Mon inséparable de Anne-Sophie Bailly

Présenté dans la section Orizzonti de la Mostra de Venise 2024, le premier long-métrage d’Anne-Sophie Bailly met en scène une relation fusionnelle entre une mère et son fils en situation de handicap. Laure Calamy, toujours époustouflante, incarne Mona, une femme qui a élevé toute seule son enfant Joël, interprété par Charles Peccia-Galletto (nommé pour le César des Révélations masculines 2025). Aujourd’hui trentenaire, Joël travaille dans un ESAT (Etablissement ou services d’aide pour le travail) et il est amoureux de sa collègue Océane, elle aussi “en retard”. Le jour où Mona, qui ignore tout de leur liaison, apprend que Océane est enceinte, la relation entre mère et fils vacille… Le DVD du film, édité par Blaq Out, est sorti le 11 juin 2025. Nous vous en offrons 3 exemplaires.

Contrairement à ce que l’on aurait pu s’attendre, Mon Inséparable n’est pas un film sur le handicap, mais plutôt sur le rapport viscéral entre une mère et son enfant. Comme les deux perroquets en cage dans l’appartement qu’ils partagent, Mona et Joël vivent en symbiose, sans pouvoir se passer l’un de l’autre. Si la liberté de Mona est limitée par la nécessité d’être attentive aux actions et aux états d’âme de Joël, ce dernier a du mal à sortir de son aile protectrice pour suivre son propre chemin. Quand elle découvre que son fils a une relation amoureuse et que sa petite amie est enceinte, Mona se sent trahie. Elle lui reproche d’avoir agi égoïstement sans penser aux conséquences, alors que depuis sa naissance, la vie de sa mère a été entièrement dédiée à lui. Le film explore avec subtilité cette double dépendance et, à partir du moment de bascule, il nous montre une double émancipation : celle de Joël, qui commence à prétendre son indépendance, mais aussi celle de Mona, qui redécouvre l’importance de penser à elle-même et suivre ses envies. La rencontre avec un homme devient pour elle l’occasion de reprendre possession de son propre corps et retrouver un peu d’insouciance.

Restant au plus près de son actrice, Anne-Sophie Bailly parvient à retranscrire le ressenti de la protagoniste dans des séquences à la fois crues et empreintes de douceur. Les contrastes qu’elle met en scène – entre des moments plus mélodramatiques et des scènes documentaires, entre les point de vue des femmes et celui des hommes, ou encore entre la limpidité des sentiments et la rigidité d’esprit des institutions – permettent à la cinéaste de se débarrasser de l’étiquette de “film à sujet”, et de signer un premier long-métrage lucide et sensible. D’autant plus qu’elle offre à Charles Peccia-Galletto un rôle complexe, qui ne se limite pas à représenter la condition de “personne en situation de handicap”. Le duo qu’il forme avec Laure Calamy est crédible et authentique car les deux acteurs se montrent capables de tout dire à travers les non-dits, en communiquant par le biais de leurs regards. Évitant les explications superflues et sans jamais tomber dans le misérabilisme, Mon inséparable dépeint avec justesse la complexité des relations humaines et livre enfin un message touchant sur le cycle de la vie et l’importance, le moment venu, de laisser partir ceux qu’on aime.

Parmi les bonus du DVD de Blaq Out, on retrouve une interview avec la réalisatrice Anne-Sophie Bailly, ainsi que ses courts-métrages En Travail (2019) et La Ventrière (2021).

Court-métrage de fin d’études à la Femis, La Ventrière se déroule à l’époque du Moyen-Âge en pleine campagne dans le Jura, pas loin des terres où la cinéaste a grandi. Elsa, sage-femme herboriste (Pauline Lorillard), et sa jeune apprentie Nicole (Romane Parc) sont appelées à se réunir avec les autres femmes du village dans une église où elles seront aussitôt enfermées. Un homme arrivé de loin les interroge, afin de démasquer celle qu’il accuse d’être une sorcière…

Tourné en 16 millimètres, La Ventrière frappe pour la maîtrise de sa mise en scène toute en clairs-obscurs, qui rappelle les peintures de Georges de La Tour, et pour l’atmosphère asphyxiante qui imprègne chaque scène. Porté par le jeu silencieux et extrêmement poignant des deux actrices principales, le film raconte les accusations injustes dont beaucoup de femmes de l’époque ont été victimes, tout en ouvrant une réflexion, toujours actuelle, sur l’absurdité du système patriarcal et l’hypocrisie du pouvoir. On y retrouve l’attention particulière que la réalisatrice porte aux gestes de soins, aux thèmes de la maternité et de la transmission, déjà abordés dans son court-métrage documentaire En travail, qui suit le quotidien des sages-femmes et obstétriciennes de l’hôpital André Grégoire de Montreuil. C’est justement la transmission de ce savoir-faire qui, dans La Ventrière, devient un moyen d’émancipation, à travers une très belle séquence finale se terminant avec une course furtive (et nécessaire) vers la liberté.

Margherita Gera

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