« Ich bin ein Berliner! » : L’Allemagne se dévoile au Brussels Short Film Festival

À l’heure où Kennedy prononçait son célèbre discours, un mur de béton séparait Berlin depuis presque deux ans et un rideau idéologique déchirait le monde d’Ouest en Est. 47 ans plus tard, pour sa treizième édition, le Brussels Short Film Festival, en collaboration avec le Goethe Institut et Inter Film Berlin (organisateur du Festival de Court métrage de la capitale allemande) a voulu célébrer les 20 ans de la réunification en proposant quatre programmes de films courts, une séance « Best of » et un spécial « Grands réalisateurs » entièrement consacrés au plus peuplé des pays de l’Union européenne. Découverte de six affinités électives.

Meine Eltern de Neele Leana Vollmar

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Parmi une sélection de sept films maladroitement appelée « Best of » ayant inauguré le Festival bruxellois, le film, multi primé de Neele Leana Vollmar dénote fortement. Contrairement aux autres, il se laisse apprécier pour son rythme bien senti et son humour rafraîchissant. Marie file le parfait amour avec Julian qui a décidément tout pour plaire. Lors d’une conversation printanière, la demoiselle affirme que ses parents forment un couple épatant et moderne, encore fou amoureux après 22 ans de mariage. Lorsque Julian vient passer le week-end dans la famille de Marie, il s’agit de recréer cette belle illusion afin que l’homme qu’elle aime ne découvre pas que ses géniteurs sont en réalité deux vieux ronchons affreusement ordinaires, empâtés dans un quotidien aussi banal que monotone. Alors qu’ils se prêtent à ce jeu risqué, les parents retrouvent petit à petit leur entente d’autrefois et leurs désirs enfouis sous une couche d’habitudes robotisées se réveillent petit à petit. L’intérêt de « Meine Eltern » réside dans un questionnement intéressant de la normalité et du conventionnalisme dans une société à l’apparence libre et ouverte d’esprit. Les clichés de la famille idéale s’y déclinent à travers une mise en scène réussie et une interprétation jubilatoire des parents (Gustav Peter Wöhler et Teresa Harder).

Radfahrer de Marc Thümmler

Présenté dans le programme Allemagne 1 : Le syndrome de la Stasi, le film de Marc Thümmler est un documentaire saisissant sur le Ministère de la Sécurité d’État, mieux connu sous le nom de Stasi. Née au début des années 50 et dissoute peu après la chute du Mur, la Stasi, comme nous le montre le film de fiction « La Vie des autres» de Florian Henckel von Donnersmarck, avait l’habitude de prendre les affaires intimes de ses concitoyens très au sérieux. En raison de ses photographies jugées trop peu en accord avec l’idéologie politique, Harald Hauswald, célèbre photographe est-allemand, fut l’objet d’une surveillance serrée. Selon le gouvernement, les photos d’Hauswald étaient trop néfastes car elles exhibaient la misère au lieu de vanter les mérites et les bienfaits du socialisme. Pendant des années, les moindres faits et gestes de l’artiste furent récoltés minutieusement sous le nom de code « Radfahrer » (le cycliste). Le documentaire expérimental de Thümmler met en parallèle des photos de Hauswald et une lecture des archives de son rapport de surveillance. La fixité des photos en noir et blanc est accentuée par le commentaire détaillé et prosaïque de l’agent de sécurité d’Etat qui, à ses moments perdus, se lance dans une analyse critique poussée des œuvres du photographe dans l’unique but de prouver la dangerosité de l’artiste. Un peu trop long, le premier film de Thümmler demeure impressionnant dans sa manière de dresser le portrait mosaïque d’une RDA aussi effrayante qu’humaine.

Die Lösung de Sieglinde Hamacher

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« Die Lösung » a été projeté dans le deuxième programme intitulé Chaque jour entre les fronts. Des rêves d’une jeunesse pleine d’espoir aux contraintes d’un scénariste soumis à une bureaucratie rigide, les films présentés affichaient avec plus ou moins d’humour ou de réalisme, les difficultés de s’exprimer pleinement en tant qu’artiste dans un Etat où la censure et la répression sont reines. Le film de Sieglinde Hamacher est une courte animation qui, en l’espace de 3 minutes, démontre parfaitement les concepts à la fois simples et complexes d’autorité, de soumission et de rébellion. Des oiseaux, docilement posés sur un fil regardent tous dans la même direction, celle imposée par l’oiseau-chef. Tous ? Non, le dernier oisillon, l’enfant terrible, démontre déjà des signes avant-coureurs d’insubordination. Malgré les diverses délations des oiseaux collabos le rebelle volatile affirme sa cause sans aucun complexe. Avec un contenu audacieux et une forme simple, cette parabole, sortie en 1987, passa entre les mailles du filet de la censure offrant au spectateur un miroir humoristique de l’asservissement d’une population face à un pouvoir aliénant.

Wagah de Supriyo Sen

Le film du réalisateur indien Supriyo Sen, lauréat du prestigieux «The Berlinale Talent Campus » en 2009 faisait partie du programme 3, Un mur, des murs. Qu’elles soient réelles ou imaginaires, les frontières marquent les gens qu’elles désunissent. Au nord de l’Inde, à la frontière avec le Pakistan, sur une distance de 3323 kilomètres, Wagah est le seul point de rencontre des deux frères ennemis depuis la Partition de 1947. Tous les jours, des millions d’Indiens et de Pakistanais viennent assister à l’ouverture des frontières, le temps d’une cérémonie rituelle acclamée par les nostalgiques d’un pays uni, décriée par les patriotiques et les séparatistes. Ayant choisi de nous montrer les étapes de la cérémonie et la ferveur qu’elle engendre des deux côtés de la frontière à travers les yeux d’un enfant, Sen met en évidence l’absurdité du concept idéologique de la séparation. « Wagah » est de ces documentaires qui affirment la volonté de briser les murs qui nous enferment en mettant en valeur la similarité dans la différence. À l’heure où un vent mesquin compresse les esprits curieux dans un pays aussi petit que le nombril du monde (la Belgique) il est salutaire de pouvoir voir qu’un tel manifeste s’exprime ouvertement contre toutes sortes de barrières authentiques ou symboliques.

Die andere Seite de Ellie Land

Présenté dans le quatrième programme consacré à l’Allemagne, L’histoire (re)vue par… « Die andere Seite » est un documentaire animé traitant du Mur de Berlin, mur de la honte pour les uns, mur antifasciste pour les autres. Ellie Land propose une exploration dessinée sur les fantasmes des enfants et des adultes, érigés autour de la forteresse berlinoise. Que trouve-t-on au-delà du bloc de béton qui sépare l’Occident de l’Orient ? Comment vivent les habitants ? Mangent-ils les mêmes choses ? S’habillent-ils de la même façon ? Autant de questions qui parcourent, d’une réalité à l’autre, les esprits ignorants. À la lumière des réactions recueillies, le film d’école d’Ellie Land se révèle fort attachant même si l’on regrette une fin abrupte qui souligne la trop grande brièveté de cette animation documentaire.

Schwarzfahrer de Pepe Danquart

Depuis plusieurs années déjà, le Festival a l’habitude de projeter une séance de courts métrages de réalisateurs mondialement reconnus. Cette année, la programmation de « Grands réalisateurs » se composait essentiellement de films allemands. Danquart, moins célèbre que Wenders, Schlöndorff, Henckel von Donnersmarck ou Herzog, remporta l’Oscar du court métrage en 1994 pour son film « Schwarzfahrer ». Jouant sur la signification plurielle du titre, « Schwarzfahrer » signifie à la fois resquilleur et voyage au noir, le film met en scène une vieille dame et un jeune africain branché dans un tram bondé. Alors que la bourgeoise déblatère un monologue fortement raciste sous l’indifférence des autres passagers, le silencieux étranger se joue des paroles de l’aïeule pour la plonger dans le gouffre de la bêtise dans un final aussi glorieux qu’édifiant. La mise en scène rappelle à bien des égards certains films de la nouvelle vague avec la musique jazzy et les images capturées sur le vif, moments rapides et furtifs sur un Berlin incandescent. Le Mur vient de tomber et une nouvelle ère semble s’annoncer. Confronté à l’espérance naïve d’un monde naissant, le réalisateur présente une vieillesse acariâtre, incapable de se renouveler et de s’adapter aux transformations de la société. Parfait pamphlet contre le racisme, « Schwarsfahrer » séduit tout simplement!

Marie Bergeret

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