Le Ravissement d’Iris Kaltenbäck

Les éditions Diaphana sortent le 20 février en DVD et VOD le très beau film de Iris Kaltenbäck, Le Ravissement, un premier long-métrage sélectionné à la Semaine de la Critique en 2023 et lauréat, entre autres, du Prix Louis Delluc du meilleur premier film et du Prix SFCC du meilleur premier film français. Le film, nommé aux César 2024, est à découvrir impérativement, avec Hafsia Herzi, Alexis Manenti et Nina Meurisse. Format Court organise un jeu-concours et vous propose d’en remporter un exemplaire.

Salomé est aussi délurée que Lydia est sage et introvertie. Elles nourrissent toutefois une amitié de longue date, vécue par la dernière comme un principe de vases communicants : plus joyeuse est l’une, plus triste est l’autre. Or, Salomé, enceinte, va bientôt accoucher. Ne dit-on pas que cette expérience est le plus beau jour d’une femme ? A l’approche de la date, Lydia, sage-femme de son état, s’inquiète donc des conséquences sur elle. Ne risque-t-elle pas de connaitre un profond malheur?

Est-ce pour cela qu’elle décide de voler l’enfant de son amie, ou est-ce pour (re)conquérir Milos, qui ne répond à aucun de ses appels depuis la nuit qu’ils ont passée ensemble ? Toujours est-il qu’elle se transforme en kidnappeuse et présente à Milos le nourrisson comme le fruit de leur nuit d’amour. 

Cette histoire, inspirée d’un fait divers, nous est racontée progressivement. C’est d’abord la voix d’Alexis Manenti, qui joue Milos avec simplicité, qui cueille le spectateur. Acteur malgré lui de cet enlèvement, son récit est fait de failles et d’interrogations. 

La dramaturgie du film est écrite de façon millimétrée : alors que la voix de Milos/Alexis Manenti s’adresse, on le comprend rapidement, à la cour d’un tribunal chargée de le juger, nous ne savons encore rien de l’histoire qui va se jouer. Si les doutes du personnage ne sont pas ceux des spectateurs, ils se répondent, et chacun avance doucement dans son accès à la – à une – vérité de l’histoire. 

L’écriture du scénario – assurée par Iris Kaltenbäck – fait également montre de virtuosité dans la fabrique de ce hors-champ qu’est le procès. Milos y fait certes allusion, dès le début, du fait de son adresse en voix off, mais jamais il n’apparaît à l’écran. Ce dispositif transforme alors l’écran sur lequel nous regardons le film en prétoire : s’il n’y a à l’image ni juge ni juré, c’est au spectateur de prendre leur place. Ce jeu avec le genre – actuellement bien envahissant – du film de procès rend de fait le spectateur actif. 

Cet effacement des effets de manche et autres exhibitions de preuves s’inscrit également dans l’esthétique générale du film, qui fait de la sobriété son maître-mot. Sobriété de l’image, donc, qui refuse au prétoire sa place, mais aussi des dialogues. 

Hafsia Herzi, qui incarne Lydia avec grâce, nous propose en effet un personnage avare de mots, même quand il s’agit de mentir. Elle affabule avec la même discrétion avec laquelle elle promène son spleen dans les rues de Paris ou la plage d’Houlgate. Son visage n’a pas besoin d’artifices pour être expressif et dit assez la résignation du personnage. 

La musique composée par Alexandre de la Baume la suit à la manière d’une ritournelle mélancolique et légère, qui sait elle aussi s’effacer pour laisser place au drame qui se joue. 

Ce premier long-métrage apparaît comme un coup de maître, la réalisatrice parvenant à associer dans une même retenue scénario, musique et direction d’acteurs. Ce film n’annonce donc pas seulement la naissance d’une réalisatrice, mais celle d’une cinéaste avec une esthétique propre, déjà bien définie.

Le DVD des éditions Diaphana propose en sus du film deux bonus : le premier court-métrage d’Iris Kaltenbäck, Le Vol des cigognes, et un échange entre la réalisatrice et Ava Cahen – déléguée générale de la Semaine de la Critique. 

Réalisé à la Fémis, Le Vol des cigognes (2015) présente, en vingt-huit minutes, une première version du Ravissement. Le style d’Iris Kaltenbäck y affleure déjà, de manière peut-être plus absolue : la sobriété du long-métrage est annoncée par le silence presque complet du court. Le scénario varie certes quelque peu, mais l’essentiel n’est pas là : ce qui importe est bien de cerner ce passage du mutisme à la réserve. 

Quant à l’échange avec Ava Cahen, il permet de comprendre la naissance de cet étrange scénario à partir d’un simple fait divers, mais aussi les choix présidant au casting, si important dans la réussite de ce film. Ce DVD/VOD permet donc de saisir la naissance d’une cinéaste dont on attend beaucoup dans les années à venir.

Julia Wahl

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