Dans le camp du Service National Malaisien, un groupe de jeunes filles est réveillé en pleine nuit par leur superviseure, car elles doivent aller nettoyer les toilettes et laver leurs serviettes hygiéniques déjà usagées et jetées. Voici le sujet de WAShhh, nouveau film de la jeune réalisatrice malaisienne Mickey Lai, lauréat du Pardino d’Oro pour le meilleur court-métrage international à Locarno.
Dans la culture musulmane malaisienne, il est courant pour les femmes de laver leurs serviettes hygiéniques avant de les jeter à la poubelle. Les locaux croient que cette habitude est non seulement plus hygiénique, mais qu’elle éloigne aussi les démons attirés par le sang.
Cette pratique peut sembler étrange aux spectateurs occidentaux, et elle est certainement désagréable pour les jeunes filles du camp. Alors que Hui, la chef de groupe chinoise, remet en question cette action, on se demande si sa plainte principale concerne l’acte lui-même ou le manque de respect avec lequel ces adolescentes sont traitées par leur enseignante. Les menaces de possession par les démons se nourrissant du sang sont renforcées par l’évanouissement d’une des filles, qui pourrait aussi être simplement attribué à l’épuisement ou au dégoût.
Cependant, l’aspect véritablement captivant du film réside dans la relation entre ces filles multiraciales et multilingues. Le Programme de Formation du Service National Malaisien a été créé en 2003 et a existé jusqu’en 2018, dans le but de promouvoir l’amitié entre des jeunes issus des nombreux groupes ethniques et culturels du pays. Sa durée était de trois mois. La réalisatrice elle-même a participé à ce camp durant son adolescence et son souvenir principal en est la diversité parmi ses camarades. Le spectateur en fait l’expérience, non seulement en voyant tous ces phénotypes différents, mais aussi en les entendant communiquer dans diverses langues, une vision véritablement magnifique qui explore les multiples facettes de la Malaisie.
L’union et la diversité sont les thèmes essentiels de WAShhh. Malgré quelques conflits internes, il est clair que ces adolescentes restent soudées à travers une situation pénible, alors qu’elles pleurent et s’évanouissent en nettoyant intensément une salle de bain commune. Fait intéressant, ces filles sont unies par une représentation absolue de la féminité : le sang menstruel. Tout comme le premier cycle menstruel marque la transition entre la fille et la femme, le camp du Service National est aussi un protocole obligatoire pour les jeunes de 18 ans. Ces filles font face à des rituels de croissance entrelacés en entrant dans l’âge adulte et en nouant des relations avec leurs pairs issus de différents milieux culturels, enrichissant ainsi leurs esprits et leurs capacités sociales.
Le choix du noir et blanc dans le film ne le rend pas seulement plus évocateur du passé, il crée également des visuels percutants pour le sang. Lorsque Hui verse l’eau du seau contenant les serviettes, elle semble presque noire, faisant allusion à la saleté et au dégoût que l’enseignante mentionne constamment. La couleur du liquide pousse le spectateur à presque détacher son action du sang lui-même, et à se concentrer sur l’inconfort que le personnage ressent.
L’espace habité par ces filles est capturé par la caméra à travers de nombreux plans larges, panoramiques et travellings entourant les personnages. De façon militaire, la structure, loin d’être accueillante, est définie par des objets rigides et répétitifs, se multipliant en rangées : des filles raides se présentant pour le service, des petits lits avec des draps plats, des éviers sans aucun produit personnel, comme si personne ne les utilisait régulièrement. Ces rangées illustrent un univers marqué par l’austérité et la discipline.
Regarder l’inconfort des personnages en écoutant les sons du ménage, de l’eau qui coule, et entendre les cris de l’enseignant, fatigue le spectateur. Ces bruits deviennent accablants et chaotiques, ils provoquent une sonorité hyper stimulante qui ajoute au stress de la situation et à l’inconfort vu à l’image.
WAShhh de Mickey Lai réussit à capturer un instant de vie peu documenté, révélant à la fois la richesse et la complexité des traditions culturelles et des interactions humaines. À travers une situation inhabituelle pour les yeux occidentaux, le film explore des thèmes universels tels que la féminité et la solidarité avec une mise en scène sobre, qui nous immerge dans l’univers des personnages. La réalisatrice propose un regard unique sur la transition vers l’âge adulte et la richesse des différences culturelles en Malaisie, tout en offrant un commentaire subtil sur les défis de la croissance.