Île Courts, notre compte-rendu

Il court, il court. Le Furet ? Non, le festival Île Courts, l’unique festival du court métrage de l’île Maurice. Du 6 au 10 octobre 2015, l’association Porteurs d’images a déplacé son jeune festival, le huitième du nom, dans différents endroits de l’île. À l’Université d’abord, mais aussi au cinéma (Le Bagatelle), sur la pelouse de Chemin Grenier, sur le bitume de Plaza et de Caudan Waterfront et sur la plage de Tamarin. Invité au festival pour animer un atelier autour de l’écriture et du journalisme, Format Court a passé quelques jours à l’île Maurice. Reportage.

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Difficile de ne pas croiser la mascotte de cette édition, l’éléphant royal, sur fond jaune, un “animal fédérateur, symbole de longévité, de savoir et de connaissance, qui marque notre ouverture cette année aux films de l’Océan Indien, de l’Afrique du Sud à l’Inde, qui marque aussi notre envie de nous inscrire dans la durée, de faire office de passeurs auprès des étudiants, et de toucher autant les jeunes spectateurs en salle que tous les publics pendant les projections en plein air. En plus, c’est sympa, les éléphants, tout le monde les aime !” explique, en riant, Elise Mignot, la responsable du festival.

Du pachyderme sympa, on en a donc vu à profusion, sur les murs de l’université de Maurice, à l’exposition organisée par ses étudiants en communication et journalisme, à l’hôtel Tamarin où résidaient les festivaliers, dans les différents lieux de projection, mais aussi sur le DVD 2015 reprenant les trois films produits et distribués cette année dans le cadre de Film Fabrik, un programme de soutien aux auteurs/réalisateurs mauriciens porté par Porteurs d’images.

Pour une critique venue du froid et des festivals européens, l’île Maurice est encore et toujours associée à des images préconçues (le bout du monde, des plages, le dodo et le créole) et un projet comme Île Courts représente une nouvelle expérience à laquelle il est bon de se confronter car sur l’île, tout est différent : les rencontres, les films, les auteurs, les lieux de diffusion, la nourriture, les paysages, le mode de vie, … Que ce soit au marché de Port-Louis (où les pommes d’amour, à savoir les tomates, s’affichent à côté de bon nombre de fruits et légumes inconnus à nos yeux), dans les hauteurs où on découvre des plantations à perte de vue, à l’université et dans la rue où les cultes et les cultures se côtoient sans réellement se mélanger.

Après un voyage fatiguant, un dilemme impossible dans l’avion (pâtes ou poulet ?), une escale aux Seychelles (sans possibilité d’escapade), on sort enfin de l’aéroport, crevé mais content de voir un palmier (un vrai), le soleil et les autres festivaliers. Après avoir longé des boutiques colorées, des panneaux publicitaires d’un autre temps, des temples hindous et une verdure luxuriante, on arrive enfin à l’hôtel, en n’ayant qu’une demi-heure montre en main avant de se rendre à l’ouverture du festival. Le temps suffisant pour se rafraîchir, prendre la température de la piscine (elle est bonne) et faire des bêtes selfies à la plage.

On nous dépose au Cinéma Bagatelle, situé à l’intérieur d’un grand centre commercial homonyme, où les derniers blockbusters prennent beaucoup de place, avec en tête le dernier Tom Cruise, encore et toujours de cuir vêtu. Entre deux productions made in USA, notre copain l’éléphant pointe le bout de sa trompe, et c’est muni d’un petit jus de coco qu’on découvre quatre films mauriciens, dans une salle pleine de spectateurs et de réalisateurs venus d’un peu partout (Inde, Comores, Seychelles, Madagascar, Réunion, Nigeria, France, États-Unis).

Île Courts a plusieurs particularités. C’est avant tout un festival gratuit qui propose des séances de courts-métrages chaque jour à l’Université (avec cette année, des focus autour des Royaume-Uni, de l’Asie du Sud-Est et des Caraïbes). C’est également un festival mobile qui va à la rencontre des habitants de l’île du Nord au Sud et qui propose chaque soir des projections en plein air, à travers quatre séances surnommées “Sinema Koltar”. C’est donc sous les étoiles que plusieurs jours de suite, on découvre après une série de concerts, emmitouflé dans une couverture ou un pull prêté par l’équipe, des propositions mauriciennes, malgaches, indiennes, iraniennes, comoriennes et sud-africaines, autant dire des films qu’on n’a pas du tout l’habitude de voir sur place mais aussi en Europe, par manque d’accès et de visibilité.

Devant les films, chacun réagit à sa manière. Les enfants se marrent devant la bande-annonce de Canal +, partenaire du festival, car ils ont reconnu deux-trois Mignons, le public applaudit « Boutik » de Damien Dittberner, une comédie sociale où un enfant se montre plus malin qu’un boutiquier. Le film plait à un certain nombre de spectateurs pour sa langue rarement entendue au cinéma (le créole) et son univers facilement identifiable par les Mauriciens qui ont peu l’habitude de voir leur culture et leur univers représentés sur grand écran.

D’autres films attirent plutôt l’attention des professionnels présents venus pour des ateliers de formation (comme « Paandhrya », un moyen-métrage indien s’intéressant à un jeune garçon en quête d’amour maternel, réalisé par Sandeep Mane ou « Coups de hache pour une pirogue » de Gile Razafitsihadinoina, un très beau documentaire malgache sur la construction d’une pirogue dans un village du sud-est de Madagascar).

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C’est malgré tout la séance consacrée au Festival de Clermont-Ferrand qui rassemble le plus de monde, le vendredi soir, sur la plage de Tamarin. En famille, entre amis ou en solo, le public y découvre une sélection de films français, suisses, hollandais, tunisiens et portugais, tous sélectionnés à la dernière édition. Animation, fiction, expérimental : la diversité du court métrage se déploie sur écran géant, dans l’optique du plaisir, du partage et de la découverte.

Et ça prend. Applaudissements devant « Guy Moquet » , un film sur l’amour et le cinéma en banlieue grenobloise, rires devant « Jean-Michel Le Caribou des bois », un super-héros-caribou trop timide pour déclarer sa flamme à une belle infirmière, … Face à des films de qualité, le public mauricien découvre que le cinéma peut être autre chose que Tom Cruise en cuir, que le court métrage peut offrir autant – si pas plus – d’émotions qu’un long-métrage.

© Burty Makoona© Burty Makoona

Ça prend aussi aussi du côté des étudiants en journalisme et communication de l’Université de Maurice dans le cadre d’un atelier autour de l’écriture qu’on donne à l’invitation du festival, et qui découvrent, surpris et intéressés, des films et des propositions d’ailleurs, parfois à la limite de l’expérimental, venues de Chine, de France, d’Italie ou du Canada. Poussés par leur dynamique professeur Gundeea Narrainen, ces étudiants un peu intimidés de prime abord, se mettent à réagir, à rire, à pousser des cris devant les films, à en réclamer d’autres, à découvrir des langues inconnues et de nouvelles façons de raconter des histoires. Curieux, ils demandent aussi ce qu’est une critique, sortent leur enregistreur pour faire des interviews improvisés de réalisateurs, évoquent la quasi absence de leur langue (le créole) dans les médias, et souhaitent surtout, en tant que futurs journalistes, devenir à leur tour des passeurs.

L’encadrement, l’éducation à l’image, la transmission, autant de mots-clés importants également pour Elise Mignot qui estime que tout est à imaginer sur l’île, en l’absence d’école et d’industrie de cinéma : “En termes de création, il n’y a pas grand-chose. Notre festival est non compétitif et le territoire est petit. On est encore jeune, peu de films se font ici, à Maurice. Ils ont beaucoup de mal à voir le jour. On préfère mettre de l’argent dans la formation et des formateurs que dans un jury et des prix. Pour le moment, on travaille avec des personnes de l’étranger, mais petit à petit, des formateurs mauriciens commencent à apparaître, à avoir leurs propres bagages. On pousse vraiment à la spécialisation. Les réalisateurs par exemple ont tendance à monter leurs films, on estime pour notre part que les gens doivent choisir un domaine, y parfaire leurs connaissance et y rester.” Raison pour laquelle pendant la brève semaine du festival, différents pros sont invités. Le parrain, le cinéaste nigérien Newton I. Aduaka, donne une masterclass, le scénariste et réalisateur français Renaud Cohen (“Au cas où je n’aurais pas la palme d’or”) anime un atelier de scénario et Nadia Ben Rachid, la monteuse franco-tunisienne attitrée de Abderrahmane Sissako, césarisée pour « Timbuktu » encadre des jeunes participants pour un atelier de montage. De son côté, le Français Bertrand Rouchut, programmateur au festival de Clermont-Ferrand, propose un atelier de programmation à des élèves d’un lycée local, l’Américain Tim Skousen (« The Sasquatch Gang”, “Zero Percent”) propose une formation en réalisation et le Mauricien Jon Rabaud encadre 8 jeunes réalisateurs de l’Océan indien âgés de 16 et 24 ans, lauréats du concours EcoClip autour de l’environnement durable, pour écrire et tourner un kino en l’espace de 5 jours.

Limités à une poignée de participants, ces ateliers pratiques permettent à des candidats réellement motivés, ayant pour certains déjà fait leurs premiers pas dans le court, de bénéficier des conseils ds professionnels bien difficiles d’accès en temps normal et de travailler autour d’un projet bien précis en tête : comprendre l’importance du montage en reprenant les rushes d’un film local, réécrire son scénario, faire un film collectif, apprendre les différents poste d’un tournage (lumière, son, cadre, …).

Cela fait maintenant 8 ans qu’Île Courts balade, avec les difficultés propres à tout festival, son petit logo (une boîte à outils), constitue progressivement une cinématographie locale à Maurice et participe à la visibilité du cinéma de l’Océan Indien, en collaboration avec d’autres structures qui font le même travail à l’année. De la conception à la distribution en passant par l’éducation à l’image, la formation de professionnels, la production et la diffusion, le festival travaille à l’année avec le RFC (Rencontres du Film Court de Madagascar), le tout jeune Festival international de Comores qui n’en est qu’à sa deuxième édition et le FIFAI, le Festival international du Film d’Afrique et des îles à la Réunion.

S’entraider, développer un réseau, programmer les films d’un festival partenaire, réunir les jeunes pousses de l’Océan indien, inviter des professionnels à partager leurs expériences et connaissances, encourager les actuels et futurs réalisateurs, scénaristes, techniciens, producteurs, programmateurs, travailler main dans la main avec le public, façonner un festival à taille humaine : Île Courts a quelques très bonnes idées dans sa besace.

Si les films réalisés dans la région ont encore souvent des défauts, souvent liés au scénario, il en arrive de plus en plus au comité de sélection. 46 personnes font désormais partie de l’association de professionnels de l’île, c’est bien plus qu’à ses débuts (5 personnes seulement). Depuis 2009, 30 films ont été réalisés grâce au festival qui en produit désormais plusieurs chaque année, avec un budget restreint mais existant pour chaque projet.

Bien entendu, ces chiffres sont très éloignés de la réalité européenne, notamment française, où un nombre considérable de films arrivent à se monter chaque année, avec plus ou moins de budget, mais si petit à petit l’oiseau fait son nid, Île Courts galope désormais à dos d’éléphant sympa. En témoigne, le nombre de spectateurs passé de 200 la première année à plus de 3.000 l’an dernier. D’excellentes nouvelles et de réels encouragements pour envisager l’édition de l’année prochaine et poursuivre les efforts mis en place pour faire connaître le cinéma et les auteurs émergents de l’île Maurice.

Katia Bayer

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