Bambi de Sébastien Lifshitz

En explorant la question de l’intime à travers les trajectoires de vies singulières et situées à la marge, le cinéaste Sébastien Lifshitz a l’habitude de ramener à la lumière des sujets sensibles, hélas, encore largement soumis à la controverse. Son bouleversant documentaire Adolescentes (2020), une histoire de deux amies de collège sur le chemin de l’âge adulte, remporte en mars 2021 trois César, tandis que Petite fille, filmé la même année et racontant le parcours et la difficile intégration d’un garçon qui aspire à se faire reconnaître comme fille, obtient un record d’audience sur Arte en 2020.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que son film touche aux problèmes de choix d’identité chez les personnes transgenres. Notamment avec Bambi, réalisé en 2013 et chroniqué sur notre site en 2014, il trace le destin de Marie-Pierre Pruvot, une des premières françaises revendiquant publiquement sa transidentité, avant même que le terme ne s’introduise dans l’espace médiatique.

Le coffret collector DVD et Blu-ray édité tout récemment par The Jokers Films sera une belle occasion à (re)découvrir ce magnifique portrait en version rallongée de plus de trente minutes de séquences inédites, et complété par de curieux bonus : deux courts-métrages réalisés par Marie-Pierre elle-même, ainsi que de multiples photos avec ses propres commentaires, imprimées dans un livret.

Son histoire commence en Algérie en 1935. Née sous le prénom de Jean-Pierre, elle ne se sent jamais d’accord avec son sexe biologique. A l’âge de 17 ans, fuyant son pays natal, elle s’installe à Paris et rejoint la troupe des cabarets transgenre émergents : le Carrousel et Chez Madame Arthur, et se fait connaître sous son nom de scène, Bambi, se liant d’amitié avec d’autres vedettes de l’époque, comme Coccinelle et Capucine. Après avoir passé son bac à l’âge de 33 ans, elle quitte ce milieu festif pour se consacrer au métier de professeure de français pendant les vingt-neuf années suivantes qu’elle vivra dans l’anonymat absolu.

Lors des entretiens ou de retour en Algérie, sur les lieux de son enfance, suivie par la caméra, Marie-Pierre offre un témoignage d’une grande sincérité, sans que les émotions ne prennent le dessus sur sa voix paisible et son éloquence naturelle. Toujours rayonnante malgré les années, elle ressort victorieuse du combat qu’elle a mené durant toute sa vie pour l’affirmation de son identité. Le temps semble avoir réussi à apaiser ses blessures, et cette sérénité dans l’échange est à mettre au crédit du réalisateur, et de sa mise en scène discrètement pudique.

Sébastien Lifshitz laisse advenir les instants du réel tels quels, sans oser influencer le fil de pensée de sa protagoniste. Ses choix de points de vue ne paraissent jamais voyeuristes : dans les rues obscures de la Kabylie ou auprès du caveau familial, la caméra, toujours placée à distance, souvent même derrière son dos, laisse Bambi déambuler à travers le paysage comme dans ses souvenirs. Emue de revoir sa région natale, elle peine toutefois à reconnaître les lieux qui ont jalonné son histoire. « Je voulais qu’elle puisse vivre ces moments le plus librement possible, et c’était à moi de retrouver ma place avec la caméra », confia un jour Sébastien Lifshitz à ce propos.

Complétant son témoignage par de précieux documents d’époque, des photos et des archives Super 8 (qu’elle avait conservés), le réalisateur maîtrise parfaitement les dualités classiques, public/privé, passé/présent, qui s’entrecroisent aussi souvent au sein du film documentaire. Bambi apparaît alors comme un hymne universel à la résilience face aux discriminations subies au quotidien par des minorités sexuelles et de genre.

Polina Khachaturova

Bambi de Sébastien Lifshitz : DVD et Blu-ray édition The Jokers Films

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