Jean-Sébastien Chauvin : « Il faut veiller à ce que le «moi critique» et le «moi réalisateur» regardent dans la même direction »

Jean-Sébastien Chauvin est critique de cinéma (Cahiers du Cinéma, Chronic’art, Vogue) et enseignant à l’ESEC (École Supérieures des Études Cinématographiques). Depuis 2008, il a réalisé cinq courts-métrages qui tracent une voie singulière au sein de la production française de par leur inspiration fantastique et leur propension à ouvrir leurs cadres sur des territoires peu explorés. Son nouvel opus « Les Enfants » que nous avions découvert lors de l’ultime édition du festival de Vendôme l’année dernière se retrouve aujourd’hui en compétition parmi les moyens-métrages du Festival de Brive. Rencontre avec un cinéaste pour qui le geste de création est indissociable d’une lutte pour la croyance dans l’imaginaire.

chauvin1

Comment es-tu arrivé au cinéma ?

Je suis cinéphile depuis mes quinze ans. Mes parents étaient eux-mêmes des cinéphiles autodidactes et je sais que je leur dois beaucoup. J’ai toujours fantasmé l’idée de faire des films, mais j’ai mis beaucoup de temps à y venir car je ne me sentais pas prêt, je n’avais pas la maturité nécessaire. Après la fac, j’ai connu deux années de flottement à l’issue desquels je me suis dit que je pourrais écrire sur le cinéma. C’était une idée qui me tentait d’autant que j’étais lecteur des Cahiers du Cinéma depuis longtemps. J’ai commencé à écrire des critiques dans mon coin, puis je les ai envoyées à tout le monde, à toutes les revues spécialisées de Paris. J’ai eu la chance que cela soit Les Cahiers du Cinéma qui me répondent.

Pour moi, la critique était un domaine très intéressant car c’était une autre manière de faire des films. J’ai toujours considéré que l’intérêt de l’exercice ne résidait pas seulement dans l’expression d’une pensée critique, mais qu’il permettait également de « refaire » le film, de l’analyser, de comprendre son fonctionnement, son esprit. Quand j’ai commencé à réaliser des films, j’ai compris que les questions que se pose un cinéaste n’ont pas grand chose à voir avec la lecture d’un critique qui est souvent très théorique. La décision de me lancer dans la réalisation est venue en 2004, quand toute la rédaction des Cahiers dont je faisais partie s’est fait virer par les nouveaux arrivants. J’ai profité du passage à vide qui a suivi pour sauter le pas, et j’ai co-écrit avec Sébastien Bénédict le court-métrage « Les filles de feu » qui a été produit par le GREC.

L’exercice critique a-t-il influencé ton travail de réalisateur ?

Tout à fait, dans la mesure où cela m’a permis d’affiner mes goûts et de savoir quel genre de films j’avais envie de réaliser. Cela dit, je pense que c’est aussi en réalisant des films que l’on découvre ce que l’on a vraiment envie de faire. Un autre aspect qui m’a toujours semblé important, c’est que le passage à la réalisation soit un prolongement, une mise en application des idéaux critiques. On vit aujourd’hui dans une époque où la parole n’a plus aucune valeur, où l’on constate qu’un candidat à la présidence de la République est capable de faire exactement le contraire de ce qu’il a promis durant sa campagne le lendemain de son accession au pouvoir. À notre niveau, je pense qu’il est important de s’imposer une discipline car j’ai l’impression que c’est très facile de se formater, de finir par faire des choses en tant que réalisateur que l’on n’aurait jamais supporté en tant que critique. Il faut veiller à ce que le «moi critique» et le «moi réalisateur» regardent dans la même direction.

Quelle a été la genèse de ton dernier court-métrage, « Les Enfants » ?

Pour dire la vérité, c’est parti d’une blague ! J’ai dit un jour à Stefan Lauper, l’artiste qui avait conçu le téléphone magique de mon précédent film « Et ils gravirent la montagne » que j’aimerais bien réaliser un film avec une soucoupe volante, puisque la science-fiction est un genre que j’adore et qu’inconsciemment, je voulais investir depuis longtemps. Stefan m’a répondu un peu comme une provocation : « Si tu veux, je te la construis cette soucoupe ! ». C’est vraiment parti de là, et j’ai ensuite imaginé cette histoire d’une mère qui serait exclue de l’imaginaire de ses enfants alors qu’ils fuient ensemble un monde apocalyptique. Je me rends compte aujourd’hui qu’il s’agit d’un point commun à tous mes films, cette mise en scène des êtres qui sont séparés par une barrière. Et cette barrière, essentiellement, est celle de l’imaginaire. J’insiste dessus car il y a presque une dimension politique à raconter cette situation, dans une époque où on nous assène en permanence qu’il faut « être réaliste », alors que tous ceux qui ont fait bougé les choses dans l’histoire ont pu le faire car ils croyaient en un idéal, en leurs rêves.

les-enfants-Jean-Sébastien-Chauvin

Ce qui me plaisait dans le scénario des « Enfants », c’était de mettre en scène un univers fantastique qui ne correspondrait pas à une vision d’un paradis artificiel, mais qui à force de croyance finirait par devenir concret. Et la mère dans cette histoire, puisqu’elle refuse de croire dans l’imaginaire de ses enfants, est rejetée de cet univers. Il y avait donc à l’origine du projet cette blague autour de la soucoupe et ce pitch qui tenait en un paragraphe. L’écriture du scénario est toujours une étape compliquée pour moi, et pour ce projet, une de mes amies écrivains, Hélène Frappat, m’a proposé d’écrire le script. Entre ses romans et mes films, il y a plusieurs points d’accroches. La rédaction est donc allée assez vite.

Ce besoin de croire en l’imaginaire qui impulse ta démarche et relie chacun de tes films fait apparaître d’autres similitudes. Tes films font presque tous le récit d’un parcours dans lequel tes personnages vont quitter un semblant de civilisation pour fuir vers la forêt où ils partiront en quête de leur lumière intérieure. En cela, la fin de « Et ils gravirent la montagne » et des « Enfants » est la même : deux personnages s’en vont vers la voûte céleste et rejoignent les étoiles.

Je n’avais pas formulé clairement cette idée, ce schéma, mais effectivement ce mouvement qui fait avancer les personnages de mes films traduit sans doute le besoin que j’ai d’être sincère avec moi-même, de pousser la logique et le désir jusqu’au bout. Le monde d’aujourd’hui ne pousse pas forcément les individus à être sincères, et en leur vendant une idéologie hyper individualiste dont le slogan serait « Soyez vous-même ! » ne donne finalement que le droit à chacun d’être comme tout le monde. Je comprends parfaitement les envies de révoltes de certains, le besoin d’envoyer valser un système qui les oppresse en tuant leur imaginaire.

J’ai réalisé il y a quelques années un film avec un groupe de collégiens dans le cadre d’un atelier proposé par le festival de Pantin. L’idée était de réaliser un court-métrage fantastique, et au cours d’une improvisation où l’un des élèves était attaqué par un monstre, tous ses camarades ont réagi de la même façon : ils ont fui et l’ont laissé en plan ! Sur le moment, ça m’a amusé, et je leur ai dit sur le mode de la plaisanterie qu’ils n’étaient pas très solidaires. Et eux m’ont répondu, à la fois blagueurs et sérieux, que c’était « chacun pour soi ». C’est un détail mais qui est révélateur d’une violence ancrée dans la société et que les plus jeunes sont déjà prêts à retourner contre les autres. Une de mes ambitions est de réussir à filmer justement l’utopie d’un groupe dans mes prochaines réalisations, pour sortir du schéma du couple ou du trio sur lesquels étaient construits tous mes films jusqu’à présent.

Tes films révèlent tous un souci, une ambition de travailler à partir du « décor français », de s’emparer de ses espaces pour en exploiter la ciné-génie et raconter une histoire. À travers des cadres fixes, un découpage très élaboré et la manière de faire se mouvoir les corps dans l’espace, tu parviens à transcender ces décors et à leur donner une nouvelle dimension. Comment appréhendes-tu cet élément pendant la fabrication ?

Les lieux sont parfois même à l’origine des scénarios. Pour « Les filles de feu », j’ai co-écrit avec Sébastien Bénédict une histoire qui prenait pour décor les résidences d’immeubles qu’il habitait alors. L’impression première que j’avais en arpentant ces lieux était que je pouvais m’y perdre facilement, car ils avaient un aspect labyrinthique. Je trouvais à ces espaces des qualités très cinématographiques, et ils ont réellement impulsé et guidé l’écriture de la fiction. Je pense que l’on ne peut pas filmer indifféremment des lieux pour raconter une histoire. Godard disait qu’il faut « faire un casting de lieux comme on ferait un casting d’acteurs », et je souscris complètement à cette idée.

Pour « Les Enfants », j’avais envie de tourner en Bretagne car j’avais repéré des lieux et des paysages qui m’inspiraient en faisant des recherches sur le net. Je me disais que si je n’obtenais pas l’aide de la région, j’aurais été bien en peine. J’aurais pu tourner le film ailleurs, mais ça n’aurait pas été la même chose. Je considère les lieux comme des personnages, et j’aime les filmer comme s’ils étaient vivants, comme s’ils interagissaient avec les acteurs. Par exemple, dans « Et ils gravirent la montagne », l’idée était de montrer que le lieu observe les deux adolescents durant leur fuite. Cette notion du paysage me fascine et m’émeut, notamment dans le cinéma américain. Je suis souvent déçu de constater que les réalisateurs français ne profitent pas plus des paysages magnifiques que l’on peut trouver en France.

les-enfants-chauvin

Quels sont tes projets pour la suite ?

Je viens de commencer l’écriture d’un long-métrage avec Hélène Frappat. Nous ne sommes qu’au début d’un long processus de création et si l’on arrive à le mener à son terme, je réaliserai mon premier long-métrage. Le film s’inscrira à nouveau dans le registre fantastique et racontera une histoire d’amour passionnelle à partir d’un présupposé surnaturel.

Propos recueillis par Marc-Antoine Vaugeois

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *