Lucile Hadžihalilović : « Ce qui me plaît au cinéma, c’est d’entrer dans un univers »

Cette semaine sort en salles le nouveau long-métrage de Lucile Hadžihalilović, La Tour de glace. Le film a reçu l’Ours d’argent de la meilleure contribution artistique à la Berlinale 2025. Une rétrospective lui était également dédiée ce week-end à la Cinémathèque française, en sa présence. Une occasion pour Format Court de partir à la rencontre de la réalisatrice, qui nous a parlé de son parcours, de son rapport entre son cinéma et l’enfance, et de son travail sur les atmosphères dans ses films.

© Cinémathèque française

Vous avez commencé votre parcours par le court-métrage. Cela a-t-il été formateur ? Difficile ?

Lucile Hadžihalilović : J’ai commencé de manière un peu particulière. C’était dans les années 1990, et après avoir fait une école de cinéma [l’IDHEC, NR] j’ai fait un film qui n’était ni tout-à-fait un court, ni tout-à-fait un long ; c’était un film de 50 minutes, qui s’appelle La Bouche de Jean-Pierre. C’est un film que j’ai produit moi-même. À l’époque, on a monté une boîte de production avec Gaspar Noé, [Les Films de la Zone], en se disant qu’on allait produire nos propres courts-métrages. Ça a été extrêmement formateur, et assez long, j’ai dû mettre 3 ans à le finir. Le film a reçu un très bon accueil, il est passé dans beaucoup de festivals, et était même à l’époque sorti en salles, bien que ce ne soit pas un long. Tout ça m’a ouvert des portes.

Quelle place vos courts-métrages occupent-ils dans votre parcours cinématographique ?

L.H : J’ai fait peu de courts-métrages, trois autres. [Le premier] était une commande du Ministère de la santé et de Canal+, mais où on a été très libre de faire ce qu’on voulait. Ce film s’appelle Good Boys (use condoms), c’était pour promouvoir le préservatif. C’était un cas un peu particulier de courts-métrages.

Après, entre Innocence et Évolution, j’ai fait un court-métrage qui s’appelle Nectar. J’ai mis beaucoup de temps entre les deux longs-métrages, donc ça m’a surtout servi à revenir sur un plateau, à faire un film. Ça ne m’a pas vraiment ouvert des portes, parce que j’avais réalisé Innocence, mais ça m’a refait faire un film à un moment où j’étais un peu désespérée de ne pas pouvoir en faire un autre.

Ensuite, j’ai fait un troisième court, [De Natura], qui était une proposition de faire un film dans le cadre d’une résidence en Roumanie. L’idée était d’aller une semaine dans un village en Roumanie et d’improviser un film là-bas. J’ai eu de la chance qu’il soit montré dans pas mal de festivals alors que c’était un tout petit film improvisé. Je n’ai pas fait beaucoup de courts-métrages. Je les ai faits dans des cas de figure différents chaque fois.

Le format court vous intéresse-t-il toujours ? Envisagez-vous de réaliser d’autres courts-métrages ?

L.H : Je trouve que c’est génial d’avoir des durées différentes de films ; c’est très excitant de réaliser des films qui peuvent durer 5, ou 15, ou 40 minutes. Malheureusement, ça prend souvent beaucoup de temps et d’énergie. On a parfois l’impression que faire un long, ce sont les mêmes efforts. Ce n’est pas tout à fait vrai, mais on a cette impression parfois. C’est plutôt une question de temps que ça prend, de faire un court quand on a des projets de longs-métrages à côté.

« La Bouche de Jean-Pierre »

Comment votre conception du court-métrage a-t-elle évolué au cours du temps ?

L.H : Lorsque j’ai réalisé La Bouche de Jean-Pierre, fin des années 90, il n’y avait pas tant que ça de sources de financement. On avait un rapport au court-métrage où on faisait peut-être plutôt ça comme une expérience, pour le plaisir de faire un film. Après, le court s’est professionnalisé au fur et à mesure, il y a eu plus de sources de financements, les personnes qui travaillent sur les films se sont mis à être payées. Ce qui est très bien évidemment, mais ça change aussi le rapport à ces films… Il y a peut-être un peu moins de libertés. Ceci dit, quand j’ai réalisé De Natura, c’était dans un tout autre contexte, j’ai eu une impression de plus grande liberté, et ça m’a beaucoup plu. Si je devais encore faire des courts-métrages, j’essayerais de faire des petits courts-métrages dans des systèmes de production où il y a le plus de liberté possible. Il me semble que c’est ça l’intérêt aussi d’un court-métrage par rapport à un long, qui est toujours dans un système de production plus rigide.

Parlons un peu de vos thématiques. Ce qui m’a toujours frappé en regardant vos films, c’est l’omniprésence de l’enfance. Quel rapport entretenez-vous avec l’enfance au cinéma ? Pourquoi la mettre en scène pour porter vos récits ?

L.H : Mettre en scène l’enfance me permet de raconter plus facilement des histoires imaginaires, des contes. Mes films sont souvent des parcours initiatiques, avec des rencontres, des découvertes, qui font grandir. J’aime tourner avec des enfants, parce que je trouve qu’ils sont très différents. Ils voient les choses de manière très inspirante, parce qu’ils sont constamment dans le présent, dans l’immédiat. Les émotions me semblent amplifiées avec les enfants.

Quelle est la différence entre diriger le jeu d’un enfant et celui d’un adulte ?

L.H : Avec les enfants, ce n’est pas une direction d’acteurs à proprement parler. Ce ne sont pas des acteurs justement. Je cherche toujours de préférence des enfants qui n’ont jamais joué dans des films, qui n’ont pas été formatés. Je leur décris les actions à faire, je leur décris un peu la situation, mais tout est très lié à une immédiateté. J’essaie de les laisser les plus libres possible. Je ne suis pas très intéressée par la psychologie [dans le jeu]. Ça dépend des acteurs, mais il y en a qui ont envie d’explications pour diriger leur interprétation. On va davantage leur demander de ne pas être eux-mêmes. Les enfants n’en ont pas besoin, ils s’approprient très facilement les choses.

« Nectar »

Vos films proposent des univers, des microcosmes, qui leur sont propres. Vous instaurez des ambiances, tant visuelles que sonores, particulièrement viscérales. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ? Quelle place tient l’ambiance dans vos films ?

L.H : Ce qui me plaît au cinéma, c’est d’entrer dans un univers, dans lequel on vit le temps d’un film, et que cela passe par des sensations, des émotions. J’aime ça en tant que spectatrice, d’avoir affaire à des films qui m’habitent. Ça m’intéresse plus que la narration proprement dite — même si bien sûr les films racontent toujours quelque chose —. Ce sont des narrations qui passent par des détails, des émotions, plus que par des événements. En tant que spectatrice, ce sont ces films qui me restent plus en tête. C’est ça que je ressens, et que j’essaie de faire.

D’un point de vue plus technique, comment effectuez-vous ce travail sur l’ambiance ? Quelle relation entretenez-vous avec vos équipes artistiques ?

L.H : Le travail sur les ambiances commence dès la préproduction, avec les différents postes artistiques, l’image, les décors, les costumes. Ça commence aussi par les repérages, dans lesquels j’essaie d’impliquer le plus tôt possible le chef décorateur et le chef opérateur ; parce que les lieux dégagent quelque chose. Ça m’intéresse de tourner dans des décors réels. On est souvent surpris, ça apporte des idées qu’on n’aurait peut-être pas s’il fallait inventer des choses. Ensuite, ce sont des choix de couleurs, de textures, de matières, qu’on fait avec toute l’équipe artistique. Il y a aussi des choix d’éclairages qui concordent avec les choix de déco — j’utilise très peu d’éclairages artificiels —. Tout ça participe à créer ces atmosphères.

Ensuite, il y a un élément très important — peut-être le plus important — : c’est le son. On le travaille en post-production : au montage image, il y a déjà des directions, des choix de musiques ; avec le monteur son, on ajoute des éléments sonores, etc. Tout ça participe à créer ces univers. Le son a une part très importante. C’est ce qui résonne le plus intimement. Mais souvent de manière inconsciente, c’est peut-être pour ça qu’on a parfois du mal à en parler.

Propos recueillis par Niels Goy

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