Bimo est le premier film d’Oumnia Hanader. Il prend place à Marseille, où elle a grandi. Elle y étudie aujourd’hui le scénario, à la Cinéfabrique, qui s’est installée en 2023 dans la cité phocéenne. La réalisation de Bimo s’inscrit pour Hanader dans la formation qu’elle poursuit et qui entend offrir à chaque élève l’opportunité de voir son projet prendre vie pendant ses études, en accord avec la philosophie de l’école qui fête cette année ses dix ans. Montré dans la sélection cannoise de la Cinef (films d’école), Bimo témoigne du potentiel d’une réalisatrice-scénariste-actrice qui réussit à raconter une histoire difficile tout en transmettant l’espoir d’un lendemain meilleur.
Le film s’ouvre sur une séquence intimiste et légère à la fois: Sihem (incarnée par Hanader) se fait lisser les cheveux par son amie. On perçoit dans leurs gestes l’habitude, la routine. La sobriété du cadre, du décor et le choix de montrer cette conversation en un seul plan nous le font comprendre. Cette simplicité presque documentaire donne le ton du film. La jeune femme d’origine algérienne est serveuse dans un café tout à fait ordinaire. Par la fenêtre, la caméra l’épie presque à la manière de la nouvelle bouleversante qu’elle s’apprête à apprendre. Son frère cadet vient de traverser la Méditerranée depuis l’Algérie pour la rejoindre à Marseille. Quand Sihem l’apprend, elle se trouve entre deux murs, un couloir laissant apercevoir le ciel et la mer en arrière-plan. C’est le premier signe de clarté, de jour, d’ouverture, la première scène en extérieur. Elle évoque à la fois une certaine étroitesse et une échappatoire. Le frère et la sœur se retrouvent dans cette clarté annonciatrice d’un jour nouveau encore rempli d’espoir, cette fois dans un terrain vague, la mise en scène est ici toujours discrète. Le son, ténu, en retrait, rassure et laisse la place aux regards et aux gestes.
Shams (Mohamed Bouchoucha) arrive en France avec un rêve de réussite mais pas de plan. L’usage de l’accessoire et du dialogue en tandem, toujours dans une simplicité caractéristique du film, traduit les conflits générés par cette incohérence dans l’attitude du personnage. C’est Sihem qui défend Shams face aux railleries de ses amis. À chaque fois, le langage corporel de chacun feint la désinvolture : en réalité, une bataille perdue d’avance se joue entre Sihem et l’entourage de son frère. Le choix de montrer un personnage face à trois autres nous le montre bien.
La direction d’acteur prend toute son importance au fil des minutes, quand le corps et le visage de Sihem exsudent la lassitude à chaque conversation. On comprend à l’ambiance des scènes de confrontation, transmettant de manière vive la fatigue de la sœur grâce au choix d’une luminosité tantôt sombre tantôt rougeoyante, que le personnage de Sihem n’a pas le droit à l’erreur. On comprend également l’importance de la présence de Sihem pour son jeune frère, et vice versa. Elle transparaît dans leurs manières, leurs intonations, leurs rires et la sévérité dont elle peut faire preuve à son égard, tout ceci étant incorporé habilement dans le scénario comme dans la direction d’acteur. Hanader et Bouchoucha brillent par leur interprétation de cette dynamique si classique s’insérant dans une histoire que l’on raconte trop peu. Cet équilibre entre la notion intemporelle de relation fraternelle et le thème relativement moderne de l’immigration clandestine constitue une excellente fondation à l’intrigue qui se joue, mêlant l’amour à l’intransigeance de manière presque homogène.
Le climax du film est réussi avant tout parce qu’il a été préparé, on retrouve sa trace dans chaque séquence le précédant grâce à une écriture cohérente. Tout passe également par les regards, primaux et subtils à la fois. Une certaine attention est portée au dialogue, que ce soit par le mélange des langages ou par le fait de montrer une certaine retenue dans les conversations qui vont droit au but, laissant respirer chaque scène et nous ramenant à une manière simple et efficace (car maîtrisée) de raconter une histoire.
Le film se termine sur une impression de calme, on y retrouve la même puissance évocatrice qu’auparavant grâce à un usage de la symbolique toujours calculé. La vie continue comme elle l’a toujours fait. Les films comme Bimo nous inspirent à en tirer le meilleur. Oumnia Hanader accomplit avec ce film, la prouesse de raconter une histoire primordiale sur l’importance de la dignité et de l’espoir face à l’adversité, et ceci en tant qu’auteure et actrice.