Les films de mon Moulins. Festival Jean Carmet 2022

Au coeur du Bourbonnais, région trop souvent oubliée et pourtant fondatrice de l’Histoire de notre pays, se retrouve chaque année depuis plus de 25 ans le festival Jean Carmet. À l’image de cet acteur (décédé un an avant la naissance du festival), celui-ci met à l’honneur, et reste le seul à ce jour à mettre en avant les comédiennes et comédiens qui se sont illustré.es dans des seconds rôles de longs-métrages. En parallèle de cette compétition, une catégorie court-métrage a été mise en place où concourait cette année 29 comédiennes et comédiens dans la sélection Jeune espoir. Le jury était composé entre autres d’Ana Blagojevic, Armande Boulanger, Stefan Crepon, Finnegan Oldfield et Jérémy Couston. En perspective, de beaux moments de cinéma et de riches rencontres dans un cadre authentique aux chaudes lumières de l’automne.

Cette 28ème édition était également l’occasion d’avant-premières pour de nombreux long-métrages qui sortiront dans le courant du mois de novembre et de février 2023. Citons : Annie Colère de Blandine Lenoir, Saint-Omer d’Alice Diop, De grandes espérances de Sylvain Desclous, Le Marchand de sable de Steve Achiepo ou encore le poignant Trois nuits par semaine de Florent Gouëlou (dont le Prix du jury pour le Meilleur second rôle masculin est allé au talentueux Harald Marlot).

Premier coup de coeur court-métrage de ce festival : Marche à l’ombre de Laura Saulnier. Premier court de la réalisatrice, il met en scène la jeune Roxane qui fait la rencontre de Medhi, au cours d’une pause dans une station-service espagnole sur le retour des vacances. La frontière française étant à quelques kilomètres, elle comprend que Medhi est en transit et que ce dernier a franchi la Méditerranée quelques semaines plus tôt. Elle réalise alors qu’avec un peu de courage, elle pourrait faire preuve d’un acte salutaire envers le jeune migrant. Seul bémol, le voyage est en blabla-car, la tentation devient forte de le faire passer pour un co-voitureur.

Portant sur le sujet sensible de l’immigration (thématique déjà présente dans le festival avec les premiers longs de Steve Achiepo et Guillaume Renusson : Le Marchand de sable et Les Survivants), Laura Saulnier questionne ici cette responsabilité qu’il y aurait à prendre… ou non, à aider son prochain. Quel est l’enjeu, pour l’autre, pour moi ? Quels sont les risques ? Suis-je prêt à risquer ce que je possède au nom d’une « bonne action illégale »… Réunissant au sein d’une même voiture, le temps de quelques kilomètres, les différentes opinions qui peuvent nous animer sur le sujet. Entre l’empathie, feinte ou réelle, l’indifférence ou encore le rejet, Laura Saulnier dresse ici un portrait acerbe des nantis que nous sommes, trop souvent en prise avec nos peurs, nos élans de charité, nos certitudes… mais un peu moins avec nos remords.

Autre petit ovni de ce festival : Souvenirs de la Lune d’Antoine Dricot, objet insolite qui a d’emblée le mérite de poser un univers à mi-chemin entre le fantastique et la science-fiction, genres qui ne sont pas si fréquents dans le format du court-métrage.

Deux jeunes femmes (interprétées par Mailys Dumon et Sophie Maréchal, nominées dans la sélection) se croisent par hasard avant de se rendre à une soirée où une bande d’amis se préparent à traverser la nuit d’une lune qui n’apparait que tous les vingt-et-un ans. Avec une photographie légèrement pastel qui alterne le chaud et le froid au cours de cette soirée, le temps semble se distendre pour les personnages où leurs perceptions respectives de l’une et de l’autre s’attendrissent, se décalent puis s’étiolent, à l’image des marées fluctuantes trop sujettes aux mouvements d’une lune capricieuse. Avec une certaine ingéniosité et des moyens apparement modestes, Antoine Dricot parvient à offrir subtilement cet effet d’altération de la réalité avec des couloirs temporels dans lesquels se perdent les personnages. Ainsi, dans cette ambiance kafkaïenne qui semble faire un clin d’oeil shakespearien au Songe d’une nuit d’été, la nuit devient ce moment d’égarement pour les jeunes amants, sous l’oeil livide de l’astre mort, pour qu’ils se reconnaissent enfin, au petit matin.

Restons dans les cieux quelques instants avec Le ciel s’est déchiré de Germain Le Carpentier, qui nous emmène dans les méandres métaphysiques d’un jeune père qui a perdu son enfant. Se tournant vers les voies du Seigneur, Marc se rend quelques jours dans une abbaye pour trouver l’apaisement ; sans le savoir, cet humble séjour pourrait remettre en question les choix de vie du jeune homme sans qu’il mesure les conséquences sur ceux qui l’entourent.

Dès les premières minutes du film, le réalisateur pose un rythme lent et étale qui est le propre de ces vies monacales ponctuées de rituels où les silences, empreints de recueillement, traduisent une parole qui a parfois du mal à se livrer. Abattu, sujet au cauchemars, Marc (interprété par Maxime Roy, déjà présent lors de l’édition précédente du festival en tant que réalisateur pour Les Héroïques) fait l’expérience d’un rapport personnel avec le Très-Haut et comprend que sa relation avec sa femme Margot (la toujours lumineuse Camille Claris, nominée également) sera très vite impactée. Indépendamment des trajectoires personnelles de résilience qu’il peut y avoir suite à un traumatisme, ce film pose aussi la question de ce qui reste d’un couple lorsque sa progéniture vient à quitter ce monde trop tôt. Peut-il survivre ? L’amour peut-il être plus fort quand l’au-delà semble être un refuge plus sûr que notre ici-bas, balayé par les violences de la vie ?

Parallèlement aux sélections, le festival Jean Carmet réquisitionnait le Théâtre municipal de la ville pour y organiser des rencontres avec le public. Parmi elles, la Société des Réalisatrices et Réalisateurs de Films (SRF) a proposé un moment d’échange entre le public et divers professionnel.les du cinéma en posant la question fertile de la représentativité de la France dans le cinéma français. À l’heure où la représentation d’un monde pluriel s’impose, qu’en est-il de la responsabilité des cinéastes et des producteurs dans leurs choix artistiques malgré des pressions financières lourdes et des stratégies marketing pas toujours glorieuses ? Représentation de la féminité et des femmes de tous âges, visibilité « accordée » au milieu LGBTQ+ et aux minorités ethniques, sans assister pour autant à une getthoïsation des rôles pour les artistes concernés… Autant de sujets et de questions fondamentales, d’utilité publique même, qui permettent de construire et de renforcer le cinéma français au jour le jour pour répondre en définitive que bien au delà de représenter la France, le cinéma français se doit de la changer, voire de la transfigurer !

Augustin Passard

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