Critical Condition de Mila Zhluktenko

Présenté à la Semaine de la Critique cette année à Cannes, le court-métrage Critical Condition s’inspire de la vie de Lev Rebet, écrivain, homme politique et rédacteur en chef de l’Ukrainian Independentist, journal basé à Munich. À partir du destin de cet homme, la réalisatrice, Mila Zhluktenko, interroge celui, plus large, de la diaspora ukrainienne d’hier et d’aujourd’hui.

Tout commence par deux chiens emmenés dans une forêt. Par un sublime noir et blanc 16mm, ces premières images révèlent dès lors une photogaphie, signée Tobias Blickle, résolument moderne. Très vite, cette efficace scène d’introduction prendra une tournure tragique, posant les enjeux du film, et par la même occasion, son contexte politico-historique.

Nous sommes en 1957. Lev Rebet travaille avec ses collègues dans le journal destiné aux Ukrainiens en exil en Allemagne. Pour décrire son quotidien, la réalisatrice prend le parti d’un grand réalisme, très proche du documentaire, forme qu’elle a déjà travaillé à plusieurs reprises avant de se lancer dans cette première fiction. Il en résulte à la fois un ancrage plus direct à l’action, mais aussi, une mise à distance critique vis-à-vis de ces personnages, par la volonté de simple monstration propre à cette forme.

En s’appropriant également des codes du film d’espionnage, dans une ambiance baignée de paranoïa, Mila Zhluktenko en déconstruit les fantasmes. Par une courageuse et surprenante narration, la réalisatrice nous emporte peu à peu dans les courants de l’Histoire. Soudain, la caméra portée laisse place au travelling, métaphore de la fuite, de l’exil, et tout le récit s’allonge, s’étend, pour atteindre une toute autre réalité. La mise en scène passe d’un style à un autre, s’épanouit lors d’une magnifique séquence d’une grande modernité, bercée par l’envoûtante musique de Marja Burchard, où l’on accompagne l’errance nocturne de Lev Rebet, témoin muet de l’Histoire, jusqu’à atteindre, par un montage d’une agréable fluidité, un point qui le dépassera.

En interrogeant des faits propres à l’Histoire de son pays, la réalisatrice effectue un véritable travail de mémoire, par la remise en question du destin actuel du peuple ukrainien parti hier en exil.

Niels Goy

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