Chronique d’une liaison passagère de Emmanuel Mouret

Chronique d’une liaison passagère, ou comment frôler l’amour sans jamais le déclarer ? Voici la dernière comédie romantique d’Emmanuel Mouret, qui réunit une femme indépendante et un homme marié dans une relation pas comme les autres. Le film est maintenant disponible en DVD, dans une édition contenant également le court-métrage Un zombie dans mon lit (2019) ainsi que la conversation Filmer la parole avec Emmanuel Mouret et Laurent Desmet, directeur de la photographie, animée par Philippe Rouyer.

La liaison commence au début du mois de mars, et comme toute affaire extra-conjugale, se veut discrète et sans complications. Surprise : tout se passe comme prévu. Charlotte ne veut pas que Simon quitte sa femme pour lui. Et quand Simon, à plusieurs reprises, laisse sentir qu’il trouve ça bizarre, que tout aille aussi bien, et quand le doute s’installe chez le spectateur – tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Dans le rôle de Charlotte, Sandrine Kiberlain est exubérante. Elle rayonne, ne parle que peu de ses enfants ou de son ex-mari : elle parle de désir, et de ce qu’elle veut vraiment. « Du sexe et pas d’histoires ». Elle est presque la caricature de la femme libérée, comparant l’épilation à une dégénérescence de l’humanité. Ce côté décomplexé apporte énormément de richesse au film et est complété par un regard cru sur les relations entre hommes et femmes, elle déclarera d’ailleurs à son partenaire : « tu me désires par le seul fait que je ne t’appartiens pas ».

De l’autre côté, Vincent Macaigne, nommé au César du meilleur acteur pour le film, joue à la perfection le rôle d’un petit homme désarçonné. Simon parle de ses enfants en employant le terme de banalités, il en a honte et il a honte d’avoir honte. On comprend rapidement que c’est un homme lâche qui ne veut pas décevoir sa femme, mais surtout qui n’a pas confiance en lui et se prend pour un personnage romantique ne connaissant que l’abandon. Le duo se complète parfaitement, avec l’audace et le corps libéré de l’une et la fragilité et la pudeur mesquine de l’autre.

Simon est content du détachement de Charlotte, mais il en est aussi gêné, ému qu’elle ne s’attache pas, ému qu’elle couche avec un gars comme lui. Les deux ont l’air indifférents, puis se lancent des phrases que se diraient de « vrais amoureux » ou s’échangent des bêtises. Le génie du dialogue du film relève du contraste entre deux personnalités très différentes qui finissent par se compléter. Les conversations, aux effets de retour de balles de ping pong, trahissent la complicité et l’amitié profonde des deux protagonistes, pourtant censés n’être dans une relation qui n’impliquerait que du sexe.

Le dialogue vif est au centre de l’œuvre d’Emmanuel Mouret, c’est d’ailleurs ce que le réalisateur explique dans l’entretien Filmer la parole, mené avec Laurent Desmet, directeur de la photographie et Philippe Rouyer, qu’on peut trouver dans le coffret DVD du film : il faut un « entrain » dans le dialogue. Dans l’écriture des scénarios, l’importance de la parole et de l’échange prime, « comme dans une pièce de théâtre » confie le réalisateur. Car la parole, c’est l’action. Les deux amis discutent alors de la réelle difficulté de filmer la parole, sans ennuyer le spectateur avec toujours les mêmes visages sur le même plan, notamment dans Chronique d’une liaison passagère avec très peu de protagonistes.

Il faut dire que c’est réussi, car on ne s’ennuie pas : au détour d’un musée, dans un parc, au badminton, le cheminement de ce « faux couple » se développe dans une grande simplicité. Le film montre à quel point les définitions des relations et des sentiments sont difficiles, et que les nommer l’est encore davantage, sans rentrer dans un scénario ultra dramatique. En fait, le film s’éloigne de tous les codes d’un film sur la liaison : pas de drame aux allures un peu niaises, juste du rire et beaucoup de légèreté. L’insouciance traitée dans Chronique d’une liaison passagère se retrouve très clairement dans le court Un zombie dans mon lit (2019), où une jeune femme rencontre un mort vivant putride lors de son jogging et décide de l’inviter chez elle, ne remarquant apparemment pas son visage tombant en lambeaux et ses grognements animaux. Surprise qu’un homme l’écoute, elle parle, va chercher des coupes et du champagne… en échappant au zombie qui n’arrive pas à la suivre. Encore une fois, il n’y a rien à dire sur le jeu – Frédérique Bel incarne superbement cette femme candide – et le comique de la situation est traité à merveille.

L’absurdité du court s’oppose au sentiment de réalité du long : dans Chronique d’une liaison passagère, tout n’est pas parfait, ou plutôt, tout ne se passe pas comme prévu. On assiste simplement à une relation qui se passe bien et aux surprises qu’elle rencontre dans la vie. Lorsque plus tard, le duo décide d’explorer l’idée du plan à trois, on le suit sans hésiter. Se retrouvant à trois, et passant devant Le Sommeil de Courbet au Petit Palais, ils nous incitent à penser que peut-être le réalisateur nous fait un clin d’œil sur ce que nous réserve la suite de l’histoire.

Chronique d’une liaison passagère est un film qui fait du bien pour son authenticité. La Javanaise de Juliette Gréco nous berce tout au long du film, « Nous nous aimions le temps d’une chanson » le résumant parfaitement : un peu de douceur, une mélodie jamais entêtante, et beaucoup de plaisir !

Amel Argoud

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