Stendali (Suonano ancora) de Cecilia Mangini

Dum pendebat filius

Documentaire sur les rites mortuaires dans la région des Pouilles au sud de l’Italie, « Stendali (Suonano ancora) » pose un regard sur la féminité dans sa dimension expressive et émotive. Une œuvre obscure et fascinante de Cecilia Mangini, mise à l’honneur dernièrement au Festival de Films de Femmes de Creteil.

À Martano, dans le talon de la botte italienne, jusqu’il y a peu de temps, la veille funéraire se faisait à domicile pour les femmes – auxquelles il était défendu d’assister à l’enterrement – en présence des pleureuses professionnelles, telles qu’on en trouve encore dans certains pays du Proche-Orient et dans quelques régions de l’Inde.

L’éloge funèbre, sous forme d’un chant scandé en griko (dialecte grec de la région), est traduit dans un registre hautement poétique par Pier Paolo Pasolini, collaborateur fréquent de la cinéaste. Hormis les personnes filmées, le seul « personnage », extradiégétique, est incarné par la voix de l’actrice italienne Lilla Brignone (« L’Ecclisse ») qui, par sa déclamation poignante, fait écho au tragique de l’eulogie croissante jusqu’à la frénésie. Le texte laisse entendre un renversement du rapport entre le mort et les vivants en faisant allusion au défunt comme un enfant nécessitant des soins quotidiens qu’il n’aura plus à force d’avoir quitté le monde des vivants : un déploiement idiomatique et archéen du thème de la Mater dolorosa et du culte marial omniprésent dans l’Europe méridionale.

L’humanisme de Mangini est doté d’une dimension engagée par le biais du prologue textuel de Pasolini, qui situe d’emblée le sujet dans le contexte historique d’une Italia anno zero sortant difficilement de la misère de la post-guerre. Ce traitement est renforcé formellement par une bande son sombre et une image maîtrisée dans laquelle la photographe-cinéaste et le chef op’ Giuseppe De Mitri alternent des tableaux collectifs dignes des cinéastes soviétiques et de gros plans intimes, évoquant des scènes de la Pietà. Le tout imprégné de la sévérité quasi orthodoxe de l’esthétique des Pouilles.

Témoignage précieux de mœurs disparues, « Stendali » sonne toujours et rappelle que la réalité peut se révéler parfois bien plus spectaculaire que la fiction.

Adi Chesson

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