveau de dessin en me basant sur ces films. J’ai fait un an de prépa à l’Atelier de Sèvres pour me former, me familiariser avec l’animation. C’était très bien, on m’a appris à dessiner, c’est ce qu’il fallait.
Qu’est-ce qui a changé dans ta manière de dessiner ?
E.T. : L’anatomie, la perspective, l’observation. Je ne faisais que des dessins de tête, d’imagination et je ne m’étais jamais vraiment frottée au dessin d’observation. En arrivant à l’école, je ne savais pas qu’il y avait des écoles d’animation, je ne savais pas que c’était un métier. Je débarquais vraiment !
Comment se fait-il que tu ne t’es pas tournée vers le dessin, l’illustration ou la peinture par exemple ?
E.T. : En découvrant la multitude d’écoles et les films produits, je me suis dit que ce serait plus sécurisant d’aller dans l’animation que d’autres directions. Mais en fait, ce que j’aime le plus, davantage que le dessin, c’est écrire, raconter une histoire. J’écris depuis toute petite.

« Samuel »
Tu écris dans quoi ? Des carnets ?
E.T. : Non, j’ai démarré en écrivant sur l’ordinateur portable de mon papy, une nouveauté dans les années 2000. J’adorais taper, j’ai commencé à écrire des histoires, posté des chapitres sur le Net. À ce moment, il y avait vraiment plein de fanfictions, ça réunissait une communauté importante sur Skyrock, il y avait vraiment un public pour ça ! J’avais des milliers de lecteurs à ce moment-là alors que j’étais au collège. C’était comme pour Samuel au départ. Je postais, j’avais des retours immédiats. C’était super, ça me donnait envie de raconter une suite aux histoires et je tenais en haleine mes lecteurs. Le blog m’a appris ça : avoir conscience qu’il y a un public qui va suivre tes aventures.
Ça s’appelait comment ?
E.T. : Ah, je ne dis pas ! Je me cachais, je ne donnais pas mon nom et mon prénom. Depuis, Skyrock a supprimé tous les blogs, j’étais ado, j’écrivais sur une star, sur une histoire d’amour, il y avait des trucs un peu honteux ! Ce sentiment d’écrire vraiment ce dont j’avais envie me procurait de l’émotion. Avec Samuel, j’ai retrouvé cette idée d’aller vraiment du côté du plaisir coupable. Quand tu es à l’école, qu’il y a les autres étudiants, que tu défends le cinéma d’auteur, tu n’oses pas trop écrire sur des trucs de jeune, des histoires d’amour car tu sens le regard des autres. Du coup, tu peux être amenée à te censurer.
À un moment, Samuel est devenu un projet costaud. Comment as-tu intégré le principe d’un producteur dans ta vie ?
E.T. : Ça s’est fait en deux temps avec Damien Megherbi des Valseurs. D’abord, j’ai posé le premier épisode de Samuel sur les réseaux. Je ne sais pas comment, mais l’épisode s’est propagé et des producteurs sont tombés dessus. Damien m’a envoyé un message, il était le premier. Il m’a dit : « C’est super, si tu as un projet de court-métrage, envoie-le nous ». Pour moi, Samuel, c’était juste mon projet plaisir. Je ne me disais pas que ça allait être quelque chose de professionnel. J’ai écrit un court-métrage où je suis retombée dans cette idé du regard extérieur. C’était au pastel, plus sérieux. Je me disais que c’était ça qui allait l’intéresser. Je lui ai envoyé le projet, il a mis 5 mois à me répondre, malgré des relances. J’ai continué avec Samuel. Je continuais de faire des épisodes. On s’est dit qu’on allait essayer de faire quelque chose de ce côté. Il ne savait pas où on allait le caser. Tout de suite, il m’a laissé la liberté de faire ce que je voulais. Je ne sentais pas qu’il allait modifier mon projet. C’est ça que j’aimais bien dans son approche. C’était la première série des Valseurs. C’était un peu compliqué mais chouette qu’on avance en même temps. On découvrait tout ça ensemble, y compris Arte. Ils n’avaient jamais fait de série d’animation de ce genre. Tout était nouveau pour tout le monde. On acceptait plus mon procédé d’écriture. On m’a laissé toute la liberté possible pour écrire. Quand ça grossit, quand on sent qu’il y a plus de financement, quand on reçoit plus de retours, ça fait toujours un peu peur. On a l’impression que ça nous échappe, que ça va trop vite.
À quel moment as-tu commencé à sentir que ça allait trop vite ?
E.T. : Je crois que que c’était au Cartoon Forum à Toulouse. Là, tout le monde était très pro. C’est un événement qui est très professionnel. Samuel était au milieu de séries en 3D, ne ressemblait à rien d’autre. Au tout début, quand on était à l’école, on se disait que la série, ce n’était pas trop pour nous. La série, c’était les autres, c’est les Américains. C’était un monde que je ne connaissais pas du tout : il faut réfléchir aux cibles, aux diffuseurs. … C’est vrai que le court-métrage, c’est tellement différent.
Les courts que tu as fait à l’école, Tour de main et Promenade sentimentale, fonctionnent autour du mouvement, de la voix. Mais ce que j’ai trouvé chouette, c’était ton utilisation de la couleur, du pastel.
E.T. : Oui, j’aimais bien ça, j’aime toujours le pastel. J’adore ce truc d’aplat, de texture. J’ai l’impression que c’est facile.
Ça constante beaucoup avec Samuel où il y a juste le trait et le blanc tout autour…
E.T. : Avec Samuel, je savais qu’il y aurait des dessins moches, mais je voulais les garder. Je voulais sentir le trait qui vibre au fur et à mesure et que ça raconte quelque chose. On est emporté dans l’histoire avec le trait. Je voulais vraiment faire abstraction du regard de l’autre. Tout le temps. C’était un peu égoïste au départ, c’était pour me faire plaisir, pour faire plaisir à mes proches aussi.
Comment as-tu conçu la prépa de Samuel ?
E.T. : C’était très instinctif. J’ai plein d’onglets de traitement de texte ouverts, sur l’ordinateur. De temps en temps, j’écrivais pour me mettre plus en mode journal. En tapant très vite sur l’ordinateur, je laissais fuser plein de choses, même des choses auxquelles je ne réfléchissais pas en amont. Je laissais un peu parler le subconscient. En tapant vite, il y a un peu tout qui arrive et après, j’écrème, je trie.
C’est un peu comme l’écriture automatique.
E.T. : Oui, Je pense qu’avec Samuel, ce système était utile pour faire sortir des mots incongrus. Je me dis que l’enfant est un peu comme ça. Il ne réfléchit pas, surtout en écrivant son journal. On ne se dit pas que quelqu’un va le lire.
Je verrais bien des workshop avec des enfants en train de taper leur propre Samuel.
E.T. : Oui, ce serait marrant !
Tu connaissais Annecy avant de venir cette année ? Tu étais déjà venue en tant qu’étudiante ? C’était quoi ton ressenti à ce moment-là ?
E.T. : Là, je vois les étudiants et les étudiantes et je me retrouve à me dire : « Waouh, tu es au milieu des professionnels ! ». À l’époque, je me disais : « Si ça se trouve là, dans le café, il y a un réalisateur super connu ! ». Je n’appartenais pas encore à ce monde. Avant, on essayait de rentrer aux soirées, on se faisait refuser l’accès. C’était un peu ingrat parfois, mais en même temps, c’était nouveau. On sentait qu’il se passait quelque chose, il y avait tellement de films et tellement de monde à la fois !
Quand on ne connaît pas la personne, on fait des petites recherches sur Wikipédia. Sur ta fiche, il est mentionné que tu as été une étudiante dans The French Dispatch de Wes Anderson. Comment t’es-tu retrouvée sur ce projet ?
E.T. : J’ai fait pas mal de choses avec ce film, à mon niveau ! J’ai fait les peintures qu’on voit dans le film et qui sont hyper abstraites. Ils cherchaient une doublure corps pour Léa Seydoux. Ils voulaient quelqu’un de souple, ma prof de yoga a donné mon nom. Il y a eu un casting et j’ai été prise. Après, on m’a reprise pour faire de la figuration. Mais le plus intéressant, c’était que j’ai fait une doublure lumière pour Léa Seydoux et Tilda Swinton. J’arrivais avant elles sur le plateau et puis c’était à leur tour. Je les voyais jouer, j’étais impressionnée, je me disais : « C’est fou d’être une actrice » !
Ça pourrait t’intéresser, la direction d’acteurs ? Je ne sais pas si tu as déjà envisagé Samuel en fiction, mais en te déchargeant du corps et des voix, tu pourrais laisser les autres camper tes personnages….
E.T. : En même temps, ça me fait un peu peur. La direction acteurs, ça pourrait m’intéresser, mais s’il y a un truc rassurant dans l’animation, c’est qu’il y a tout justement. Avec Samuel, j’avais un peu tout à disposition : ma voix, mon corps. J’aimais bien sentir le fait que j’avais le contrôle facile sur les choses. Après, on apprend justement à déléguer. C’était très bien aussi de travailler avec les équipes, les animateurs. Mais j’aime bien savoir que le monde que j’ai créé est tout près de moi. Et dans la fiction, il y a énormément d’interlocuteurs et de métiers que ça me semble encore inconnu et très mystérieux. La fiction n’est pas forcément une envie majeure. J’aime trop l’animation.
Propos recueillis par Katia Bayer