La Chute de Boris Labbé

Il est des films ou l’on pourrait aimer évoquer un syndrome de Stendhal cinématographique tant les formes et la beauté des mouvements nous imprègnent à travers les tableaux picturaux qui s’enchaînent.

La Chute, film de Boris Labbé réalisé à l’encre de Chine et à l’aquarelle a été présenté ces jours-ci pour la première fois en séance spéciale à la 57ème Semaine de la Critique à Cannes. Boris Labbé s’était notamment fait connaître par un court métrage d’animation en 2015, réalisé déjà à l’encre de Chine appelé Rhizome. Ce film laissait déjà entrevoir la finesse du détail et du mouvement ainsi que le travail des différentes nuances de gris qui s’installe comme une force primordiale dans le travail de ce réalisateur et animateur français né en 1987.

Dans La Chute, apparaissent des fleurs et un environnement en nuances de gris, parfois noir, parfois blanc. Une musique douce nous entraîne. Nous sommes, semble t-il dans un jardin d’Éden ou en tout cas dans un endroit qui y ressemble. Les couleurs parsemées par-ci par-là nous attirent, la musique au violon est prenante et lancinante. Les images en boucle se succèdent dans un décor étrange et attrayant. C’est le premier tableau.

Puis, surgissent les hommes dont la symbiose dans cette nature semble complète. Venant du ciel, des oiseaux ou des hommes apparaissent. La musique change de ton malgré une terre qui semble rester en harmonie, comme en apesanteur devant les malheurs qui pourraient arriver. Les fleurs mutent et les hommes se métamorphosent en mille couleurs. Ils se confondent dans les nuances de gris et de noir de l’encre de Boris Labbé. Ici, se dresse un deuxième tableau.

Tout semble être calme mais la présence étrange de cette douceur angoissante nous englobe littéralement et après l’image d’un paradis idyllique tout en symbiose, les limbes s’accordent dans une fresque plus dure et plus sombre. Une silhouette se structure comme dans un test de Rorschach ou l’on voit une forme jaillir et devenir un monstre inhumain. Le troisième tableau prend forme.

Le rouge du sang, le noir des ténèbres font place. La nature se désagrège et l’homme qui semblait en osmose ne l’est plus et ne se confond plus avec celle-ci. Il se mange, il est mangé, il se transforme et le fœtus qui semblait pouvoir naître en être humain n’est plus. Il n’est plus qu’une colossale bête humaine. Nous avons ici le quatrième tableau.

Évoquer une oeuvre-somme pour La Chute de Boris Labbé est un mot parmi les autres. Mais réduire ce film à une somme encyclopédique qui qualifierait d’œuvre abrégée du savoir des peintures du 15ème siècle plus magnifiques les unes que les autres, assujettirait le talent de Boris Labbé.

Le film s’inspire entre autres du peintre Jerôme Bosch (Le jardin des délices – 1504 ou La tentation de saint Antoine – 1506), ou encore plus globalement à L’Enfer de Dante. C’est toute l’influence de la peinture classique du 15ème siècle qui se retrouve confrontée ici, entre les différents stades de l’enfer qui s’enchaînent et la narration remarquablement exécutée du réalisateur.

Comprendre dans le détail ce court-métrage d’environ 13 minutes, c’est essayer de comprendre la contemporanéité des différents tableaux. Certes ici, l’influence des peintures anciennes et des tableaux des grands maîtres de la Renaissance est forte, mais ce film est bien différent de l’époque de Botticelli ou de Bruegel.

Dés les premières minutes du film, nous voyons l’osmose surprenante entre l’Homme et la nature, puis la domination importante de ce même Homme qui finit par être mangé par cette nature qu’il a voulu dominer.

Ne serait-ce pas une œuvre engagée, une ode à la folie des hommes réinterprétée, façon « global warming » du 21ème siècle ? Quoi qu’il en soit, Boris Labbé se réapproprie les codes picturaux bibliques pour les rétablir dans le style contemporain. Voir une œuvre du 15ème siècle avec des yeux du 21ème est toujours difficile à représenter mais ici, Boris Labbé réussit l’exercice avec brio et nous offre une œuvre originale.

Dans le graphisme surtout, la contemporanéité est présente. Les visages sont humains par leur forme mais non-humains par leur expression, ils ne font qu’un avec la nature. Un animal parmi d’autres. Un végétal parmi les plantes. Et la musique tantôt lancinante, tantôt apocalyptique ne nous y trompe pas et se mélange magnifiquement bien avec les dessins. On est subjugué par les émotions qu’elle nous procure.

Le tableau de Boris Labbé représente ici l’humain dans son entièreté. Celui qui mange et est mangé, celui qui domine et qui est dominé. La symétrie des tableaux qui s’enchaîne dans un travelling au rythme régulier ne donne pas le temps au spectateur de se reposer et chaque détail compte.

Par un système de boucle sur un cadre donné, Boris Labbé improvise et fait le lien dans un film magnifique et prenant, entre la peinture du 15ème siècle et aujourd’hui, entre les croyances de la fin du Moyen Âge et celle du 21ème siècle. Des nuances de gris pour des nuances d’émotions, de la douceur à la noirceur. De la stupeur à l’horreur.

Clément Beraud

Consulter la fiche technique du film

Voir la page Vimeo de Boris Labbé (comprenant plusieurs de ses anciens courts)

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