Between de Tim Bollinger

« Je te montrerai l’effroi dans une poignée de poussière. » – T S Eliot (La Terre vaine)

Retenu en compétition « expérimental » cette année à Lille, « Between » du réalisateur allemand Tim Bollinger est une composition en motion graphics qui se veut plus impressionniste que narrative. Sorte de roman photo à la Chris Marker, il s’en distingue cependant, moins par son curieux mélange d’onirisme et d’hyperréalisme que par sa propension pour les bas-fonds et les complexités du paysage psychique.

Sur fond d’univers presque enchanté, atemporel et atopique, l’auteur de « Between » assemble des associations subtiles entre des scènes disparates : un quai de métro, un sous-sol industriel, une plage ensoleillée, une forêt… Cette mise en scène étrange, parsemée de personnages types tout aussi déréalisés que leur décor, est dirigée non pas par une logique causale, mais plutôt par une analogie affective, proche de la notion de la Stimmung (humeur) heideggerienne.

Conformément à son titre signifiant ‘entre’ (et jusque dans la typographie de « B ETWE EN »), le film opère un jeu sophistiqué sur l’idée de l’interstice; à la fois l’intervalle littéral entre divers espaces et temporalités, et l’écart symbolique entre la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le fantasme et le cauchemar. Un travail de montage soigneux assure cette interaction d’éléments antithétiques, en rapprochant des techniques aussi diverses que la live action, l’animation en volume et celle en 2,5-D, en même temps que l’alternance constante entre stase et mouvement met en scène une (spatio)temporalité particulièrement souple.

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De la netteté du grain « ultra-haute définition » de ce film, découle une certaine violence, renforcée par la bande-son froide et déroutante, par les transitions rudes entre médiums (eau, pierre, terre, béton), et par l’inquiétante étrangeté qui prédomine dans ce monde aliéné. À titre d’exemples : un enfant à la plage, quasi figé dans l’image, un vol de colombes symboliquement pétrifié quelques pieds sous terre, un personnage monstrueux dans le métro, ou encore une faucheuse masquée.

Si l’esthétique de « Between » est constamment mise à mal par des contre-représentations, le lyrique, lui, est bel est bien présent dans cet univers déviant. À la fois dérangeant et fascinant, décousu et cohérent, l’univers de Tim Bollinger tend en quelque sorte un miroir à nos propres angoisses et intuitions.

Adi Chesson

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