Locarno, Corti d’autore : nos coups de coeur

Depuis le 3 août, le plus grand festival suisse de cinéma bat son plein. Les Pardi di Domani, dédiés à la forme courte, accueillent depuis peu les Corti d’autore, une programmation de courts-métrages consacrée aux réalisateurs déjà expérimentés. Cette année, place à la fiction mais aussi à l’expérimental. Une sélection intéressante dans le fond et dans la forme, bien que l’on regrette l’absence d’animations et qu’on y recense très peu de documentaires. Voici les trois films qui ont particulièrement retenu notre attention.

Songy Seans (Last Screening) de Darezhan Omirbaev (Kyrgyzstan, Kazakhstan)

Cette fiction de 30 minutes réalisée par Darezhan Omirbaev est certainement le film le plus puissant de cette sélection : une ode à la période adolescente, à ses rêves, à ses amours, à ses désillusions…

En nous faisant entrer dans le quotidien d’un adolescent kazakh, il donne à voir un commentaire bien plus profond sur la relation entretenue entre les jeunes gens et le processus d’urbanisation du pays qui s’accélère depuis une vingtaine d’années. Cette période d’adolescence n’est alors plus aussi évidente, confrontée à la dualité du pays, une présence militaire importante et un fort impact du pouvoir en place.

L’adolescent que nous suivons tout au long du film reste muet, en observation de cette vie, et nous donne l’impression de chercher une place qui lui est difficile à trouver. Entre passion adolescente, cours et intérêt supposé pour le cinéma, il apparaît comme observateur et rêveur. Qu’est-ce que le rôle du réalisateur ? La question est posée à un moment dans le court-métrage et nous amène aussi à repenser aux accès et à la place de la culture dans les différentes régions du monde.

On soulignera un montage image et son surprenant fait de brèves, de faits divers et de commentaires sur la situation actuelle du pays, qui fonctionne à la perfection. Les plans fixes rythmés par les différentes voix off nous permettent d’avoir un spectre élargi de ce qu’est le Kazakhstan aujourd’hui. Le film nous perd entre fiction et documentaire, dont Darezhan Omirbaev est familier. Un film magnifique qui ne nécessite aucune minute supplémentaire pour installer et faire passer l’histoire dans son intégralité.

Big Bang de Carlos Segundo (France, Brésil)

Après Sideral en 2021 (Prix du Scénario au Festival Format Court la même année), Carlos Segundo nous séduit une nouvelle fois avec ce court-métrage de 14 minutes dont les plans et le scénario sont ingénieusement réfléchis. Il signe cette fois-ci une histoire plus grave, moins absurde et plus grinçante avec Big Bang, une histoire qui fait la peau aux préjugés et aux différences de classes sociales. Méfiez-vous de ceux que l’on ne soupçonne pas. Carlos Segundo nous avait déjà laissé percevoir son goût pour les scénarios inattendus dans Sideral, un goût qu’il confirme de nouveau avec Big Bang.

Chiquinho est un homme de petite taille qui répare des fours de toutes dimensions. Du four de sa tante aux usines, il se faufile et s’enferme dans les méandres des réchauds. Sa vie semble tranquille, mais le rythme qui transparaît dans le film montre rapidement que ce n’est qu’un leurre, et qu’il ne faudrait pas grand chose pour déclencher la catastrophe. Grâce à des plans fixes resserrés sur le personnage principal, on comprend rapidement que l’homme est isolé à la fois par son statut et par sa taille. Les autres individus sont placés généralement hors-champs, et n’épargnent pas Chiquinho dans leur parole et par leurs comportements ; comme si le fait de ne pas être à la même hauteur permettait une plus grande liberté de parole, et pas des plus sympathiques.

C’est lors du trajet en direction de funérailles de son père que Chiquinho a un grave accident de voiture. Installé dans le coffre, il est le seul survivant et se retrouve bloqué à l’hôpital où il fait la connaissance de Marta qui y est elle aussi présente car sa fille est gravement malade. Il entame une conversation sur leurs vies respectives dans un couloir blafard. C’est à ce moment que l’on comprend le poids de l’existence de ce personnage, ceux des préjugés et de la lutte des classes au Brésil… Les deux personnages, tous deux marginalisés, se livrent l’un à l’autre à une critique acerbe de la société brésilienne. Un dialogue qui n’est pas larmoyant, mais beaucoup plus fataliste sur la situation des “petits gens”. Cette conversation, c’est ce qui déclenche le Big Bang, la goutte de trop, l’irréparable que Chiquinho va commettre.

Si le film nous arrache quelques sourires, il est bien loin de l’approche absconse que nous avions pu constater dans Sideral. Big Bang n’amuse pas, mais confirme le talent de son réalisateur.

Tako se je končalo poletje (That’s How the Summer Ended) de Matjaž Ivanišin (Slovénie, Hongrie, Italie)

Le réalisateur slovène Matjaž Ivanišin signe un film singulier, à la fois contemplatif et puissant de par le scénario. D’ailleurs, cette histoire n’est pas claire, tout est sous-entendu : l’identité des personnages principaux, le lieu, l’événement aérien qui se tient… On pourrait qualifier le film de silencieux. Seuls les “petits bruits” – la cuillère, le portail, les avions, ou encore le vent dans les feuillages – nous amènent à observer scrupuleusement tous les signes, les gestes, les paroles qui pourraient nous permettre d’en savoir plus sur la relation entre les trois personnages montrés à l’écran. Grâce aux plans fixes et un rythme lent, notre œil a le temps d’observer, d’analyser tous les éléments non-verbaux.

Nous sommes là ; aux côtés de cet homme seul, réservé qui répond furtivement et qui pourtant nous donne l’impression d’avoir tant de choses à dire. Pourtant, tous ces personnages restent jusqu’au bout des énigmes. Nous ne connaîtrons rien. Et c’est sans doute pourquoi le film est si prenant : nous essayons de deviner la vérité, l’histoire par les brefs éléments qui nous sont amenés. Nous resterons sur notre faim, mais le film continue même après sa fin. Nous essayons de comprendre, de refaire l’histoire. Le personnage principal est-il amoureux de cette femme ? Cette dernière, offre-t-elle son corps à quelques hommes de passage ? L’homme qui vient à leur rencontre est-il venu par hasard ou la femme lui avait-elle donné rendez-vous ? Qui est donc ce pilote hongrois maître des looping ? Tout n’est que coïncidences et suspicions.

Le jeu des acteurs Aleš Jeseničnik, Kristina Olovec, Jernej Jerovšek est ainsi à saluer car ce film, pourtant très contemplatif, nous tient en haleine jusqu’à la fin, jusqu’à ce nous en voulions plus. Nous rentrons en totale empathie avec les personnages comme si nous arrivions à lire toutes leurs émotions, nous aimerions les aider à résoudre leurs problèmes cachés. Nous aimerions vraiment savoir comment s’achève la fin de l’été. Et s’il n’y avait rien à comprendre ? Et si justement ce n’était pas nos affaires ? C’est dans ce jeu trouble que Matjaž Ivanišin nous emmène, et ce n’est pas pour nous déplaire.

Anne-Sophie Bertrand

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