Last Round de Ziv Mamon

Film de fin d’études de Ziv Mamon présenté lors du dernier festival du film étudiant de Tel Aviv, « Last Round » nous emmène en virée nocturne dans les clubs et les rues de Tel Aviv, dans un univers où l’alcool et les drogues coulent à flot, où les hommes, envahissants prédateurs, sont bien souvent abusifs, que cela soit en boîte de nuit ou dans la rue, mais où la femme refuse d’être une victime. On y suit plus particulièrement Eliya, la trentaine, incorrigible noceuse qui la veille de son avortement semble décidée à faire tout ce qui lui est déconseillé dans de telles circonstances. L’espace d’une nuit, la caméra plonge dans le monde quelque peu sordide d’une jeune femme dont on ne connaît jamais réellement les motivations, si ce n’est sa détermination à faire la fête jusqu’au bout de la nuit.

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Le personnage central de cette fiction possède un charme discret mais certain et un visage angélique que la caméra de Ziv Mamon ne lâche quasiment pas. En ouverture, cette dernière suit Eliya de dos et tente tant bien que mal de capturer ce personnage fuyant sous le faible éclairage de la boîte de nuit. Comme envoûtée par cette jeune femme, qui constitue un des attraits principaux du film, l’œil de la caméra la suit dans ses déambulations frénétiques. Par la suite, les gros plans s’enchaînent et contaminent le spectateur, les personnages autour n’en deviennent que secondaires, presque fades.

« Last Round » oppose la douceur d’un visage omniprésent qui illumine le cadre à la dureté d’une jungle urbaine impitoyable où le corps est malmené. Sexe, drogue et alcool y forment un cocktail détonnant accentué par la musique qui ouvre le film, des sons de basses électro qui communiquent une sorte d’adrénaline. La musique qui clôt le film, plus mélancolique, est une reprise de la chanson qui constitue la bande originale du magnifique « Party Girl » de Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas un hasard, car le sujet du film reste dans la veine des films de ce trio français issu de la Fémis (sans le brouillage de pistes entre fiction et réalité qu’on aime chez eux).

Avant « Party Girl », Marie Amachoukeli et Claire Burger ont notamment réalisé « C’est gratuit pour les filles », titre faisant référence aux remarques misogynes souvent entendues dans des bars ou autres boîtes de nuit, une phrase très bien illustrée dans la séquence des toilettes de la boîte de nuit qui ouvre « Last Round ». Eliya, après avoir repoussé un homme, se voit finalement refusé par ce dernier la seconde dose de cocaïne qui lui avait au départ été proposée sans conditions. Tout comme Angélique de « Party Girl », Eliya est une véritable reine de la nuit, une femme au caractère bien trempé qui mène une vie que l’on devine intense, vacillant entre ombre et lumière.

Tout le cheminement du personnage prend finalement corps dans le dernier plan du film qui vient refermer la boucle, un plan qui film Eliya de face, marchant dans les ruelles de Tel Aviv éclairées par la lumière du jour. Autre élément qui rappelle la séquence finale de « Party Girl » et force à croire que Ziv Mamon a été inspirée par le film français qui avait reçu en 2014 la Caméra d’or au festival de Cannes. Cette fois le personnage fait littéralement face à sa situation et à son échec. Cette nuit de fête et d’errance insouciante ne s’avère finalement pas si jouissive, elle n’est qu’une succession d’affrontements, de fuites, de chutes et de rejets pour aboutir à cette dernière scène, celle où le personnage ne se cache plus, avoue son amour et son état de fatigue, son envie de passer à autre chose et d’arrêter les excès. Ce plan final est celui de la vérité, celui qui révèle au grand jour toute la fragilité d’un personnage ébréché face à une caméra qui ne ment pas.

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Habilement filmé caméra à l’épaule, « Last Round » forme une sorte d’élégie et parvient à transmettre l’ivresse d’une errance nocturne au son d’une musique efficace et bien dosée, et repose sur le charme déroutant de la remarquable Ella Tal qui incarne avec brio cette jeune femme en déroute, une créature de la nuit insaisissable qui oscille entre force et fragilité. Le film trouve sa voie de sortie au petit matin, à la lumière du jour, et forme une boucle que l’on pourrait imaginer sans fin, mais qui en réalité laisse place à tous les scénarios possibles.

Agathe Demanneville

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