Le film de la semaine : Prematur de Gunhild Enger

Prematur, le cinquième court-métrage de la réalisatrice norvégienne Gunhild Enger met en scène Martin, norvégien, et sa petite-amie espagnole, Lucia, dans l’espace confiné et clos d’une voiture, 17 minutes durant. Pour la jeune femme enceinte, c’est un premier contact avec la Norvège et ses beaux-parents.

Et quoi de mieux pour briser la glace que d’échanger des banalités et des clichés éculés sur la culture de l’autre? Dans l’ordre, le temps : « Brrr brrr (« ffff ffff » en norvégien), il y a du vent dehors! ». Le voyage : « Le vol s’est bien passé ? Pas de turbulences? Vous avez récupéré tous vos bagages? » La jeune Lucia ose même un « tusen takk » (« merci beaucoup » en norvégien). Petits rires satisfaits. Enfin, les stéréotypes sur les deux cultures : « Ahh! L’Espagne! Les tapas! Le flamenco! La sangria! Julius Inglesias! Comment ça il s’appelle Julio? Quoi, Martin?! Tu ne lui a pas parlé des vikings?? Enfin! C’est important! Ce peuple de braves conquérants qui a combattu jusqu’en Espagne! Si si. » Blanc.

Chacun a sorti sa petite formule d’usage mais la conversation n’a pas pris. Alors, c’est la maman de Martin qui se charge de combler le vide en animant -seule- la conversation. Sauf qu’à trop vouloir jouer les chefs d’orchestre, c’est elle qui finit par faire monter le malaise crescendo. 17 minutes, c’est peu et pourtant une éternité pour ce trajet en voiture plein de tensions, de malentendus et d’incompréhensions.

C’est que, petit à petit, la connivence et les sourires s’effacent sous l’accumulation de quiproquos. Ils disparaissent totalement lorsque la mère offre son cadeau à Lucia : une « negro doll » qui ne semble pas faire l’unanimité. Décidément, les goûts et les couleurs … Le point de non-retour est atteint quand la mère, toujours elle, sous couvert de complicité femme-femme, évoque et insiste sur l’éventualité d’un enfant prématuré. Dérapage calculé ou maladresse involontaire? Le film nous laisse le soin de décider.

Fidèle à son dispositif radical (peu de décor, pas de musique, pas d’effets) et à son obsession du cadre, Gunhild Enger, la réalisatrice diplômée de Göteborg (Suède) qui a fait ses premières armes en Ecosse, croque avec finesse et humour cette rencontre entre générations et cultures différentes. Elle exploite ici son concept favori, celui du tableau et du plan unique, dans le cadre étroit d’une voiture. Elle choisit d’épingler une fois de plus la nature humaine et ses petits travers. Et montre avec justesse une situation où l’incapacité à communiquer mène à l’impasse. Les personnages, sans jamais se faire face, vivent pourtant une rencontre très frontale dans l’environnement fermé du véhicule en marche qui créé un huis-clos efficace.

Prix Format Court au Festival de Brest 2012, Prematur est une brillante confrontation des cultures et des générations qui réussit, en un seul plan à mettre le spectateur dans l’inconfort de la scène. C’est drôle sans être grotesque, réaliste, réussi. On se dit seulement qu’à la place de Lucia, on aurait feint (ou pas) la nausée, pour sortir au plus vite de l’habitacle.

Emilie Sok

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