Benjamin Nuel : « Même si j’essaye d’être drôle, mes films ont généralement un fond sombre et désespéré »

Benjamin Nuel présentait « Les Éclaireurs », son dernier court-métrage en compétition au Festival de Vendôme. Humour pince-sans-rire et mélancolie adolescente sont au rendez-vous dans cette étonnante comédie où de jeunes adultes se remémorent leur improbable passé de supers enquêteurs lors de retrouvailles dans un restaurant chinois. Le réalisateur est revenu pour Format Court sur son parcours, ses méthodes de travail et son intérêt pour de multiples médiums.

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Comment es-tu arrivé au cinéma ?

L’envie de faire des films m’est venue très tôt. J’avais même tout planifié : intégrer une formation préparatoire, passer le concours de la Fémis… Finalement, ça ne s’est pas du tout passé comme ça. Je suis allé faire mes études là où j’ai été accepté en premier, et assez mystérieusement : aux Arts Décoratifs de Strasbourg. Je m’y suis senti très bien, j’y ai été amené à remettre en question ma manière d’appréhender le cinéma, de fabriquer les films. Je n’avais dès lors plus très envie de rentrer dans ce milieu par les voies classiques des formations ou de l’assistanat sur le terrain. À ma sortie des Arts Décos, j’avais bien essayé de lancer quelques projets de films, mais face à la difficulté de réaliser les projets qui m’intéressaient, je me suis tourné vers le Fresnoy. J’y ai alors disposé de moyens me permettant de mettre en chantier les projets que j’avais sous le coude.

Il se trouve que, par la suite, j’ai développé au Fresnoy un médium auquel je ne me destinais pas particulièrement : le jeu vidéo. J’en avais déjà conçu un aux Arts Décos, et j’en ai réalisé un autre lors de mon passage au Fresnoy, qui s’intitule « HOTEL ». Mon travail a commencé à être connu et reconnu à ce moment là.

Ce qui est intéressant, c’est que tu as conçu ces fictions racontées sous forme de jeux-vidéos à un moment où plusieurs réalisateurs émergents utilisent l’imagerie et les techniques propres aux univers virtuels pour raconter leurs histoires. Je pense notamment aux films de Benoît Forgeard (« L’Antivirus », « Laika Park »), ou encore à ceux de Jonathan Vinel et Caroline Poggi (« Tant qu’il nous reste des fusils à pompes »). Comment ces médiums influencent-ils tes réalisations ?

Je pense que l’on filtre simplement tout ce qui nous a nourri durant notre enfance et notre adolescence, ce qui nous a constitué. Ma génération, ou même celle de Benoît Forgeard, a intégré toutes ces écritures et tous ces médiums qui sont apparus dans le courant des années 80. Pour « HOTEL», la motivation première n’était pas de me référer à la grammaire ou à l’imagerie des jeux vidéos pour raconter une histoire, mais d’épouser complètement ces codes pour trouver une liberté dans la mise en scène, en développant des cinématiques qui permettent aux spectateurs de déambuler dans un univers virtuel. Cela me permettait de travailler le rapport à l’espace et au temps de façon inédite et avec une latitude que je n’aurais pas trouvée dans la prise de vue réelle. Pour moi, il s’agit de deux médiums complètement différents qui ont chacun leurs écritures et leurs spécificités. Après avoir réalisé « HOTEL », j’en avais un peu assez des images virtuelles, de la 3D, j’avais besoin de revenir au cinéma et à la fiction. « Les Éclaireurs » est l’un de ces projets.

Peux tu me parler de la genèse de ce film qui met en scène les retrouvailles entre les membres d’un ancien groupe de supers boy-scouts qui formaient dans leur jeunesse une bande d’enquêteurs à la «Scooby-Doo» ?

« Les Éclaireurs » est un court-métrage adapté d’une idée que je développe pour un film long. C’était relativement facile de reprendre les personnages et le principe du film pour en faire une histoire courte. J’ai également répondu à une invitation de Christophe Taudière, qui dirige le département court-métrage à France 2, et qui cherchait de nouveaux films à soutenir. J’ai écrit ce court-métrage comme s’il s’agissait d’un épisode d’une de leurs aventures.

Effectivement, les séries et dessins animés de mon enfance, comme « Scooby-Doo » et toutes les histoires d’adolescents enquêteurs ont été une source d’inspiration importante. J’ai pris le parti de mettre en scène dès le début du film un groupe dévoyé, avec cette réunion d’une bande incomplète de trentenaires qui ont chacun fait leur chemin et repensent à leurs aventures passées. Dès l’origine, l’univers enfantin est corrompu. Lorsque cette enquête avec le ninja est évoquée au cours du film, on comprend qu’ils étaient confrontés à des affaires un peu violentes, dangereuses. J’avais envie d’inscrire leur histoire dans un registre assez réaliste et cru.

Quand on regarde chacun de tes films, on a la sensation que leur trait commun tient dans la manière dont tu mets en scène des personnages qui seraient des figures antagonistes amenées à se réconcilier : le jeune apache et le vieux cow-boy dans « Un cheval sans nom », les GI et les terroristes de « HOTEL » et ici les Éclaireurs face à un de leurs anciens ennemis. L’enjeu narratif ne tient pas dans l’opposition, mais vraiment dans leur lutte pour survivre ensemble dans un monde violent qui se délite, se désagrège.

Cela me fait plaisir que tu me dises ça, car je n’y avais pas spécialement pensé. C’est rassurant car j’ai toujours l’impression de réaliser des films déprimants (rires) ! Même si j’essaye d’être drôle, mes films ont généralement un fond sombre et désespéré. Savoir que l’on peut y trouver de la réconciliation, de l’entente, me rassure un peu.

Comment s’est déroulé le casting pour « Les Éclaireurs » ? La distribution est assez originale. On y retrouve notamment Anne Steffens (actrice fétiche de Benoît Forgeard) et le chanteur Arnaud Fleurent-Didier dont c’est le premier rôle au cinéma.

J’ai écrit plusieurs personnages du film en ayant directement en tête les interprètes, comme Anne Steffens ou Olivier Desautel. Pour d’autres personnages, je cherchais des profils et la découverte s’est faite au gré des rencontres. Je n’ai pas fait de castings, je n’ai pas vu défiler des dizaines de comédiens pour un rôle. J’avais contacté Arnaud Fleurent-Didier pour qu’il réalise la musique du film. Lorsqu’on s’est rencontré, c’est devenu évident pour moi qu’il devait incarner le personnage de Lulu à l’âge adulte. D’autant que l’on avait déjà trouvé son homologue adolescent, et que les deux profils collaient parfaitement. En outre, je sentais chez lui un désir de cinéma très fort, en visionnant les clips qu’il réalise pour sa musique notamment. On s’est tout de suite compris, et il a très vite donné son accord pour jouer dans le film.

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Après avoir réuni les acteurs, comment as tu travaillé avec eux ?

Pour ce film, je me suis dit que j’allais essayer de leur laisser plus de latitudes dans le jeu, en les laissant improviser sur le texte notamment. Très rapidement, on s’est mis d’accord pour ne pas trop retoucher les dialogues que j’avais écrit, les comédiens préféraient s’y tenir et trouver leur liberté dedans. Pour la première fois, j’ai vraiment profité des répétitions avant le tournage pour travailler avec les acteurs, et j’y ai pris beaucoup de plaisir. Comme les situations que je met en scène ne reposent pas sur des performances d’acteur, on pouvait s’attarder longuement sur les dialogues et les intentions de chaque personnage sans trop courir le risque de perdre l’énergie ou la fraîcheur du jeu au moment du tournage. Ce processus de travail m’a vraiment plu sur ce film, et je pense le reconduire et l’approfondir dans mes futures réalisations.

Outre la présence d’Anne Steffens au casting des « Éclaireurs », d’autres éléments relient ton travail à celui de Benoît Forgeard. Vous êtes tous les deux passés par le Fresnoy et vous travaillez avec le même producteur (Emmanuel Chaumet d’Ecce Films)… Dans quel mesure son cinéma a-t-il pu t’influencer ?

J’ai découvert les films de Benoît lorsque je réalisai la série « HOTEL » pour Arte. J’avais déjà quelques projets de courts-métrages de fiction sous le bras, mais ce que je voyais à l’époque dans la production de courts-métrages français ne m’intéressait pas du tout. Lorsque j’ai découvert son film « La Course nue » et sa série « Laika Park », ça m’a rassuré. J’y ai trouvé des correspondances avec mon propre travail, des enjeux communs. Il a en quelque sorte ouvert la voie pour pas mal de réalisateurs.

Quels sont tes projets pour la suite ?

Je suis actuellement en écriture de deux projets de longs-métrages, et je viens d’achever l’écriture d’un court que l’on va tourner bientôt avec Ecce Films. J’ai aussi réalisé un petit bonus avec Anne Steffens pour le DVD d’« HOTEL», et je vais réaliser une autre mini-série de six épisodes à partir d’un nouveau jeu vidéo que j’ai développé avec Arte Creative, « The Reversal ».

Propos recueillis par Marc-Antoine Vaugeois

Consulter la fiche technique du film « Les Éclaireurs »

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