L’acteur ou la surprenante vertu de l’incompréhension de Raphaël Quenard et Hugo David

Raphaël est acteur. Pour la première fois, il a le rôle principal d’un long-métrage. Personne ne comprend pourquoi il a été choisi. D’ailleurs, personne ne le comprend vraiment. Dans un film de 25 minutes nommé aux César du meilleur court-métrage documentaire 2024, Raphaël Quenard se met en scène face à la caméra d’Hugo David pour nous livrer une performance folle et très très riche.

Un jeu de réalités 

L’acteur ou la surprenante vertu de l’incompréhension est construit sur une mise en abîme, c’est-à-dire, une fiction dans une fiction. Le film adopte la forme du faux documentaire, qui donne l’impression d’une spontanéité alors que tout est écrit et répété. Un documentaire qui est supposé montrer les coulisses du long métrage de Jean-Baptiste Durand Chien de la casse, film à succès sorti en 2023. Pourtant, dans le faux documentaire le film semble raté, l’ambiance du tournage est pourrie, Raphaël Quenard considéré comme mauvais.

Réalité alternative, ou archive compromettante qui nous montre les coulisses d’un film considéré comme mauvais, gâché par un acteur nul, avant que la critique ne l’acclame jusqu’à le faire atterrir aux César ? La question reste en suspens. Le réel et la fiction se chevauchent, on perd le fil et on ne distingue plus quand ça joue et quand c’est vrai. Raphaël Quenard incarne son propre rôle dans le documentaire, mais endosse un rôle de loser comme dans Chien de la casse. On finit par confondre la fiction du film et la fiction du documentaire, de même que la distinction entre la fiction des deux et la réalité se confondent aussi. Bref, tout est flou. Et, ce flou, c’est peut-être celui que l’acteur ressent.

L’actor studio à son comble

Dans une scène de répétition, Raphaël prend un accent pour incarner un personnage puis continue de parler avec cet accent alors qu’il est sorti de son rôle. L’acteur ne sait plus faire la différence entre le moi frictionnel qu’il invente pour jouer la comédie et son moi réel. On retrouve là le mythe de l’actor studio qui se perd dans sa performance, que Jean Dujardin avait brillamment interprété dans la série Dix pour cent, ou que certaines stars incarnent dans la vraie vie, comme c’est le cas du légendaire Heath Ledger (interprète du Joker) qui aurait développé des troubles mentaux après sa performance dans le film de Christopher Nolan.

Raphaël a beau donner des conseils de jeu, imitant la master class d’acting, toutes ses techniques échouent et sont décridibilisées puisque l’équipe de tournage le trouve mauvais. Ce qu’on nous dit, c’est que la ligne est fine entre le génie et le grotesque, entre un acteur qui a l’air con-con, mais qui est en vérité un génie avec beaucoup à offrir, et celui qui est une coquille vide.

Un cycle de l’absurde à l’écran 

Avec ce rôle, Raphaël Quenard s’inscrit définitivement dans la lignée des acteurs de l’absurde, dont le premier membre est, sans doute, Edouard Baer avec son monologue iconique dans l’Astérix et Obélix d’Alain Chabat. Dans ce film de 25 minutes, Raphael Quenard  passe maitre dans l’art de la tautologie, de la phrase qui dure et dure, mais ne va nulle part et, pire, revient sur elle-même. L’acteur qu’incarne Raphaël Quenard est un comédien raté, fourre-tout, qui dit tout et son contraire et se réinvente à tout bout de champ. En confiant ses techniques de jeu face caméra, il se dit d’abord instinctif, puis on le voit répéter toute la nuit et s’acharner sur des dialogues éprouvants. Entre Jean-Claude Van Damme et Jonathan Cohen, l’acteur s’apparente à un mythomane complètement illusionné qui doit bâtir sa légende, quitte à raconter n’importe quoi, pourvu que ça ait l’air profond.

À cette situation grotesque, s’ajoutent des moments vraiment hilarants, comme la scène finale d’improvisation théâtrale dirigée par un metteur en scène de théâtre expérimental japonais. On rit de l’absurde de l’acteur, mais on le trouve aussi très touchant, car il reste un grand enfant plein de naïveté, d’illusions et de fragilité. Aussi risible et mauvais soit-il, on ne peut s’empêcher d’être touché de son courage pour se mettre à nu ainsi devant nous, face caméra.

La désillusion de l’acteur incompris 

Les 25 minutes de film s’apparentent à une descente aux enfers. Au début, tout le monde est plein d’espoir, puis la réalité apparait, et on découvre que le réalisateur n’a pas fait passer d’essais à Raphaël et qu’il l’a engagé sur recommandation, autrement dit à l’aveuglette. Grave erreur, si l’acteur est nul, alors le film est nul, car le rôle de l’acteur est primordial.

Sous couvert de parodie, le court métrage dit beaucoup de choses sur le cinéma, sur les dynamiques entre la personne qui réalise, les comédiens et l’équipe technique. Raphaël est un acteur à côté de la plaque qui ne trouve pas sa place parce qu’il ne remplit pas correctement son rôle. Puisqu’il ne fait pas partie des dynamiques du plateau, il se trouve coupé du monde. On le voit très souvent seul dans le plan ou séparé des autres. Il ne cohabite presque jamais avec d’autres personnes à l’écran, la séparation visuelle représente l’impossibilité d’entrer en contact avec les autres. Par son discours que personne ne comprend et physiquement à l’écran, Raphaël est toujours à distance, toujours en fausse note.

La voix off du documentaire surgit au milieu du film, au moment où nous apprenons que personne ne comprend ce que Raphaël dit. La voix off, c’est la nôtre. Et ses questions, ce sont les nôtres, spectateur.ices, qui essayons de le comprendre. Et comme le caméraman n’est jamais montré à l’écran, la caméra est aussi nos yeux. À mesure que le documentaire avance, la caméra devient floue, tremblante, et multiplie les zooms pour aboutir au gros plan et nous faire accéder aux pensées du personnage. Les mouvements de la caméra imitent notre volonté de voir Raphaël de plus près, de l’atteindre pour mieux l’appréhender.

Finalement, Raphaël se retrouve perdu dans la foule de l’équipe du tournage. Personne ne lui dit où aller, on l’ignore, car il n’a plus d’intérêt à être sur le plateau. Le réalisateur lui demande de partir de son champ de vision, pourtant la place naturelle de l’acteur, qui n’existe que par le regard du réalisateur. L’acteur est déchu, chassé du plateau comme un animal. Parce que l’acteur qui ne joue pas, qui n’occupe pas le plan, n’est rien. Il n’a plus qu’à disparaitre dans le noir, hors champ.

« Chien de la casse »

Une dimension philosophique

Derrière le titre à rallonge qui semble parodier les œuvres philosophiques du XVIIIᵉ siècle, se cache une vraie réflexion sur le langage, sur le métier d’acteur et ce qu’il veut dire. Comment fait-on pour être un acteur quand on a des soucis à s’exprimer clairement ? Après tout, c’est le propre de l’acteur, dire le message du film, transmettre les émotions aux spectateur.ices. Raphaël Quenard et Hugo David ont eut cette intelligence de mettre l’acteur en difficulté au cœur même de ce qu’il est, un langage. Que ça soit les gesticulations de Chaplin ou les punchlines de Bernard Blier, l’acteur se résume au fait de communiquer. Quand il ne communique pas, il n’est rien. Et pourtant.. Raphaël Quenard et Hugo David arrivent à ouvrir le débat et à se poser la question : « Mais est-ce que ça n’est pas plus intéressant de n’être pas compris, et donc, de laisser libre cours à l’imagination de l’autre ? ».

En 25 minutes, dans un film qui semble très simple, Raphaël Quenard et Hugo David nous offrent une vraie pépite. Comment réussir à intégrer autant d’éléments dans si peu de temps et de moyens reste un mystère. Mais, in fine, elle est là, la magie du cinéma.

Anouk Ait Ouadda

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Article associé : l’interview de Raphaël Quenard

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