Brest – Sangria, tortilla mais surtout cinéma !

Pour sa 26e édition, le Festival européen du film court de Brest s’est mis au rythme de l’Espagne et l’ambiance n’en pouvait être que caliente. Il est vrai que depuis maintenant à peu près deux-trois ans, les films hispaniques se sont invités en masse dans plusieurs festivals français et ont été à chaque fois plus visibles sur nos toiles hexagonales.

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Il était donc d’actualité de mettre l’Espagne à l’honneur à Brest cette année et ceci pour notre plus grand plaisir. À l’heure où le pays vit les résultats de ses élections législatives dont les candidats ont joué la carte du nationalisme, nos voisins ont pourtant encore du mal à apprécier leur propre cinéma. Qu’ils se rassurent sur sa qualité ou bien qu’ils continuent à l’exporter alors ! C’est en tout cas ce que nous pouvons affirmer suite à cette nouvelle édition du festival de Brest. Résultat : pas moins de seize courts métrages au programme dont quatre en compétition et le groupe Bikini Machine qui a ouvert les représailles du festival avec un ciné-concert sur le film Desperado ont témoigné de l’énergie et de l’hétéroclisme de la péninsule ibérique.

Dur, dur de mettre dans le même panier les quatre films espagnols en compétition tant ils sont différents, aussi bien sur le fond que sur la forme, mais ils prouvent que la production espagnole est des plus variées, loin des clichés coincés entre la patte kitch et colorée d’Almodovar et des nombreux films d’horreur qui nous arrivent dernièrement. Seul point commun entre tous, et pas des moindres, les Espagnols ont des choses à dire, voire plus, des choses à dénoncer. Le message est clair et universel. Petit tour d’horizon de quatre courts métrages à voir d’urgence.

Hidden Soldier d’Alejandro Suárez Lozano – 11’28’’

Lorsqu’on lit le pitch de « Hidden Soldier »– « Pourchassé et sans munition, le soldat Wilson est soumis à d’étranges phénomènes » – on s’attend presqu’à voir un long-métrage tant ces thèmes de guerre et de phénomènes surnaturels sont rarement abordés en court métrage.

En effet, on a plus souvent l’habitude d’assister à des remises en questions psychologiques ou à des comédies à chute, mais certainement pas des films de guerre qui auraient la réputation d’être trop onéreux à la fabrication. Pourtant, Estirpe Producción aux côtés d’Alejandro Suárez Lozano n’a pas eu froid aux yeux et a mis les moyens. Résultat : un court-métrage entre guerre, action et science-fiction qui fait penser esthétiquement au film «Il faut sauver le soldat Ryan » et au film  «Les autres » quant aux phénomènes surnaturels et au suspense. L’image saturée (des blancs aveuglants et un kaki terriblement militaire) nous plonge dans l’univers froid des tranchées et la musique qui ne cesse jamais, nous entraîne dans un film d’angoisse. Pas de dialogues mais un travail sur le son à tout casser qui nous emporte et nous force à suivre le héros du film, ce soldat caché pour éviter de se faire tuer par les Nazis. On a peur pour lui même si on se demande quelles sont ces visions qui le traverse et qui lui donne mal à la tête : des flash-back ? Des effets surnaturels ? Des cauchemars ?

Après dix minutes d’action et de tension, on découvre qui est réellement ce soldat caché et on a presque honte de s’être attaché à lui, combattant à ses côtés pour assassiner les Nazis. Celui qu’on a suivi tout le film durant n’est autre qu’un adolescent qui a confondu le monde virtuel des jeux vidéos et le monde réel : la violence du jeu s’est répercutée sur lui et le soldat qui sommeillait dans le corps de ce môme l’a poussé à prendre une arme afin de tuer toute sa famille.

Alors, même si le cut qui clôt le film est certainement trop rapide et brutal, on demeure choqué et on ne pourra se sortir de la tête une question : du monde virtuel ou du monde réel, lequel est le plus violent ? Bravo, Monsieur Suárez Lozano, vous faites d’un film de mecs, un film de réflexion. À quand le long dans la même lignée que des «American History X » ou des «Fight Club » ?

Maquillaje d’Alex Montoya – 10’30’’

Avec cette leçon de beauté donnée par Alex Montoya, on tombe dans un registre beaucoup plus intime et psychologique que le film précédent : faut-il avoir honte d’être faible, même devant les gens qu’on aime ? Doit-on par conséquent toujours jouer avec les apparences pour donner la face ? C’est le cas de Marisa, femme d’environ cinquante ans, mourante dans sa chambre d’hôpital. Évidemment, la maladie n’a rien de « glamour » et le physique en paie les conséquences, si bien que Marisa est plutôt pâlotte et pas très belle à voir. Alors pour recevoir la visite quotidienne de son mari, elle préfère faire appel aux services de Concha, infirmière esthéticienne, plutôt que de se montrer tel quel à l’homme qu’elle aime. Pour autant, n’est-ce pas le but du maquillage ? Améliorer le vrai, cacher le naturel.

Comme le montre le film et comme le prouve souvent notre société, nous choisissons de nous voiler la face plutôt que de nous affronter les uns les autres. Parce que le mari de Marisa n’est pas dupe, malgré ce qu’en pensent les infirmières : il sait pertinemment que sa femme n’en a plus pour longtemps et c’est cette courte séquence chez lui, où il s’enferme dans sa chambre en pleurant qu’on s’aperçoit que celui qu’on présente comme un monstre, est finalement excessivement peiné.

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Si on décide d’aborder le but du maquillage d’un autre point de vue, il est vrai qu’on peut aussi admirer cette femme qui, malgré la maladie, tient à se faire belle pour son époux. Et lui, en réponse à cet effort, joue le jeu et lui parle même de voyage à sa sortie de l’hôpital.

Alex Montoya ne prend certes pas trop de risques avec une réalisation plutôt classique et un toussotement de Marisa qui se veut parfois surjoué, mais au final, on ressort de ce film avec la boule dans le ventre, se disant que ces deux-la sont trop bêtes, qu’ils n’ont pas été capables de se dire une dernière fois qu’ils s’aimaient et qu’ils ont justement préféré maquiller la réalité. Par ailleurs, on ne s’empêchera pas de penser que les salons de beauté (que ce soit en ville ou à l’hôpital) sont les lieux où de manière contradictoire, on laisse tomber les masques, comme dans « Caramel » de Nadine Labaki ou « Vénus Beauté Institut » de Tonie Marshall.

La huida de Victor Carrey – 11’

Cette fuite que nous offre Victor Carrey est assez géniale. D’ailleurs, elle aurait pu également s’intituler « Le bien triste destin d’un braqueur » ou bien « Kill unknown thief » tant on est entre un conte à la Jeunet avec une multitude de personnages secondaires et de petites histoires lambdas mais qui ont leur coïncidence, et un esthétisme à la Tarrantino qui mêle des gueules bien particulières et des mouvements au ralenti, toujours entre film noir et humour kitch des années 70.

Avec ce court métrage, le catalan Victor Carrey décide de bousculer les règles scénaristiques en proposant une scène d’exposition qui dure presque la moitié du film. Et cette exposition a une double utilité : présenter au spectateur les personnages et éléments de l’intrigue, au même titre que brouiller complètement les pistes en mettant en scène tellement de détails qu’on se demande comment Victor va s’en sortir pour tout mettre en relation. C’est d’ailleurs la question de départ prononcée par le narrateur avec sa voix de vieil inspecteur de police : « Les questions simples demandent parfois une réponse complexe ».

Pourtant, il y arrive superbement et on se laisse entraîner par la musique de la deuxième partie pour comprendre le pourquoi du comment de cette fameuse fuite loupée ou plutôt, de résoudre la raison pour laquelle un billet de 50€ vole sur le bitume. Certes, cette histoire est un peu tirée par les cheveux. Oui, c’est du déjà vu, surtout en court métrage, ce procédé de décortiquer par tous les moyens une intrigue afin de perdre le spectateur puis de la reconstruire avec un rapport logique entre les éléments présentés. On citera à ce propos des films comme « Surprise ! » de Fabrice Maruca sous forme de comédie ou encore le génialissime et controversé « Ilha das flores » du brésilien Jorge Furtado sous forme de documentaire, qui pareillement, créent comme un retour en arrière pour expliquer comment nous en sommes arrivés à telle ou telle situation.

Victor Carrey n’est donc pas le plus original et pourtant, ce qu’il nous propose fonctionne d’autant plus que le thème de ce court métrage est de résoudre une enquête policière, par conséquent de retracer le chemin du braqueur et telle est la forme du film. En tant que spectateur, on se laisse porter et au vu de la quantité de sélections du film en festivals, on imagine que les programmateurs et jury sont, eux aussi, transportés. Qui plus est, cela prouve une fois encore que la collaboration ESCAC, une des plus grandes écoles de cinéma d’Espagne et Escándalo Films, société de production très active en Catalogne, est gage de succès.

Artalde d’Asier Altuna – 8’06’’

Qui a dit que le cinéma expérimental n’était pas accessible, voire complètement hermétique ? Voyez « Artalde » et vous changerez d’avis, car il est difficile de qualifier ce film autrement qu’en le rangeant dans la case des OVNI du cinéma et ceci pour notre plus grand plaisir même si on n’a pas tout lu sur l’art contemporain.

Le film joue avec les mélanges : noir et blanc et couleur, sons urbain et bruits de la nature, drame et comédie, sérieux et ridicule, plans séquence et plans sur-découpés. Il ne contient pas de dialogues mais un ululement étrange rythme le film. Oui, nous sommes bien dans de l’expérimental, mais le message est bel et bien clair. Peut-être parce que le réalisateur est basque et que la réputation veut que les habitants de cette province-là aient toujours quelque chose à revendiquer.

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En tout cas, le mot de la fin n’est pas forcément le plus drôle pour nous, petits citadins que nous sommes, puisqu’on nous compare à des moutons. Et celui qui, au départ du film, apparait comme un fou, est finalement le plus censé d’entre nous parce qu’il a justement compris que le bonheur était d’être unique et de ne pas suivre les règles qu’on nous impose en ville. En deux mots, Asier Altuna réussit à travers cette caricature, à pointer du doigt une réalité qui fait parfois mal, celle de nous rappeler que notre « métro – boulot – dodo » nous fait oublier qui nous sommes individuellement.

Camille Monin

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