Rêves et désillusions européennes

Au moment où se déroule ailleurs les Rencontres Henri Langlois spécialisées dans les films d’étudiants, notre dernier sujet sur Brest sort avec un petit retard et une nette priorité pour les premières et secondes oeuvres. En lien avec les écoles de cinéma, les programmations d’autres festivals et les auteurs déjà repérés précédemment, le festival a eu la qualité de nous dérouter par le passé avec des films tels que “Hostmannen” et « Moja biedna glowa » (Ma pauvre tête). Cette année, il n’y avait guère que “J’aurais voulu être un pute” (moyen), “Vahetus” (passable), “Le Vivier” (intriguant), “Suiker” (drôle) et « Casus Belli » (magistral) qui nous apparaissaient comme familiers et non inédits parmi les 41 films en compétition européenne. Pour clore ce dossier spécial sur Brest, quelques films de qualité manquaient à l’appel. Les voici, tous sous l’emprise du rêve et de la désillusion.

Apele Tac (La rivière silencieuse) d’Anca Miruna Lazarescu (Roumanie, Allemagne)

Ce film réalisé en Allemagne par une jeune femme d’origine roumaine glane pas mal de sélections et de prix depuis sa sortie d’école. Grand Prix à Brest, il suit le destin de Gregor et Vali marqués par l’envie de quitter leur Roumanie dure, vide et sans espoir, un certain jour de 1986. Ce désir d’immigrer n’est pas si simple : les contrôles sont réguliers et les sanctions sont lourdes (franchir illégalement la frontière équivaut à 3 ans d’emprisonnement, être pris dans le Danube en vaut 10). Les deux hommes ont besoin l’un de l’autre pour passer de l’autre coté de la frontière et laisser l’enfer derrière eux malgré les risques encourus. Sauf que le jour où ils prennent la route, les choses se passent bien différemment que ce qu’ils auraient pu imaginer.

“Je t’aide et tu m’aides. Après, c’est chacun pour soi”. Film sur la confrontation, l’espoir et la solidarité, “Apele Tac” est bel et bien un nouveau film déroutant venant s’ajouter à notre liste précitée. Totalement maîtrisé, il filme de nuit comme de jour, sur la route comme dans l’eau, une situation absolument prenante et une réalité totalement angoissante. Face à une cicatrice mal fermée, à une faute de frappe sur un permis de travail, à un passager clandestin, à un mauvais filet de pêche et aux dernières minutes, la tension provoquée par le film est permanente et grandissante. « Apele Tac » nous rend muets, démunis, désemparés. Il va de soi qu’on s’en souviendra et qu’on le défendra.

Lel Chamel (Vers le nord) de Youssef Chebbi (Tunisie, France)

Proche thématiquement d’”Apele Tac”, “Lel Chamel” est un premier film portant sur la traversée de passagers clandestins entre la Tunisie et l’Europe. Loin de se passer dans les années 80, il relate une histoire contemporaine et clandestine tournant mal, filmée elle aussi dans l’obscurité et l’isolement naturel.

Mehdi, le personnage principal, gagne sa vie en faisant passer clandestinement des groupes de pesonnes en mal d’ailleurs et de vie meilleure vers une Europe belle et différente. Ces temps-ci, il travaille avec la mafia albanaise et les cargaisons humaines dont il s’occupe n’arrivent pas à destination, terminant leur périple chez des traficants d’organes. Aujourd’hui, est un jour particulier : Mehdi découvre que son petit frère Mouja a embarqué pour un voyage sans retour. Chacun voit les choses différemment : pour Mouja, la mort, c’est rester. Pour Medhi, la mort, c’est partir.

“T’es amoureux de la misère ou quoi ?”. “Lel Chamel” est un film sur les idéaux déchus, la divergence d’esprit et la peur qui mérite réellement ses deux mentions spéciales (révélation et photo) obtenues à Brest. Forcément, au vu de son synopsis, ce premier court métrage professionnel n’est pas une histoire légère, simple et anecdotique. Le film met mal à l’aise, retient l’attention, fait basculer son titre vers les bons films de l’année, notamment pour son image (signée Amine Messadi) : le film s’ouvre sur des photographies, et vers la fin, lorsque le piège mortel est dévoilé, un nouveau découpage accompagne la fuite des personnages dans la nuit obscure. Une course saccadée, traversée par les ombres, les taches humaines et les coups de revolver offre une palette tout en contrastes à ce film sur l’aveuglement humain.

Salvatore de Fabrizio et Bruno Urso (Italie)

“Salvatore”, c’est le titre du deuxième film des frères Urso. C’est aussi le prénom que Alfio et Maria, les personnages de leur histoire souhaitent donner à leur enfant à venir. Seulement, en Sicile où ils vivent et survivent, les douceurs et les rêves ne sont pas nombreux tant la précarité et le chômage sont omniprésents. Le jour où Maria confie à une collègue de l’usine où elle travaille qu’elle attend un enfant, l’angoisse liée à son avenir professionnel se met à poindre. Alfio décide alors de prendre les choses en main et de s’en sortir pour trois en vendant du poisson en ville.

“Mais pourquoi tu lui as dit que tu étais enceinte ?”. Lauréat lui aussi d’une mention spéciale (il y en a beaucoup à Brest), “Salavatore” parle d’idéaux, d’altérité hypothétique, de faiblesse, de quête du salut et de petits arrangements avec le quotidien. Aucun film de la sélection ne fonctionne aussi bien que celui-ci dans l’interprétation de ses comédiens : Adele Tirante et Ture Magro sont pour le moins bluffants en Alfio et Maria, deux Siciliens désabusés mais amoureux, qui se raccrochent l’un à l’autre pour éviter de sombrer. Leurs silences, leurs regards, leurs cheveux épars, leur fragilité aussi apportent beaucoup à « Salvatore ».

El pibe de oro d’Aymeric Messari (France)

“Le gamin en or”, le surnom donné à Diego Maradona, est lié à ce film, imparfait mais interpellant dans son ton et son message qui relate le retour d’un ex-enfant prodige de la balle dans sa ville natale. Si Wahid a un jour réussi, aujourd’hui, il n’a plus rien, raison pour laquelle il revient parmi les siens. Seulement, son départ a eu lieu il y a longtemps et son retour réveille de vieilles rancoeurs mal éteintes chez sa mère et ses anciens amis du foot, Jeg en particulier. Remballé de tous, Wahid ne fait pas grand chose pour retisser les liens avec ses proches, en choisissant de leur asséner des vérités qu’ils ne veulent pas entendre.

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Malgré certains manques de clarté et quelques redondances dans son scénario, ce film fait partie des titres intéressants vus au festival de Brest. Il ne joue pas la carte d’un émotionnel charmant mais peut-être un peu facile, comme “Einstein était un réfugié” ou d’une vision d’horreur complètement stressante, comme “3 hours”. Il traite d’un sujet simple pour le moins original en parlant d’exclusion, de rêves trop grands, de frustrations, de cécité face au réel, de pelouses foulées et de réussite refoulée. La banlieue, les désirs de gamins, les jours de matches, la mise sauvée pour un Coca, le-Dieu-le-Foot, la retenue de jeu de Jérémie Bénoliel (Jeg), toutes ces choses sont captées de façon précieuse par Aymeric Messari dont « El Pibe de oro » est le tout premier film.

Katia Bayer

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