Scars of Cambodia d’Alexandre Liebert

« Is there no tomorrow in Cambodia ? » Joan Baez

3 ans, 8 mois et 20 jours : durant cette période, les khmers rouges ont insaturé un pouvoir sanguinaire qui a décimé pas moins d’un cinquième de la population cambodgienne de 1975 à 1979. « Scars of Cambodia », documentaire d’Alexandre Liebert, primé deux fois au festival de Clermont-Ferrand (meilleures photo et musique) et présenté récemment au festival Partie(s) de campagne dans la section Doc 2, s’attache à livrer le témoignage silencieux d’un survivant de ce régime liberticide.

Parce que le cinéma du réel a autant à dire et à montrer que la fiction, il est heureux de constater que le documentaire bénéficie d’une place privilégiée au Festival Partie(s) de campagne (11-14 juillet) à Ouroux, en Morvan. Avec deux compétitions, nouveauté de cette année, et une rétrospective retraçant le genre des années 60 à nos jours, ce sont au total 31 courts métrages documentaires qui ont été mis à l’honneur lors de cette septième édition.

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Bien des cinéastes se sont essayé à refaire vivre ce qui n’est plus, à traiter de l’indicible sous des formes aussi parlantes qu’originales. Nous gardons en mémoire des films tels que « Nuit et brouillard » d’Alain Resnais (1955), « S21, la machine de mort khmère rouge » de Rithy Panh (2002), ou encore « Génocidé » de Stéphane Valentin (2008). Le réalisateur Alexandre Liebert et la photographe Emilie Arfeuil ont voulu à leur tour apporter leur pierre à l’édifice du souvenir en filmant le témoignage de Tut, 52 ans, emprisonné à l’âge de 15 ans par les khmers rouges.

Film, série photographique et webdocumentaire dont la sortie est prévue en avril 2015, « Scars of Cambodia » est une démarche aussi bien documentaire qu’artistique. Loin du reportage classique, « Scars of Cambodia » est une expérience visuelle et sensorielle des plus bouleversantes. Pour faire part de ce génocide enfoui voire refoulé par nombres de cambodgiens (ce qui le différencie nettement d’autres génocides), le tandem d’artistes s’est attaché à utiliser une esthétique et des techniques du cinéma de fiction pour servir une écriture singulière donnant un sens particulier au récit de Tut. La confession est alors silencieuse, mimée et mise en scène.

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À l’instar de Rithy Panh justement, Liebert et Arfeuil semblent s’accorder sur le fait que le peuple cambodgien se doit de se réapproprier son identité et ses racines. Comme lui, ils utilisent le geste et la mise en scène pour faire ressurgir les blessures du passé. Dans un clair-obscur pictural, mêlant photographies fixes et vidéo, sur une bande son narrative, le film est une réflexion intelligente sur la mémoire. Et les cicatrices sur le corps du protagoniste sont autant de traces indélébiles d’un passé douloureux. Au travers d’un témoignage subjectif, ce sont les cris et les chuchotements de tout un peuple aphasique qui se font entendre.

Marie Bergeret 

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