Vincent doit mourir de Stephan Castang

Un jour qu’il se rend au travail, Vincent, graphiste sans histoires, est violemment agressé par un stagiaire. S’ensuit le début d’un quotidien infernal, où de plus en plus de gens vont tenter de le tuer. Entre fuite et affrontement, Vincent doit survivre… mais à quel prix ? A l’occasion d’un jeu concours, Format Court et Capricci vous font gagner 3 exemplaires DVD du film Vincent doit mourir, réalisé en 2023 par Stéphan Castang, contenant les bonus exclusifs du court-métrage Finale du réalisateur, des entretiens avec Vimala Pons, Karim Leklou et Stephan Castang, des extraits du storyboard de Giuseppe Liotti et l’analyse de la musique du film par son compositeur John Kaced.

L’histoire de Vincent, interprété par Karim Leklou qu’on a récemment vu dans Le Monde est à toi ou La Troisième guerre, est celle de beaucoup de personnes, d’une banalité surprenante. La quarantaine entamée, célibataire sans enfants, il travaille dans une boîte de graphistes, jusqu’au jour où après une blague ratée faite au nouveau stagiaire, ce dernier prend son ordinateur et frappe violemment Vincent avec. Au fur et à mesure, les personnes qu’il regarde dans les yeux vont essayer de le tuer à tout prix. Ces explosions de violence sont incompréhensibles, mises en scène dans des moments de grande tension aux cascades et aux effusions de sang impressionnantes. Agressé chez lui, toutes les interactions de Vincent lui deviennent dangereuses. Pire encore, de victime, il n’est cru de personne dans son entourage, qui font de lui un bouc-émissaire, tenu pour seul responsable de la violence physique des agressions, et la violence sociale de l’exclusion, qu’il subit. Forcé de vivre dans la marginalité et l’exclusion, chassé de chez son père, il fuit son quotidien et fera des rencontres décisives.

Le réalisateur Stéphan Castang, ainsi que Mathieu Naert et Dominique Baumard qui ont adapté le scénario, excellent dans l’art des dialogues, comiques par leur prolifération dans des moments absurdes (comme lors de la scène du commissariat), d’une rare finesse lors des moments d’émotion.

Vincent doit mourir aurait pu être un film dont le concept tiendrait en un seul court-métrage. Au contraire, Stéphan Castang développe avec intelligence une profonde réflexion sur la société et la condition humaine, à travers le destin mouvementé de Vincent. C’est d’abord un film sur le pouvoir des images, qui l’accompagnent dans sa quête de sens autant qu’elles le font sombrer dans sa détresse. Sur Internet, Vincent cherche ce qui cause ce phénomène, entre vidéos de possession et virus qui se propageraient au sein de la population. L’espace numérique devient ce trou de lapin dans lequel Vincent tombe en y trouvant du réconfort, bien que les sous-entendus et argumentaires des sphères complotistes ne sont jamais loin.

Puis, dans la seconde moitié du film, la narration prend le tournant inattendu d’une romance intense avec une serveuse Margaux (Vimala Pons), dont la fraîcheur et la spontanéité complètent la brutalité silencieuse de Vincent. L’acharnement contre Vincent est d’autant plus cruel qu’il n’a pas d’explication, lui qui se retrouve confronté à une tragédie contradictoire et existentielle : devant tuer pour ne pas mourir, il doit vivre dans une société qui lui est devenue activement hostile. Dans des scènes de violence dignes des films de zombies, la musique électronique, grave et minimale qui s’intensifie et le travail sur les sons et les bruitages (notamment avec les grognements du chien dès que Vincent est en danger) font revêtir au film une couche anxiogène, loin du burlesque du début. Seul contre tous, Vincent essaie de garder sa raison. Mais comment faire quand le monde veut notre peau ? Stéphan Castang, dans sa réalisation, développe un propos subtil sur le rapport aux autres et à la violence. Quand l’effondrement d’un homme devient celui d’une société toute entière, à partir de quel seuil la violence devient-elle intolérable ?

Ces thématiques sont également abordées dans son court-métrage de 26 minutes réalisé en 2019, Finale, visionnable dans la version DVD du film. Dans la présentation du film, Stéphan Castang dit vouloir parler des “vieux”, qu’il veut montrer en situation de résistance, et ne veut pas, par son choix des mots, les mettre à distance. Lors de la finale de la coupe du monde 2018, François (François Chattot) et Chantal (Chantal Jablon) vivent une histoire d’amour. Mais alors que la France s’apprête à battre la Croatie, dans un montage parallèle, Chantal apprend que son mari Jean-Pierre à l’Ehpad, est sur le point de mourir, et François (interprétant aussi le père de Vincent dans le long-métrage) se fait mettre dehors par sa fille et son beau-fils après qu’il ait été attrapé avec de la drogue. Pour égayer les derniers instants de son mari mourant, Chantal invite leurs amis dans sa chambre et ils fument de l’herbe ensemble. Après quoi, le directeur de l’Ehpad (jouant le policier dans Vincent doit mourir) lui demandera avec une violente condescendance : “Vous savez ce que ça coûte à la société ?”. Avec des acteurs touchants et explosifs, le réalisateur met en scène des vieux, qui ne sont pas transgressifs parce qu’ils couchent et se droguent, mais justement parce qu’ils “n’ont plus l’âge” de faire ça. Tendresse et cruauté sont révélées dans le traitement social de ces corps tachetés, et considérés comme jetables et inutiles par la société. Par les fragments d’une vie fanés dans des photographies, les vieux, comme Vincent, sont seuls et incompris.

Vincent doit mourir prolonge la vision fine de son réalisateur, et fait penser à un Rhinocéros moderne, pièce dans laquelle Eugène Ionesco met en scène la transformation extraordinaire d’individus normaux en animaux. De monstre, le rhinocéros devient banal, sauf pour ceux qui décident de résister. Quand toute la société sombre dans la violence, Vincent et Margaux deviennent l’allégorie de cette résistance, puis de cette libération, incarnant la célèbre phrase écrite par Ionesco : “La vie est une lutte, c’est lâche de ne pas combattre”.

Mona Affholder

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