September & July d’Ariane Labed

Présenté dans la section Un Certain regard du Festival de Cannes 2024, le premier long métrage de l’actrice et réalisatrice Ariane Labed est adapté du roman Soeurs de l’autrice britannique Daisy Johnson. September et July, deux sœurs adolescentes, vivent dans une ville irlandaise avec leur mère Sheela. Victime de harcèlement au lycée, July (Mia Tharia), la fille cadette, peut compter sur la protection de sa sœur September (Pascale Kann), dont elle est sous l’autorité. Lorsque September, au caractère indomptable, est renvoyée de l’école, July profite de l’absence de sa sœur pour essayer d’affirmer son individualité… mais un événement mystérieux pousse Sheela (Rakhee Thakrar) à déménager avec ses filles dans une maison près de la mer. September & July, sorti en salle en février 2025, est désormais disponible en DVD (Éditions Blaq Out).

Sous ses faux airs de teen movie, September & July s’envisage plutôt comme le portrait étrange, et pourtant réaliste, d’une relation fusionnelle entre deux sœurs. À la fois protectrice et bourreau, September exerce son pouvoir sur July, dont elle est la seule et unique amie. La réalisatrice nous montre les nuances de cette relation étouffante, les moments de complicité tout comme la morbidité qui découle de ce lien incassable. En se focalisant sur les détails de leur quotidien, sur les gestes et les corps de ses actrices, elle signe une œuvre singulière, entre le réel et le rêve, et affirme son regard de cinéaste déterminée à changer les codes. Comme dans cette scène de sexe entre la mère et un homme rencontré dans un bar, filmée en plongée sans lumière artificielle, dans laquelle les pensées de Sheela en voix off soulignent avec humour la banalité de l’acte qui se déroule sous nos yeux. Labed interroge la sphère intime de ses personnages féminins, abordant les thèmes de la découverte de la sexualité, le rapport au corps, au plaisir et au deuil, reléguant les personnages masculins en arrière-plan. Sans jamais créer de pathos, le film est imprégné d’une aura de mystère qui nous pousse à suivre les vicissitudes des protagonistes, non pas tant pour déceler la raison de leur souffrances que par sentiment d’affection ou de sororité envers elles. C’est probablement parce qu’il n’y a, de la part de la réalisatrice, aucune tentative d’enjolivement des personnages et des situations qu’ils vivent, que malgré leur bizarrerie ils nous paraissent extrêmement proches. Tourné en pellicule, le film se démarque par la composition précise, presque photographique, de chacun de ses plans, bien que ce qui se passe dans le cadre tend toujours vers le chaos. Son charme réside précisément dans les contradictions qui l’animent, lui permettant de s’éloigner des récits classiques tissant le portrait d’une famille dysfonctionnelle, pour nous amener, main dans la main avec September et July, dans des endroits inexplorés.

Le DVD du film propose comme suppléments un entretien passionnant avec Ariane Labed, ainsi que son court métrage Olla (2019). Grand prix au Festival de Clermont-Ferrand en 2020, Olla narre l’histoire d’une jeune femme originaire d’Europe de l’Est au moment où elle emménage en France chez un homme qui vit avec sa mère âgée. Pierre, qui avait mis un annonce sur un site de rencontres, ne parle pas la même langue que Olla, mais il lui fait tout de suite comprendre quels sont ses devoirs : s’occuper de la maison et de sa mère du matin au au soir, pendant qu’il est au travail. Avec ses cheveux roux orange, Olla (Romanna Lobach) impose sa présence dans le paysage terne de la banlieue où elle habite. Au lieu de la représenter comme une victime, la cinéaste nous montre la façon dont elle profite du temps pour elle avant le retour de Pierre, qui derrière sa naïveté apparente, se révélera être plus dangereux que les hommes qui la harcèlent dans la rue. L’humour grinçant utilisé par Ariane Labed crée un sentiment de malaise qui nous accompagne tout le long du film, où les rires se confondent avec les cris réprimés de son héroïne. La rébellion silencieuse d’Olla culmine dans une marquante séquence finale, où les deux femmes de la maison se quittent face à la seule solution possible pour échapper au système : le faire exploser.

Margherita Gera

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