Joseph Pierce : « La conception d’idées est pour moi comme un accouchement : un processus long et douloureux »

Joseph Pierce, réalisateur anglais, auteur de Stand Up et A Family Portrait parle, de l’autre côté de la Manche, de ses inspirations, de ses projets de films et de sa propension pour l’humour à deux balles.

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Format Court : Comment est né ton intérêt pour le cinéma et plus particulièrement pour l’animation? Quels films t’ont marqué le plus ?

Joseph Pierce : J’ai passé pas mal de samedis après-midis dans un cinéma indépendant près de chez moi, où je regardais tout, de Ken Loach à Jacques Tati, de Ray Harryhausen à Tim Burton. Cela m’a initié à une grande variété de films au-delà des blockbusters. J’ai d’abord suivi une formation d’acteur, puisque c’était quelque chose que j’arrivais plus ou moins à faire, mais je me suis vite rendu compte que je préférais écrire et créer des œuvres. Donc j’ai opté pour un diplôme dans le cinéma expérimental. C’est alors que j’ai découvert les films de Jan Svankmajer qui m’ont laissé bouche bée. Du coup j’ai passé le reste de mes études en train d’expérimenter et d’animer des objets. J’ai compris que faire de l’animation c’est une forme de performance, au même titre que le jeu d’acteur.

En ce qui concerne l’animation, à part Svankmajer, qui est ma plus grande influence, j’ai aussi été fort impressionné par Jason et les Argonautes ! Et j’ai toujours été attiré par la sculpture moderne, par les œuvres de Marc Quinn et Damien Hirst, par exemple. J’adore ce qui comporte une qualité viscérale et tactile et j’essaie de de reproduire cet effet dans mes dessins.

Quel était ton parcours académique avant la NFTS ? D’où est venu ce choix de formation parmi les nombreuses écoles de cinéma en Angleterre ?

J.P. : J’ai étudié ce qu’on appelait ‘Time Based Media’ (un nom qu’on a vite changé en ‘Film et Vidéo’ vu que personne ne comprenait ce que ça voulait dire !) pendant trois ans, où on nous disait que si on voulait être le prochain Scorcese, on s’était trompé d’endroit. J’ai d’abord eu du mal avec cette façon de penser, mais j’ai quand même profité de cette approche cinématographique novatrice, éloignée du courant principal. Je voulais être un ‘artiste’ et faire de l’animation au Royal College of Art. J’ai réussi à avoir un entretien sur la base de mon portfolio mais je l’ai complètement raté et je n’ai pas été admis. J’ai honte de l’avouer mais je ne connaissais pas la NFTS à l’époque. J’avais un ami qui étudiait la cinématographie là-bas et qui m’a beaucoup incité à y aller. Aujourd’hui, je peux dire que le fait de ne pas avoir été admis au RCA a été la meilleure chose qui ait pu m’arriver. C’est un endroit génial mais ce n’était pas pour moi qui voulais raconter des histoires et travailler en équipe au lieu d’être un artiste solitaire.

Dans quel contexte as-tu conçu Stand Up ? Quelles consignes avez-vous reçues pour votre film de fin d’études ?

L’idée de Stand Up avait germé dans ma tête même avant que je n’aille à la NFTS. Je m’amusais à jouer avec la technique de rotoscopie pour combler mon manque de talent de dessinateur et je me suis filmé en train de faire un stand-up à deux balles. J’ai complètement oublié ce projet et pour mon film de fin d’études, je cherchais à faire une animation en volume. Ça n’a rien donné, donc j’ai finalement repêché l’idée de Stand Up qui a rencontré beaucoup d’enthousiasme. Je suis devenu obsédé par la mauvaise comédie et pour mes recherches, j’ai vu des choses vraiment affreuses, y compris un type qui s’est  tellement fait chahuter sur scène qu’il est tombé dans les vapes. Nous pensions que ça faisait partie du show jusqu’à ce qu’une ambulance arrive !

Pour les films d’écoles, il n’y avait pas vraiment de contraintes particulières, du moment qu’ils respectaient le budget et les délais de réalisation. Mon projet était plus modeste que les autres, donc quand il a commencé à avoir du succès, les gens étaient d’autant plus surpris. La deuxième année à l’école fut fort dure, étant donné qu’on devait se concentrer en permanence sur un seul film, et parfois bosser jusque 14 heures par jour, 7 jours par semaine ! Mais il y avait un esprit d’équipe très développé, et j’ai gardé de très bons contacts avec mes collègues. Par exemple, pour le tournage de mon dernier film, il y avait au moins cinq amis de l’école dans l’équipe.

Ce dernier film, A Family Portrait, comment est-il né ?

Je souhaitais explorer la dynamique familiale, parce que tout le monde peut s’identifier à ces repas ou ces voyages en famille qui tournent mal. Au début, j’ai conçu un récit autour d’une table, mais cette idée manquait de tension, donc je l’ai transposée au studio d’un photographe et là tout a commencé à prendre forme. J’aime bien mener le spectateur vers un faux sentiment de sécurité dans lequel l’ambiance gaie s’évapore très vite. Et j’adore détester la fameuse ‘photo de famille’ car elle a quelque chose de très artificiel et très cliché ! Alors je me suis dit : « Et si la famille était de mauvais humeur le jour où elle devait justement montrer une façade de bonheur absolu ? »

Ce film a justement dû parler à un public bien large, car il a été très bien reçu partout, en Angleterre comme en France.

Oui, j’ai eu de la chance d’avoir pu aller en France à plusieurs reprises, avec Stand Up et A Family Portrait. Ce qui m’impressionne toujours, c’est qu’une grande partie du public n’est pas issue du milieu du cinéma. Les séances sont souvent bien remplies et on remarque tout de suite si le public aime le film ou pas. C’est un grand honneur de voir son film sélectionné dans un pays qui a une si grande appréciation pour le cinéma, alors gagner un prix là, c’est vraiment le top ! Je pense notamment aux festivals de Clermont et d’Angers, qui m’ont très chaleureusement accueilli. Le film a aussi connu un succès en Angleterre, c’est vrai, mais le milieu du court métrage et moins grand chez nous et du coup, il est moins pris au sérieux, à l’exception du festival Encounters à Bristol, qui a toujours été extrêmement généreux avec moi.

Comment définirais-tu ta technique ?

J’ai commencé à faire de l’animation en volume et de la pixilation, mais je ne trouvais plus trop d’idées d’histoires à raconter avec des objets inanimés, alors j’ai commencé à faire de l’animation dessinée. J’aime bien l’effet raturé d’un stylo ou d’un crayon. Utiliser cette technique avec celle de la rotoscopie permet à l’animation de dire des choses qui seraient autrement impossibles, un peu comme un dialogue intérieur. Je suis quand même très attaché à l’animation en volume et je n’exclus aucune technique si le sujet le demande. Mais je dois dire que le CGI pour moi est un tout autre monde !

Que représente le court métrage pour toi ? Le vois-tu comme un format en soi adapté à ton travail de réalisateur ou plutôt comme une étape vers le long métrage ?

Je suis très à l’aise avec le format court. J’aime beaucoup le défi que représente le travail de condenser en si peu de temps une histoire cohérente, des personnages convaincants et une conclusion satisfaisante. Inversement, je trouve qu’il est curieusement plus facile de s’ennuyer pendant un court métrage ! Pourtant, il y en a qui réussissent à faire un film au moins aussi captivant que n’importe quel long. Skhizein de Jérémy Clapin, ou The Runt de Andreas Hykade sont quelques exemples de narration impressionnante et émouvante. Cela dit, je pense que la plupart des réalisateurs mentiraient s’il disaient qu’il ne s’intéressaient pas aux longs métrages et aux possibilités de se forger une identité comme réalisateur de ce format.

Personnellement, j’ai aussi envie de faire un long métrage en live action. D’ailleurs je suis occupé à en écrire un avec mon co-scénariste Aneil Karia. En plus, toutes mes animations ont toujours un élément de live action parce que je travaille avec des vrais acteurs. Aujourd’hui, vu le succès des films comme Persepolis, Valse avec Bashir ou les œuvres de Sylvain Chomet, j’avoue que l’idée de faire un long métrage en animation ne me déplaît pas du tout. Ce que j »essaie de démontrer à travers mes courts métrages, c’est que l’animation peut aussi plaire à ceux qui la considèrent d’emblée comme de la pure fantaisie enfantine.

Quels autres projets as-tu pour le moment ?

Là pour le moment, je travaille sur un court abstrait au sujet du corps humain. Je souhaite expérimenter avec un langage moins narratif et épurer mon travail aux dessins et aux formes pures. J’essaie également de développer un projet de long métrage qui combinerait à la fois mes idées et celles d’autres scénaristes. J’aimerais bien réaliser quelque chose que je n’ai pas écrit, car la conception d’idées est pour moi comme un accouchement : un processus long et douloureux.

Propos recueillis et traduits par Adi Chesson

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