Nicolas Gilson: “Je trouve assez triste de voir qu’un film gay attire seulement un public gay »

Programmateur et attaché au point presse du Festival Pink Screens, festival bruxellois des genres et des sexualités différents, Nicolas Gilson était présent au Festival International des écoles de cinéma (Fidec) à l’occasion des cartes roses consacrées au Pink Screens et du premier Prix Queer remis à Huy.

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Peux-tu expliquer brièvement la naissance et l’évolution du festival Pink Screens ?

C’est l’association « Genres d’à côté », créée il y a une dizaine d’années environ, qui a d’abord mis en place un ciné-club. Au début, le festival durait 2 ou 3 jours et se déroulait, déjà à l’époque, au cinéma Nova (Bruxelles). Petit à petit, il s’est agrandi et est passé à 4-5 jours puis à 10 jours. On a aussi déplacé les dates du festival du mois de mai à celui de novembre.

Comment fonctionne le festival et la sélection des films ?

Il fonctionne entièrement sur du bénévolat. Pour trouver des films, nous nous rendons dans d’autres festivals, comme Rotterdam, Berlin, et Cannes. Nous en cherchons aussi dans les programmes du réseau de festivals Queer. Par ailleurs, on nous soumet des films, comme par exemple « Atomes » qui était au FIDEC cette année et qui a déjà un joli parcours pour un film d’école. Ceux qui connaissent le festival Pink Screens savent que celui-ci peut être assez large dans la programmation . Dès qu’un sujet touche les questions de genre, cela nous intéresse. Maintenant, d’année en année, on a de plus en plus de films soumis.

On a l’impression que le Festival Pink Screens touche essentiellement la communauté gay et lesbienne. N’y aurait-il pas un paradoxe quand on sait que l’une de vos intentions est de sensibiliser un large public à la question des genres ?

C’est un débat interne constant. Dans la mesure où le festival ne se limite pas aux thématiques gay et lesbienne mais désire parler de transsexualité, d’identité à travers la sexualité, d’identité de genre et donc aussi du féminisme, des droits de la femme et des minorités en général, on a une volonté de toucher un public très large. En même temps on sait très bien que la base de notre public est en grande partie gay et lesbien mais le public du Nova représente aussi un énorme réseau. On sait aussi que les thématiques des films vont amener un public complètement différent. Personnellement, je trouve assez triste de voir qu’un film gay attire seulement un public gay. C’est dommage mais le « gay moyen » ne va pas forcément s’intéresser à un film lesbien ou à un film qui parle de transidentité ou transsexualité.

En même temps, cette année, on a fait le pari de montrer le documentaire « (A)sexual » d’Angela Tucker. On l’a placé en pleine soirée, à heure de grande audience alors qu’on aurait très bien pu le placer le week-end, en début d’après-midi… et on a fait salle comble, on a dû refuser des gens. Le public a été très varié. Cela prouve bien que des thématiques plus borderline attirent du monde aussi.

Par rapport au choix des films, comment se passe la sélection ?

On essaye d’avoir un équilibre avec des films porteurs et des films narratifs dont l’esthétique ou le contenu sont intéressants. Si on a les deux c’est mieux. Toutefois, il nous est déjà arrivé de passer un film avec une forme un peu bancale mais qui abordait une thématique qui nous plaisait. On essaye aussi d’avoir un équilibre entre les films de fiction, les documentaires et les films expérimentaux.

Quelle place tient le court métrage dans le festival ?

Les séances de courts plaisent au public et je pense que le court permet d’aborder plus de thématiques. Cette année, il y avait plus de courts qu’avant. On avait plutôt des films à tendance « garçons », beaucoup de courts métrage qui abordent la thématique gay de manière variée, souvent très drôle.

Pour la première fois, vous avez collaboré avec le FIDEC en y remettant un Prix Queer et en y présentant deux cartes roses. Pourquoi avoir choisi le festival de films d’écoles de Huy pour remettre un tel prix ?

Le partenariat avec le FIDEC a pu être mis en place grâce à un concours de circonstances. J’ai rencontré l’une des organisatrices par l’intermédiaire du FIFF [Festival international du film francophone de Namur] et j’ai découvert le festival de l’intérieur en intégrant le jury du Fidec l’année dernière. J’y ai vu une dynamique très intéressante et surtout une qualité de programmation. Collaborer avec le FIDEC était donc un moyen de lier les deux festivals mais aussi de pouvoir toucher leur public, plus scolaire. Ce qui était intéressant pour nous, c’était de pouvoir créer une collaboration où l’on pouvait remettre un prix, ce qui nous permettait de faire voyager le film pour faire sa promotion auprès d’autres festivals à la thématique Queer.

Comment s’est déroulée la collaboration entre les deux festivals ?

Je trouve que les organisatrices ont fait preuve d’une belle ouverture d’esprit. Elles ont accepté de parler de la thématique Queer, ce qui ne se fait pas forcément dans les festivals non spécialisés. Chaque année, le FIDEC offre deux cartes blanches à une école de cinéma. Cette année, on a retenu eu l’idée des deux cartes roses pour contextualiser le Prix Queer. A la fin des séances, plusieurs personnes sont venues nous poser des questions. Il y a eu des échanges autour des films et des thématiques qu’ils abordaient.

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Vous avez remis le Prix Queer à « Si j’étais un homme » de Margot Reumont, peux-tu revenir sur les raisons de ce choix ?

Le film de Margot a une esthétique intéressante car elle mêle documentaire et animation. Elle part à la rencontre de quelques filles à qui elle pose la question « comment tu vivrais, qu’est-ce que tu ferais, qu’est-ce que tu serais si tu étais un homme ? » Quelque chose de très naturel transparaît en même temps qu’une forme de timidité qui petit à petit disparaît. Margot fantasme les images par-dessus les témoignages auxquels elle associe un dessin. Puis, du dessin, elle amène une subjectivité où elle projette ce qu’on lui dit. Souvent elle interprète le discours donc il y a déjà un dialogue qui se crée entre le film et son propos. Elle questionne la norme imposée par la société et elle termine très bien en évoquant la manière dont la société enferme la femme et l’homme dans une image clichée d’eux-mêmes. Le film est un vrai bijou.

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Vous avez également remis une mention à « Wer ich glücklich bin » de Maria Pavlidou. Pourquoi ?

On a remis une mention à Maria Pavlidou qui est toujours étudiante (c’est son deuxième film d’école) parce qu’on trouvait intéressant de voir l’évolution de son travail et de constater qu’elle continuait à aborder les thématiques de genre. Son précédent film « Mann mit bart » était dans notre carte rose présentée au FIDEC. Ce qui est certain c’est que l’Allemagne est en avance sur la question des genres. Il y règne une très grande ouverture d’esprit qu’on ne trouve pas ailleurs. Il y a là-bas un vrai mouvement culturel qui est intéressant. Les pays scandinaves aussi abordent des thématiques sous-jacentes que nous aimons défendre au sein du Festival Pink Screens.

Propos recueillis par Marie Bergeret et retranscrits par Kiki B.

Article associé : le reportage « FIDEC : carte rose au Pink Screens Festival »

Le site du Festival Pink Screens : www.pinkscreens.org

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