Mystère cannois

Hier, mardi 22 mai, avait lieu au Cinéma du Panthéon (Paris, 5ème) la reprise de la sélection de la Cinéfondation et des courts-métrages en compétition officielle à Cannes 2018. Deux séances organisées pour ceux et celles qui n’avaient pas pu voir les films sur la Croisette ce mois-ci et qui souhaitaient se rattraper pour découvrir les nouveaux talents mis en avant par les sélectionneurs de courts de Cannes.

Chaque année, les programmes de courts sont observés à la loupe par ceux qui s’y intéressent, qui travaillent dans ce secteur, qui repèrent les futurs gars et filles du long-métrage. Format Court en fait partie. Comme la Palme du long, celle du court est observée attentivement. Comme les sélections de longs, celles des courts sont attendues, décryptées, critiquées ou saluées. Cannes reste Cannes, quoi qu’on en dise.

N’ayant pas pu assister à la séance de la Cinéfondation, nous nous concentrerons sur la deuxième projection complète, malgré un jour de pluie. Une partie du jury (Bertrand Bonello en tête) et des réalisateurs sélectionnés (dont Charles William, réalisateur de All These Creatures, Palme d’or du court) étaient présents en début de séance.

Sur 3943 films reçus, le comité de sélection a retenu cette année seulement huit titres. La règle à Cannes, on le rappelle, est de sélectionner des films de 15 minutes maximum en sélection officielle. Tâche complexe tant on a vu ces dernières années des films formidables dépassant allègrement cette durée.

D’un autre côté, les sélectionneurs successifs du comité court ont découvert et mis en avant par le passé des films aussi jouissifs que Spiegel van Holland de Bert Haanstra (Pays-Bas), Rubicon de Gil Alkabetz (Allemagne), Flatlife de Jonas Geirnaert (Belgique), My Rabit Hoppy de Anthony Lucas (Australie), More than two hours et Il Silenzio d’Ali Asgari (Iran) ou Le Repas dominical de Céline Devaux (France).

Cette année, huit films donc ont retenu l’attention des sélectionneurs. Qu’en penser ? Tout d’abord, la dimension internationale propre à Cannes demeure bel et bien présente. Huit nationalités se côtoient dans cette sélection : Iran, Pologne, Chine, Japon, Philippines, France, Australie, Etats-Unis. C’est un vrai plus.

Après, une seule animation (III de Marta Pajek, Pologne) se débat comme elle peut face à 7 fictions et deux réalisatrices (Marta Pajek et Celine Held, co-réalisatrice de Caroline avec Logan George) peuvent toujours tenter de parler de parité aux 11 réalisateurs qui leur font face.

Les films maintenant. Le mystère, les belles et moins belles images, la tension, l’incompréhension et deux coups de cœur planent sur cette sélection.

Du mystère, on en trouve tout d’abord dans Gabriel, seul film français en compétition. Le film de Oren Gerner, réalisateur israélien produit par Why Not Productions, parle de la disparition d’un adolescent – Gabriel – et de la battue organisée en forêt pour le retrouver. De Gabriel, on n’entendra que le nom répété à tout-va, le film se focalisant sur l’un de ses camarades d’internat que l’on suit dans la forêt, seul, énigmatique. Sait-il quelque chose au sujet de Gabriel ? Est-il lié à sa disparition ? On ne sait pas, mystère et boule de pomme. Bon.

Tariki (Ombre) de Saeed Jafarian (Iran) suit également quelqu’un. Gabriel ? Non, une jeune femme à la recherche de son compagnon ayant disparu (décidément). Dans les ruelles sombres de la ville, elle l’appelle, ne trouvant rien ni personne sur son passage. Ah si, un homme (son compagnon ?) se met à grogner en l’apercevant, la rattrape et la drague. Elle sent bon, c’est parce qu’elle vient de prendre une douche. Bon.

Duality, film japonais réalisé par 5 auteurs, Masahiko Sato, Genki Kawamura, Yutaro Seki, Masayuki Toyota, Kentaro Hirase, commence très bien. Dans un supermarché, une jeune mère de famille hésite à prendre tel ou tel morceau de poisson qu’elle servira à déjeuner à son fils adolescent. À table, elle s’aperçoit qu’elle a reçu une lettre du père de ce dernier. Ranger le poisson, partir pour aller le voir (« Tu fais quoi dimanche ? »), permettre à son fils de faire sa connaissance. Une fois sur place, face à un groupe d’hommes, le fils hésite à s’avancer. À cet endroit, Duality comporte aussi un vague soupçon de mystère (on ne dira pas lequel), mais ce qui interpelle, c’est plus son image et ses petits gestes simples à la Kawase tels ces deux bonbons figés dans le creux d’une main maternelle. Et malheureusement, c’est tout. Les gros plans, le calme apparent de cette femme, ses sourires et ses secrets se sont déjà évaporés.

On se sent loin, très loin du film philippin Judgement de Raymund Ribay Gutierrez. L’histoire est celle de toutes les histoires. Une mère de famille porte plainte contre son compagnon drogué et violent qui l’a tabassée et qui s’en est pris aussi à sa petite fille de 4 ans. Pendant les 15 minutes du film, on suit à la manière d’un reportage filmé en temps réel toutes les étapes vécues par cette famille, du dépôt de plainte aux conséquences du procès. L’image pas terrible, le sujet mille fois traité et la chute n’arrivent pas à nous ramener au cinéma.

Voilà pour la moitié de la sélection peinant à décoller. Du côté des 4 films restants, on repère par contre des choses intéressantes. Commençons par les films primés. All These Creatures de Charles William, Palme d’or du court, évoque l’histoire d’un adolescent dont le quotidien est bouleversé par la maladie et la dépression de son père. Les petites bêtes, les démons intérieurs, le mal nous empêchant de respirer et d’aller de l’avant, est le sujet de ce film à l’image léchée, bien foutu, porté par un jeune comédien tout en puissance qui s’acquitte sans peine du job demandé, celui de faire intervenir des souvenirs fictionnalisés où la maladie, la mort, les bestioles réelles et imaginaires et la débrouille se cotoient. Le résultat, un film pas si mal, même si il lui manque ce quelque chose de percutant faisant la force d’un grand film.

Lauréat d’une Mention spéciale à Cannes, On the border de Wei Shujun parle d’errance. Celle d’un jeune Chinois désireux de se rendre en Corée du Sud dans l’espoir d’une vie meilleure. Entre espoirs et désillusions, il cherche son père et des nouveaux repères, en arpentant les rues à mobilette. Comme dans All These Creatures, les plans sont très beaux et la jeunesse est à son firmament. Ce qui interpelle en plus, dans ce film, c’est le travail de mise en scène et le dur retour à la réalité à l’image de ces néons de foires foraines et de ces salons de beauté clinquants qui s’éteignent brusquement. Pas mal.

Enfin, nos deux coups de cœur : Caroline de Celine Held et Logan George, venu des États-Unis, et III de Marta Pajek, film de nationalité polonaise. Commençons par Caroline, l’histoire certes déjà vue et revue d’enfants abandonnés par leur mère dans la voiture, le temps d’un entretien, sur un parking de supermarché, un jour de canicule. Ca fait beaucoup d’éléments scénaristiquement parlant, et pas des plus originaux à coup sûr.

L’aînée, Caroline, 6 ans, est en charge des clés de voiture en l’absence de sa mère. Allumer la climatisation, distraire son frère et sa soeur, jeter des coups d’oeil furtifs aux alentours, apaiser les tensions, Caroline sait faire. C’est sans compter la chaleur grandissante, le monde extérieur, les regards alertés des passants, les mains en visière sur les fenêtres, le déclic naturel d’appeler la police. Le court-métrage, pour la plupart filmé dans l’habitacle de la voiture, réussit à maintenir une tension palpable, entre les peurs, les pleurs, la sueur, les cris, les morsures. Caroline, le film parle simplement d’une expérience, d’un passage trop rapide, bousillé et bousculé à l’âge adulte, de la fin de l’innocence. Porté par une gamine épatante et une image là encore de feu, le film se singularise côté fiction. Un bon point.

Dernier film de cette sélection, évoqué plus haut : III de Marta Pajek, la révélation de cette sélection, celle qu’on attend d’un festival comme Cannes. Il s’agit du seul film d’animation présent dans cette compétition cannoise… Et quel film ! Difficile en réalité de parler d’histoire (on se raccroche du coup au synopsis qui parle de “rencontre soudaine entre un homme et une femme, d’acte hypnotique, de jeu de plaisir et de malaise”). Le film commence et finit par des lignes noires sur fond blanc, en mouvement, rythmées par une musique hypnotique. Une femme marche, en fourure noire. Elle s’approche d’un homme, quitte sa pelisse. Et.. Sans dévoiler le film, tout est caché, dissimulé, respiré, échangé, métamorphosé. Les murmures, les mouvements, le son, les grimaces, les tours de passe-passe, le désir, la répulsion, l’étrangeté, le mystère – on y revient – guident ce film hallucinant, éprouvant certes, mais porteur d’une vraie expérience cinématographique alliant l’innovation et le ressenti. En allant plus loin, III offre des corps démoniaques, une végétation abondante et angoissante, des peaux malaxées, des membres caressés, des engouffrements, de la destruction, de la création, de la musique étonnante, et surtout un final de plans dessinés, canons, instantanés géniaux et follement surréalistes. Notre Palme à nous.

Katia Bayer

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