Miklos Keleti/Alain Berliner. Le drame, le fantastique, le point de vue d’une enfant

La collaboration entre Miklos Keleti et Alain Berliner avait déjà fait ses preuves en 2011 avec le film « Dos au mur », alors que le premier était l’élève et le second, le professeur à l’INSAS (Belgique). Avec « Figures », Miklos Keleti signe cette fois-ci un court-métrage à cheval entre le film d’auteur et le film fantastique dont le producteur est à nouveau Alain Berliner, réalisateur de « Ma vie en rose » et « J’aurais voulu être un danseur ». Le duo Keleti/Berliner était, ce mois-ci, pour la deuxième fois en compétition au Festival Européen du Film Court de Brest. Entretien croisé autour de leurs films, du cinéma en général, de leur travail respectif et de leur collaboration. Miklos1

Miklos, dans un premier temps, peux-tu revenir sur ton parcours?

Miklos Keleti : J’ai étudié à l’INSAS, une école de cinéma à Bruxelles. J’ai terminé mes études en 2011. J’y ai réalisé un film de fin d’études, « Dos au mur », projeté ici à Brest, il y a deux ans. Je suis d’ongrois et je vis en Belgique depuis huit ans. Durant cette période, j’ai fait un passage à la Sorbonne à Paris et à la fac de cinéma de Budapest.

Comment vous êtes-vous rencontré ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler ensemble ?

Alain Berliner : Je suis professeur à l’INSAS et j’ai suivi le film de fin d’études de Miklos. L’expérience s’est bien passée et j’aimais beaucoup son univers, la manière dont il travaillait au niveau de la mise en scène, des idées, de l’atmosphère si bien que je lui ai proposé de faire un autre court-métrage puisque de mon côté, je m’étais remis à produire et que j’avais la structure adaptée pour cela. Ca s’est passé aussi simplement que ça.

Miklos, quelles sont les origines de tes films et ton intérêt pour un univers à la limite du (para)normal ?

M.K. : Mon film précédent « Dos au mur » était clairement inspiré de l’affaire Natascha Kampusch, un fait divers d’une enfant enlevée et séquestrée pendant huit ans et qui a réussi à s’échapper. Par rapport au sujet de mon film, il s’agissait juste du point de départ. Ce qui m’intéressait cinématographiquement parlant, c’était la manière d’exprimer des choses sans l’usage des mots, mais par des cadres, par la relation image/son. Par conséquent, dans ce film, il était réellement important pour moi d’essayer de voir ce qui se cache derrière une situation du point de vue d’un personnage témoin mais sans l’utilisation des dialogues, de sorte à se rapprocher du point de vue du spectateur.

Pour « Figures », c’était différent puisqu’il s’agissait cette fois d’un scénario original. En réalité, il s’agissait au départ d’un projet de long-métrage dans lequel se trouvait le même personnage d’une petite fille vivant au sein d’une communauté dans laquelle une espèce de force surnaturelle dominait les personnages. La petite fille était sourde également et de par son handicap, elle réussissait à communiquer par des signes avec cette force mystérieuse.

Pour le court-métrage, je me suis dit que ce personnage de la petite fille m’intéressait particulièrement et l’histoire a donc évolué autour d’elle. En effet, il y a un rapport au genre fantastique et à quelque chose de paranormal. J’ai été inspiré par beaucoup de films d’horreur, de films fantastiques hollywoodiens des années 80. Dans le cinéma de la fin des années 1970, il y avait cette volonté de s’aventurer dans un nouveau genre en essayant de mixer du drame avec du fantastique. J’ai voulu me rapprocher de cette intention avec le point de vue d’une enfant. Parallèlement, j’ai dû réfléchir à la manière de filmer le handicap de cette petite fille.

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La fillette qui interprète le rôle principal est-elle vraiment sourde ?

M.K. : Non, c’est une comédienne et elle avait d’ailleurs déjà joué dans quelques films auparavant. En réalité, elle vient d’une famille de comédiens puisque ces deux parents le sont également. Néanmoins, j’étais très intéressé à l’idée de travailler avec une enfant sourde car il y a des réactions difficiles à jouer et on a par conséquent fait passer des castings dans ce sens, mais il s’est avéré que c’était très – trop – compliqué au niveau de la communication.

Tu mentionnes le fait que « Figures » était à la base un projet de long-métrage et on a en effet le sentiment que ce court-métrage est comme la première séquence d’un film plus long. As-tu toujours l’intention de développer cette idée en long-métrage ?

M.K. : Non, mais c’est amusant car beaucoup de gens me disaient déjà la même chose pour « Dos au mur » et sur ce film, j’ai le sentiment que ma fin est certes ouverte, mais assez close tout de même. Il y a en réalité plusieurs interprétations possibles et c’est voulu comme ça. Concernant le développement d’un long-métrage, je travaille actuellement sur un autre projet qui n’a rien à voir, un mélange de science-fiction. Au final, même si je souhaitais à la base développer ce personnage de la fillette sourde en long-métrage, il s’est avéré que j’ai préféré le format du court-métrage pour raconter son histoire.

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Comment se passe la production de films fantastiques en Belgique ? En France, c’est un genre toujours compliqué à produire.

A.B. : En Belgique, nous avons un peu une tradition de films fantastiques, surréalistes, notamment interprétée par des auteurs comme Jean Ray (« Malpertuis ».). Nous rencontrons donc un peu moins de problèmes qu’en France. En l’occurrence, pour le projet de long-métrage de Miklos, nous avons recueillis de bonnes réactions, nous avons été aidés pour le développement du film par la Commission de sélection des Films à Bruxelles. En revanche, pour ce qui est de la coproduction avec la France qui serait un partenaire idéal, nous imaginons avoir très peu de chances. Même si le projet de Miklos est un film d’auteur, le genre de la science-fiction est bien présent. Actuellement, nous sommes dans cette interrogation-là. C’est dommage qu’en France, le film de genre ne puisse pas coexister avec d’autres films.

Alain, tu es producteur. A Brest, tu accompagnes le film de Miklos. Tu es aussi réalisateur de films bien différents de ceux que tu produis (ndlr : « La vie en rose »). Comment passes-tu d’une fonction à l’autre ?

A.B. : Je pense justement que lorsqu’on décide de mettre une casquette de producteur, ce n’est pas toujours pour produire exactement les mêmes films que l’on réalise. J’aime beaucoup le genre de cinéma que développe Miklos où l’on prend des images, du son et des actions pour exprimer des choses. Le dialogue a une part importante, mais ce n’est pas la part prédominante. Les choses se passent autrement. Une des raisons pour lesquelles j’ai eu très envie de travailler avec Miklos, c’est qu’il se base sur des actions, qu’il filme des choses qui vont au-delà du dialogue et j’ai par conséquent l’impression de voir un film dans ce qu’on peut appeler la quintessence d’un film. Le travail est donc grosso modo de lui demander ce qu’il veut faire et d’essayer de trouver des solutions pour avancer puis de créer un cadre financier pour aller au bout de cette ambition. Lorsqu’on n’a pas tout à fait les moyens financiers, mon rôle est d’aider à adapter l’ambition de Miklos au budget dont on dispose. C’est un travail que j’aime tout autant que celui de la réalisation.

Comment perçois-tu les relations France/Belgique au niveau cinématographique, particulièrement pour ce qui est de la coproduction ?

A.B. : Les statistiques de la Commission de sélection des Films à Bruxelles le montrent : les coproductions entre la Belgique et la France sont passées à un degré minoritaire par rapport aux autres pays. Les lois très protectionnistes qui ont été mises en place par le CNC concernant l’augmentation du seuil du crédit d’impôt pour les films en-dessous de 4 millions d’euros rendent les coproductions impossibles. Il n’y a que pour les très gros films au budget dépassant les 7 ou 8 millions d’euros que producteurs viennent alors chercher le tax-shelter, mais ce sont des cas finalement assez rares. Autrement dit, le cadre de la coproduction est très compliqué lorsque nous nous retrouvons sur un film d’auteur. Néanmoins, pour pratiquer les deux, je pense que la France est l’interlocutrice la plus intéressante pour produire des films. Certes, c’est plus compliqué qu’avant, mais avec 250 films co-produits par an, ça reste un très bon chiffre.

Pour revenir à ton travail, Miklos, peux-tu nous raconter comment se passe le tournage d’un film fantastique ?

MK : Nous avons tourné le dernier film pendant 8 jours. Le lieu principal était un parc. J’avais l’idée d’un lieu à Bruxelles qui est celui que j’ai imaginé lorsque j’ai écrit le scénario, mais pour des causes de financements et de région, il a fallu que l’on tourne une partie du film dans la région du Hainaut. Par conséquent, nous sommes partis dans de nouvelles recherches de parcs, en vain. Nous avons finalement tourné dans le parc de Bruxelles avec des inserts filmés dans le Hainaut. Ce n’était donc pas si simple de faire tenir tout le tournage en 8 jours. À titre d’exemple, pour mon film précédent « Dos au mur », qui était pourtant un film étudiant et qui dure moins de 12 minutes, nous avons tourné pendant 9 jours, ce qui était très confortable. « Figures » dure, lui, quasiment 20 minutes. Fatalement, il a fallu travailler beaucoup plus vite. Le film s’est tourné également en extérieur. Il fallait donc prendre en compte tous les aléas que cela engendre (météo, lumière) et j’aime contrôler tous les paramètres. Ça n’a donc pas été facile mais heureusement, j’étais bien entouré particulièrement par deux personnes qui étaient déjà présentes sur mon film précédent et qui sont de vrais collaborateurs de mon univers visuel, la chef décoratrice, Jennifer Chabaudie et le chef-opérateur, Pierre-Hubert Martin.

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Ensuite, nous avons eu quelques petits défis comme par exemple le time-lapse avec le renard qui est un plan très court et que nous avons tourné à part avec une caméra GoPro. Quant à la partie purement fantastique, il a été question de travailler sur cette forme que voit partout la fillette, la figure, et sur la manière de la recréer à différents moments. La difficulté résidait surtout dans la préparation des correspondances géométriques entre les différentes formes d’un plan à l’autre et d’une séquence à l’autre.

Il faut bien comprendre que le genre en soi est un outil pour moi. Je ne suis pas un geek de films fantastiques. Il y a juste des films qui m’ont toujours intéressé et qui mélangent des genres comme « Rosemary Baby » ou « Répulsion » où ce sont les univers intérieurs des personnages qui sont réellement importants plus que la notion de fantastique.

C’est la deuxième fois que tu en compétition au Festival Européen du Film Court de Brest. Quel sentiment cela représente pour toi ?

M.K. : Je suis très heureux que mon film soit en sélection ici car j’aime beaucoup les festivals qui programment des films aux genres très différents où l’on découvre des univers très variés.

Propos recueillis par Camille Monin

Consulter la fiche technique du film

One thought on “Miklos Keleti/Alain Berliner. Le drame, le fantastique, le point de vue d’une enfant”

  1. Cher Niklos,
    Je me présente. Je suis la maman de Luana De Vuyst qui a joué dans ton court métrage DOS AU MUR. J’ai un très bon ami qui a ouvert une école de cinéma à Montpellier parrainé par Pierre Richard. Il a vu l’introduction de DOS AU MUR et est très intéressé de le mettre sur la plate form pour le festival de Sète. Si tu es intéressé en retour, je te donne ces coordonnées. Laurent Mesguish de l’Ecole Travelling. Il aime beaucoup les courts métrages belges. Son message qui vient de m’envoyer est le suivant :
    Coucou Chris, l’introduction de « Dos au mur » me plaît énormément. Je veux voir la suite ! Je t’invite à dire aux ayants droits d’inscrire « Dos au mur » sur Film Fest Platform au festival : SunSète Festival. Bisous !! Ci joint le lien : http://www.filmfestplatform.com/#/home
    Je vais aussi t’envoyer une demande d’amis en son nom sur FB si j’y arrive ;-).
    Voilà, ça me ferait plaisir que tu donnes suite de manière positive ou autre et si tu le souhaites aussi, tu peux me contacter au 0468389322. FB: chrisdelingdeling. Merci, bien à toi,Christine

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