Sahim Omar Kalifa : “L’Irak n’est pas le pays des héros mais celui des victimes”

Auteur du touchant Land of the Heroes, sélectionné au Festival de Bruxelles, en compétition nationale et lauréat du Prix Génération KPlus à Berlin, le très prometteur Sahim Omar Kalifa parle de son film, du Kurdistan irakien et de ses projets futurs. Edifiante rencontre.

sahim011

Format Court : Pourquoi avoir choisi la Belgique pour venir étudier le cinéma?

Sahim Omar Kalifa : En fait, en 2001, j’ai rejoint mes parents qui vivaient en Belgique depuis 1996. En Irak, j’aimais beaucoup filmer avec mon frère et mes amis. Je faisais des remakes de scènes de films. Au moment de choisir mes études, un ami qui connaissait mon intérêt pour le cinéma m’a proposé de passer les examens d’entrée à Sint-Lukaas. À ma grande surprise, je les ai réussis. Comme mon néerlandais n’était pas très bon à l’époque, la première année fut assez difficile.

Ton film de fin d’études Nan a eu beaucoup de succès.

S.O. K. : Oui, il a obtenu la VAF Wildcard au Festival de Louvain en 2007. J’ai reçu la somme de 60.000 euros pour la réalisation d’un projet futur. Grâce à cela j’ai pu réaliser Land of The Heroes. Au début, j’avais dans l’idée d’écrire un long métrage mais vu le montant, je me suis dirigé vers l’écriture d’un autre court métrage.

Tu sortais de l’école, comment t’es-tu débrouillé pour trouver tes producteurs?

S.O. K. : Quand j’ai eu le Prix à Louvain, Hendrik Verthé et Kobe Van Steenberghe m’ont contacté pour savoir si je voulais collaborer avec eux. J’ai un peu hésité car ils étaient jeunes et n’avaient pas trop d’expérience mais très vite j’ai été convaincu de leur professionnalisme et aujourd’hui, je ne regrette rien. Ils m’aident vraiment beaucoup.

Quelle a été ton inspiration pour écrire Land of the Heroes ?

S.O. K. : Je viens du Kurdistan irakien. J’ai connu la guerre qui a opposé l’Iran et l’Irak pendant les 8 premières années de ma vie. Nos vies étaient rythmées par la guerre. À l’époque, on avait seulement deux chaînes de télévision. Je me souviens que je devais attendre longtemps pour regarder les dessins animés qui étaient la plupart du temps interrompus par les nouvelles de la guerre. J’ai voulu baser mon récit sur cette histoire très simple.

C’est donc un film autobiographique?

S.O. K. :  Pas entièrement. Disons que je me suis inspiré de mon enfance mais j’y ai ajouté des éléments récoltés par-ci par-là. Notamment l’idée de Spiderman, du conflit entre les deux cousins ainsi que le rôle des mères viennent de différents récits racontés par des amis.

Tu parles de la guerre de façon très ironique. Pourquoi ?

S.O. K. : Oui, tout à fait. Alors que je me lançais dans ce projet, beaucoup de gens m’ont dit que les films irakiens et kurdes racontaient toujours la même chose de façon tragique. Je me suis alors demandé comment je pouvais aborder la thématique de la guerre sans être larmoyant et pathétique. J’ai donc opté pour la tragicomédie. Nos vies étaient baignées dans l’ironie. Par exemple, on était obligés de dire qu’on aimait Saddam Hussein alors que ce n’était pas du tout le cas. Dans mon film, on peut apercevoir un peu cette réalité. Les scènes sont comiques mais elles cachent aussi une certaine tristesse. On n’y dit jamais du mal de Saddam mais on comprend très bien qu’il est loin d’être la figure emblématique appréciée de tous. Par ailleurs, le titre du film participe de cette ironie car ce que je montre est plutôt le revers de la médaille. L’Irak n’est pas le pays des héros mais celui des victimes. Tous les personnages sont des victimes de la guerre.

Dans ton film, la violence entre les enfants est mise en avant. Penses-tu que grandir dans un contexte de guerre renforce l’agressivité ?

S.O. K. :  Certainement. Nous avions l’habitude de voir la violence à la télévision chaque jour. On nous montrait sans censure aucune le corps d’hommes et de femmes victimes d’attaques armées. La guerre a façonné notre manière d’appréhender le monde. Dans le film, les enfants se battent, ils répètent ce qu’ils ont vu. Les mères aussi sont conditionnées. Elles ont fait du conflit leur fond de commerce en récupérant les armes pour les revendre. C’est aussi cela que j’avais envie de montrer dans mon film.

Malgré le contexte particulier ton film transmet un message universel. Non ?

S.O. K. : Tout à fait. D’ailleurs, il tourne dans les festivals à travers le monde, il a même reçu le Prix Génération Kplus à Berlin, ce qui a été une belle surprise. Les gens l’apprécient justement pour son côté universel. J’essaye de faire passer un message simple et compris par tout le monde.

Les enfants portent  le film sur leurs épaules. Comment as-tu fait pour les choisir?

S.O. K. : Nous avons organisé un casting en Irak. Ce n’était pas évident car il y a très peu d’acteurs professionnels là-bas. Puis finalement, on s’est décidés sur le choix des 3 enfants. J’ai eu du mal à choisir Dileer, le personnage principal. J’hésitais entre lui et le plus petit des deux. On m’a conseillé de le prendre lui, afin de casser les clichés. Ainsi, le plus grand des deux n’était pas nécessairement la forte tête comme c’est le cas en général.

Quelle place le cinéma a-t-il dans un pays comme l’Irak ?

S.O. K. :  C’est très simple, aucune. Notre cinéma n’a pas évolué depuis la Palme d’or attribué au Turc/Kurde Yulmaz Guney en 1982. Le Ministère de la Culture n’y connaît rien et préfère investir son argent dans des choses stupides plutôt qu’aider les réalisateurs à mettre sur pied des projets intéressants. Les gens ne se rendent pas non plus dans les salles de cinéma. Ils ont le satellite et Internet alors pourquoi se déplacer? C’est dommage.

As-tu l’intention de réaliser un long-métrage?

S.O. K. :  Oui. Je suis en train de l’écrire. Quand Land of the Heroes a obtenu le Prix jeune génération à Berlin, le Festival Sundance qui a vu le film a proposé de m’aider pour l’écriture de mon long-métrage. Ils m’ont choisi pour me rendre aux États-Unis en décembre où j’aurai un feedback de 3 professionnels. Je ne m’y attendais pas du tout. J’ai également demandé l’aide du VAF pour ce même projet. J’attends la réponse.

Que raconte-t-il ?

S.O. K. :  C’est l’histoire d’un homme qui est déchiré entre la personne qu’il aime et le poids de sa culture et de sa famille. Il est amené à commettre un acte irréparable. L’action se déroule en Turquie, en Belgique et en Irak.

Propos recueillis par Marie Bergeret

Article associé : le reportage “Guerre et Paix”

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *