On n’est pas sérieux quand on a 17 ans

Le Festival Silhouette, dont nous étions à nouveau partenaires cette année (dernière édition en date : 24 août-1er septembre), poursuit depuis plus de 17 ans son travail d’exploration du nouveau cinéma international, en misant encore et toujours sur le plein air, les concerts, la mixité et la gratuité. Après vous avoir proposé cet été une sélection de films visibles en ligne piochés dans différentes sections du festival, voici un aperçu plus large de quelques productions françaises valant le détour/ le coup d’œil/la grosse marque d’intérêt.

Élu à juste titre Grand Prix de la sélection internationale, Le Grand Calme de Thomas Petit est un film produit par la Fémis que nous avions repéré pour la première fois à Angers (et que nous avions diffusé en présence du réalisateur dans le cadre de nos Rencontres professionnelles). Le film démarre par une rencontre improbable entre un lamantin et un type en short, mais s’intéresse surtout au premier jour d’un stagiaire dans une boîte de graphisme dont l’un des employés tire sa révérence le lendemain même.

Le film, doté d’un bon scénario et d’un jeu d’acteurs assez touchant, raconte de manière très simple, par jolies touches et légers décalages, la solitude des uns et des autres dans le monde de l’entreprise, le regard d’un ado sur ses pairs plus âgés, la distance de mise entre les êtres, mais aussi leurs peurs et leurs pudeurs. Film d’école réussi, Le Grand Calme touche, de façon discrète et juste.

En complément, trois films et un clip nous intéressent particulièrement. En premier, La Bouche de Camilo Restrepo, un film sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs en 2017, repéré également par les sélectionneurs de Silhouette cette année, qui se démarque de bien d’autres productions par sa forme et son originalité. Le film aborde la question du deuil et de la vengeance à travers le personnage d’un homme venant de perdre sa fille assassinée par son mari violent.

Le résultat, une proposition étonnante de cinéma, mêlant réel et irréel, est « un film musical interprété par le maître percussionniste guinéen Mohamed Bangoura, alias Diable rouge, librement inspiré de sa propre histoire ». Doté d’un plan de fin dérangeant et nécessaire, il a été projeté le 7/10 dernier à notre après-midi de courts « Sunday Shorts » au Central Park (Paris), en présence de sa productrice, Helen Olive (5 à 7 Films).

Autre film passionnant, celui de Vergine Keaton, Le Tigre de Tasmanie, ayant fait ses premières pattes à la Berlinale cette année. Keaton qu’on a eu le plaisir de découvrir en son temps avec Je criais contre la vie. Ou pour elle (2009) revient, après un autre projet (Marzevan, 2015), avec ce très beau Tigre, film énigmatique porté par des ralentis et de la musique top comme on les aime. Synopsis ? « Un tigre de Tasmanie tourne en vain dans l’enclos d’un zoo. Un glacier fond lentement. Face à sa disparition annoncée, la nature déploie sa fureur, déborde l’image et résiste à l’extinction par la métamorphose ».

Le film, pas forcément hyper accessible au premier regard, a besoin d’écrans (géants), de temps (une deuxième vision, une disposition d’esprit) et d’une bonne acoustique. Sa réalisatrice, animatrice autodidacte, s’intéresse comme à ses débuts au cycle de la nature, au son, à la création/démolition, à l’espace, à l’expérience. On en sort bluffé et ravi de retrouver après un temps d’absence une réalisatrice repérée il y a 10 ans et déjà absorbée par de nouvelles recherches graphiques et narratives.

Autre animation, Love He Said d’Inès Sedan, illustre la lecture d’un poème (LOVE) de l’auteur américain controversé Charles Bukowski. Contribution-témoignage originale à l’oeuvre du poète sulfureux et underground, ce documentaire animé montre un autre visage de Bukowski, loin de la provocation et de la contestation auxquelles on l’associe bien souvent : celui d’un homme seul, fragilisé, en demande d’attention et d’amour.

Le film mêle l’enregistrement de la lecture originale du poème en 1973 à San Francisco, des images d’archives, de la peinture et de l’animation. Les bruits d’ambiance (la foule, les cris, les rots du poète, son désir d’alcool, ses silences) s’intègrent joliment aux couleurs et aux mouvements peints d’Inès Sedan. On déplorerait presque la durée trop courte du film (6 minutes), mais elle colle à la lecture du poème. On se rabat pour le coup au synopsis contextuel du film, disponible sur le site de la production, Lardux Films , sur le film en ligne (voir ci-dessus, merci Court Circuit) et sur les enregistrements d’époque disponibles sur YouTube.

Dernier projet découvert dans les tablettes de Silhouette, un clip pour changer, celui de Dreamers de Clément Froissart, réalisé par Guillaume Gagniard et Virgile Texier. Un film à voir seulement sur smartphone qu’on se permettra de reproduire ici dans son format d’origine. Le clip réalisé pour smartphone est un portrait d’ado (Zia, 15 ans) commentant son quotidien, le mec qui l’attire (Enzo), sa vie, sa best (Margaux). Le temps d’un dream, le clip, un brin téléphoné, s’offre messages et vidéos, images de fêtes et de beaux gosses, générique typographique et petite lucarne de réalisateurs. Désir, jalousie, messages vidéos et personnels, réel, fiction, notes estivales et images léchées s’entremêlent dans ce format décalé, à la verticale.

Tout comme Le Grand Calme, La Bouche, Le Tigre de Tasmanie et Love He Said, Dreamers participe à cette diversité de propositions et d’attention pour la jeune création recherchée par Silhouette d’année en année. En route pour les 18 ans, l’âge adulte du festival…

Katia Bayer

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