Aasvoëls (Vautours, en français) fait partie de la sélection officielle des courts-métrages de Cannes 2025. Réalisé par Dian Weys, ce film coup de poing a justement remporté cette semaine le Grand Prix Unifrance du court à Cannes. Il reste en lice pour la Palme d’or du court-métrage (dévoilée ce samedi 24 mai). Co-produit par la France (Insolence Productions) et l’Afrique du sud (Electronic Roof Films), le film s’intéresse aux interactions et aux tensions suite à un accident de voiture, survenu sur une autoroute (on n’en dira pas plus, mais c’est bien). En échangeant avec Dian Weys, on s’intéresse à la place du spectateur-témoin, à la relève sud-africaine, à la violence et à son ressenti cannois.

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Format Court : Tu as étudié en Afrique du Sud, tu étudies actuellement aux Pays-Bas, à l’Université de Groningen. Pourtant, Vautours n’est pas un film d’école.
Dian Weys : Oui, Je termine mon doctorat, je finis mes études en octobre. Vautours est un projet complètement séparé de mon cursus. Mon doctorat porte sur la recherche. Je travaille sur la manière dont le spectateur peut réagir comme un témoin. C’est très différent d’être simple spectateur, voyeur ou observateur. Les choses sont différentes quand on est témoin : on a le sentiment d’avoir une responsabilité qui nous incombe. Dans mon film précédent, Bergie, il y avait la même esthétique, la même approche. Tous mes récits se déroulent après un acte de violence. Et ils mettent l’accent sur la responsabilité des gens à l’instant présent.
Pourquoi ?
D.W. : Beaucoup de films se concentrent sur l’acte violent lui-même, très peu sur ce qui arrive après. Je veux m’intéresser à ce qui se passe ensuite. Qui prend soin des corps, qui aide les survivants, qui nettoie les lieux de crimes, d’accidents ?
D’où te vient cet intérêt ?
D.W. : J’ai toujours aimé le cinéma. Comme beaucoup d’ados, j’étais fasciné par Tarantino. Mais quand j’ai découvert Michael Haneke, j’ai été marqué par sa façon de parler de la question de la responsabilité. Il critique Spielberg et La Liste de Schindler, notamment la scène où les Juifs entrent dans les chambres à gaz — Spielberg y crée du suspense avec des gros plans sur les pommeaux de douche. On ne sait pas si c’est de l’eau ou du gaz qui va en sortir. Haneke trouve ça profondément déplacé, car on transforme un moment historique grave en simple ressort dramatique. Il ne trouve pas ça éthique. Ça m’a vraiment fait réfléchir par rapport aux films violent que j’ai vus : la violence ne devrait pas être source de plaisir au cinéma. Je pense aussi que comme nous vivons le monde à travers le cinéma, TikTok et les vidéos virales, nous n’avons plus de véritables expériences de violence.
Est-ce difficile d’écrire sur la violence vue à travers le regard du témoin, et non sur l’événement lui-même ?
D.W. : C’est compliqué comme question. Je fais toujours beaucoup de recherches pour mes films. Pour Vautours, j’ai interrogé des dépanneurs de la route sur ce qu’ils voient ou non en arrivant sur les lieux d’un accident, s’ils aident les victimes. Pour Bergie, mon précédent court, j’ai parlé à des policiers confrontés aux sans-abris, sur leur façon de s’en occuper dans la dignité. Un autre court racontait l’histoire de deux femmes nettoyant un appartement après un meurtre — un acte très altruiste.
Tu pourrais utiliser le documentaire pour raconter ces histoires. Pourquoi choisir la fiction ?
D.W. : J’aime la fiction parce qu’elle transmet mieux l’expérience que le documentaire. Dans une salle, si le spectateur se sent témoin, il peut ressentir ce que vivrait un vrai témoin sur un lieu réel. Quand on regarde un documentaire, on le regarde avec des yeux différents. L’info est donnée. Je ne veux pas imposer ma vision des choses. Pour moi, la fiction est un très bon point d’entrée pour présenter aux gens un certain monde, mais aussi pour traiter de vérités universelles.
Tu sembles très attaché à cette idée de responsabilité, mais ce n’est pas simple à maintenir quand on doute, quand essaye de développer des projets et quand on chercher des financements…
D.W. : Oui, c’est compliqué. Être cinéaste en Afrique du Sud, c’est très difficile. On a très peu eu d’opportunités, on très peu d’argent. Mais le thème de la responsabilité me passionne, alors je continue. Je sens que j’ai des choses à raconter à ce sujet. J’enseigne à l’université, je fais d’autres petits boulots pour pouvoir continuer à faire des films. J’ai écrit la première version de Vautours il y a cinq ans. On a dû attendre, réécrire, refaire des recherches, attendre les fonds. Et c’est tant mieux.
Pourquoi ?
D.W. : Je pense que le projet est plus fort grâce à tout cela. Si l’argent était arrivé trop facilement, nous aurions réalisé le film trop tôt. Il y a quelque chose d’agréable à devoir se battre pour obtenir de l’argent, car chaque mot écrit sur la page doit compter. Je pense que c’est pourquoi, mon producteur et moi, en Afrique du sud, nous sommes si impatients de faire des films, car nous savons combien il est difficile d’obtenir des financements du point de vue sud-africain.
Comment la création dans ton pays s’envisage-t-elle ? Où se situe l’espoir ?
D.W. : C’est compliqué d’y répondre. Le problème, c’est qu’on n’a pas une vraie culture cinématographique. Il fait beau, les gens sortent, ils ne vont pas au cinéma, ils ne voient pas de films chez eux. Mais il y a beaucoup de passionnés, de plus en plus d’écoles de cinéma. Là où j’enseigne, à l’Université Stellenbosch de Cape Town, je vois des étudiants avides de créer et de faire des courts. Je leur montre des courts-métrages du monde entier car il n’y a pas de culture du court. Ils ont grandi avec des films de Hollywood. Ils commencent par dire que c’est « lent » ou « bizarre », puis ils en redemandent.
Et les festivals ?
D.W. : Il y en a, celui de Durban est très loin de Cape Town, où se trouve l’industrie. Notre fonds national du cinéma a connu des problèmes. Le secteur privé, lui, demande de céder les droits pour produire — ce que j’ai déjà fait sur des films de télévision, que je ne possède pas. Voilà où en sont les cinéastes en Afrique du Sud. Nous espérons donc que notre sélection à Cannes attirera davantage l’attention sur tous les cinéastes sud-africains, car je pense que nous avons d’excellents cinéastes et que nous avons beaucoup d’histoires à raconter.
Ton film parle de violence, mais on ne la voit pas. Pourquoi ce choix ? Comment as-tu su quoi y montrer et quoi y dissimuler ?
D.W. : J’ai toujours ce désir que le public prenne part à l’expérience de visionnage. Et évidemment, cela ne peut se faire que par l’imagination donc je choisis ce que je montre. La violence, par exemple, est quelque chose que j’évite de montrer frontalement, parce que je pense que ce que l’on imagine est souvent bien pire que ce qui est montré à l’écran. Il y a une bagarre dans le film, mais ce n’est pas ça dont je parle — je parle de la violence plus profonde, plus implicite. Je pense qu’en laissant des blancs, cela permet au spectateur de les combler lui-même et de devenir ainsi partie prenante du film.
Malheureusement, les statistiques en Afrique du Sud concernant la violence — qu’il s’agisse de violences basées sur le genre, d’homicides ou d’autres formes — sont vraiment alarmantes. Je ne peux pas faire un film en Afrique du Sud sans aborder cette réalité. Ce film traite notamment du thème de l’instinct de survie. Le titre Vautours fait référence aux dépanneurs, qu’on surnomme ainsi, mais dans le fond, je pense que chaque personnage est un vautour à sa manière. Chacun cherche à survivre, à défendre ses propres intérêts. En même temps, on ne peut pas vraiment en vouloir aux gens. Ils essaient simplement de survivre. Notre premier réflexe, c’est de nous protéger. On aimerait croire qu’on aiderait les autres, qu’on prendrait soin d’eux, mais face à une situation explosive, on revient à notre instinct primaire. Et la vraie question pour moi, c’est : à quel moment devons-nous remettre cet instinct en question ?
Tu montres aussi tes films à tes étudiants ?
D.W. : Oui. Même les tout premiers, très imparfaits. Pour leur montrer qu’il n’y a pas de bon ou de mauvais film au début. Il faut juste faire. Dans des classes de 10 élèves, chacun veut faire son film. C’est normal car c’est le seul endroit où ils peuvent vraiment écrire ce qu’ils veulent. Un de mes étudiants a voulu parler de violence domestique. Je me suis dit que c’était cliché mais je ne voulais pas le contredire dans son idée, je sais ce que ça fait quand les gens étouffent nos idées. Je suis heureux de n’avoir rien dit car c’était non seulement le meilleur court de l’année mais en plus, l’étudiant a raconté que le film était basé sur une histoire personnelle. Les gens ont vraiment des histoires en tête et veulent juste les raconter. C’est là qu’on voit la puissance du cinéma.
Comment considères-tu ce moment à Cannes ?
D.W. : C’est un rêve devenu réalité. C’est notre première fois, à mon producteur et moi. On travaille ensemble depuis 5 ans. C’est très différent de tous les festivals où je suis allé. Je fais des films depuis 7 ans. Avant, il fallait supplier pour qu’on lise mon scénario ou pour obtenir un rendez-vous. Soudainement, la conversation a changé. Aujourd’hui, les gens viennent me parler. Ça change tout. On a l’opportunité de continuer à faire des films.À chaque film que je fais, j’espère simplement que cela nous donnera l’occasion d’en faire un autre. Jusqu’à présent tout va bien.
As-tu eu envie d’abandonner par le passé ?
D.W. : Ça m’est arrivé souvent. Je suis même retourné à l’université pour étudier le droit. Il n’y a que trois avocats spécialisés dans l’audiovisuel en Afrique du Sud mais j’ai réalisé que non, il fallait que je revienne au cinéma. Quand je vois les films de Haneke ou de Cristian Mungiu, ça m’intéresse tellement que je dois continuer. C’est une bonne chose d’avoir une passion, mais c’est aussi une mauvaise chose, car on y est toujours plus ou moins attaché.
Vas-tu montrer ton film à tes étudiants ?
D.W. : Oui. Je leur montre aussi un de mes premiers films, comme quand j’étais étudiant, quand je faisais quelque chose tout seul, parce que c’était vraiment nul. Je veux leur montrer qu’il n’y a pas de bien ou de mal. La première étape pour devenir cinéaste, c’est de faire quelque chose. J’avais très peur au début. Je craignais tellement que mon premier film ne remporte pas tous les prix du monde et que je sois un raté, c’était une façon de penser stupide mais j’étais jeune. Je leur montre que c’est normal d’essayer et d’échouer parce qu’on apprend vraiment le métier en faisant des films.
Propos recueillis par Katia Bayer