Barry Purves – His Intimate Lives

Il y a quelques années, en 2008, Agnès B. et Potemkine ont édité un coffret DVD dédié à Barry Purves, le réalisateur et animateur britannique indépendant, spécialiste de la stop-motion (3D, image par image), « Barry Purves – His Intimate Lives  », comprenant six courts-métrages d’animation pour adultes, des interviews et un livret de 80 pages en couleurs. Ce bijou de l’un des maîtres de l’animation de marionnettes contemporaine est un must pour les passionnés et amoureux du genre animé.

Après avoir étudié la littérature grecque et travaillé comme acteur de théâtre, Barry Purves devient animateur indépendant en réalisant des campagnes publicitaires et des clips vidéos et en organisant des ateliers dans certains des studios américains les plus importants du monde, comme DreamWorks, Pacific Data Images, Pixar et Laika. Il crée sa propre boîte de production, Bare Boards, dans laquelle il développera presque tous ses films, en s’occupant lui-même du scénario, de la réalisation et de l’animation. Ses courts-métrages, maintes fois primés dans les festivals spécialisés, ont été nommés aux Oscars et aux Bafta.

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Ancien comédien, Purves a été fortement influencé par le théâtre, notamment par Shakespeare, l’opéra italien et la tragédie grecque. Véritable artiste, il n’hésite pas à mélanger tous ces arts pour créer un univers très personnel. Il manipule de manière virtuose ses marionnettes articulées, expérimente le jeu des possibles et accentue les expressions faciales et corporelles de ses personnages, privilégie un jeu à la limite de l’artifice, filme, de manière intensément dramatique, les grands sentiments (amour, passion, colère, mort, etc), passant constamment de l’ombre à la lumière.

Le livret accompagnant ce DVD, composé d’une discussion entre Barry Purves et Michel Ocelot, de documentaires et d’un livret qui ravira à la fois les professionnels de l’animation ainsi que les amateurs, fonctionne comme un prélude aux courts-métrages présentés. La conversation entre les deux géants de l’animation britannique et française fait état du processus créatif et du rapport au public. Tous deux savent ce que signifie être un auteur, un réalisateur et un animateur de ses propres films.

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Purves présente une brève et captivante introduction de ses films qui fonctionne comme une préface à ses films. Ceux-ci racontent des histoires universelles et portent la signature du réalisateur : les visages sont très travaillés, les marionnettes semblent prendre vie devant la caméra, les décors et les costumes sont élaborés avec minutie, ce qui rend les films de Purves identifiables entre tous.

Dans le livret, Paul Wells, l’un des plus grands critiques du cinéma d’animation, analyse les principales caractéristiques des films de Purves : la “manipulation sensuelle” des marionnettes, les sentiments passionnés des personnages, le sens du détail du metteur en scène, l’élaboration de ses récits.

Toujours dans le livret, chaque film s’accompagne d’un bref dossier personnalisé, d’un synopsis, de commentaires, d’anecdotes, d’une liste de prix les plus importants, d’images de story-boards et de dessins. La chose certainement la plus attirante pour les non initiés ? Un guide essentiel des secrets de réalisation de l’animation en stop-motion.

Purves, cinéaste prolifique, propose dans ce DVD une excellente sélection de six de ses courts. Dans « Next » (1989), nous assistons à une audition de Shakespeare lui-même qui passe un casting devant le directeur de théâtre Peter Hall. Alors que celui-ci l’ignore, Shakespeare fait son possible pour attirer son attention et lui exposer l’étendue de son talent, le tout en cinq minutes. La marionnette articulée porte la performance au maximum, en combinant des moments phares des oeuvres de Shakespeare et une palette de sentiments, tous au service de l’histoire.

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« Screen Play » (1992), nominé aux Oscars est sans doute l’œuvre la plus célèbre de Purves. Ce projet épique se réfère aux conventions du théâtre Noh de Kabukki et de Bunraku, au naturalisme du théâtre traditionnel japonais. En utilisant un décor tournant, véritable symbole de la culture japonaise, un visible narrateur nous raconte à travers le langage de signes et une voix off l’histoire d’un vieil homme japonais qui se rappelle sa jeunesse passionnée et tragique. Cette œuvre est la plus poétique de toutes car les marionnettes ne communiquent que par langage des signes. « Screen Play » est pure scénographie, le décor tourne autour du personnage, offrant au spectateur une toute autre façon d’aborder le film.

« Rigoletto », un moyen-métrage de 30 minutes tourné l’année suivante (1993) combine tout le drame de l’opéra de Verdi et une brillante technique d’animation de marionnettes. Dans cette pièce complexe de Verdi, le bouffon bossu du duc de Mantoue tente de venger le déshonneur de sa fille. Les décors et les costumes des personnages évoquent la Renaissance italienne, pour atteindre un haut degré de sophistication grâce à une respiration mécanique des marionnettes. Element étonnant : Purves a « recyclé » la marionnette du directeur de théâtre Peter Hall (présent dans « Next ») pour créer le personnage du comte Monterone, par souci d’économie.

« Achilles » (1995) aborde les relations amoureuses entre Achilles et Patrocle pendant la guerre de Troie. Ce chef d’œuvre parle du mythe grec et de l’hypocrisie des tabous sociaux liés à l’homosexualité et à l’intimité érotique. Le traitement formel des amants nus, faisant semblant d’être de robustes sculptures grecques, est précis dans les contours et les détails ainsi que dans l’harmonie et la beauté de leur anatomie. L’obsession de Purves pour l’expression corporelle des personnages est évidente dans cette pièce représentative de l’époque hellénistique caractérisée par le luxe, l’hédonisme et l’exploration constante de l’expressivité émotionnelle.

« Gilbert & Sullivan, the Very Models » (1998) est une opérette de l’époque victorienne qui se distingue par son esprit comique, sa musique omniprésente et ses personnages tiraillés entre désirs de création, rêves de gloire et passions personnelles. A la limite de l’autobiographie, Purves révèle ses préoccupations en tant qu’auteur devenu incontournable grâce ou à cause de la visibilité des prix et festivals : le gaspillage de talent, l’obsession de la célébrité, la question de la reconnaissance pour les générations à venir.

« Hamilton Mattress » (2001) est un court-métrage diamétralement opposé des courts-métrages précédents. Hamilton est un fourmilier faisant son entrée dans le monde décadent du show-biz par le biais de son agent, le mille-pattes Feldwick. Purves réalise ce film qu’il n’a ni écrit ni animé. Distingué par une palette de couleurs très riches, cet autre moyen métrage de 30 minutes est un projet pilote issu des Studios Aardman. Sa technique a de fait évolué. Ses marionnettes sont plus sophistiquées : elles sont à la fois plus petites, ce qui permet une manipulation plus précis, elles contiennent également des mécanismes sous-cutanés qui, une fois animés, leur permettent une plus grande expressivité. En parallèle, les décors utilisés jouent avec les fausses perspectives, ce qui renforce l’étendue du champ et en en approfondit et en en complexifie l’histoire.

Cette sélection de six films, numérisés pour l’occasion de ce DVD, met en avant un animateur et cinéaste majeur, un artiste total à la filmographie plus que cohérente. Le travail de Purves est étroitement lié à sa vie, à ses obsessions et à ses sentiments les plus profonds. Il évite les clichés de type Disney, les stéréotypes faciles en privilégiant un travail d’auteur, personnel, artistique et indépendant dans lequel la chaîne de télé britannique Channel 4 a bien fait de croire dans les années 80 (au même titre que Joanna Quinn, les frères Quay ou Ruth Lingford). Artiste indémodable, il est selon les propres mots d’Ocelot : « un artiste énorme, de ceux qui vivent avec la passion, l’honnêteté, la culture, l’esthétique et la virtuosité ».

Adriana Navarro Álvarez

Barry Purves – His Intimate Lives : 6 courts-métrages & suppléments : Édition Potemkine

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