Tout le monde aime Jeanne de Céline Devaux

C’est un film réconfortant. La première affirmation à propos du long-métrage de Céline Devaux, Tout le monde aime Jeanne, peut sembler surprenante si l’on jette un coup d’œil aux mots-clés du film : “deuil”, “dépression”, “suicide”, “faillite”. Pourtant, Tout le monde aime Jeanne est bel et bien réconfortant. Il réchauffe le cœur au soleil de Lisbonne, il nous amuse aussi ! D’un rire clair et sincère qui surprend ; il nous fait croire à l’amour, répare nos blessures, nous rassure sur nos faiblesses. Et depuis aujourd’hui, il est disponible en DVD, édité par Diaphana ! Nous vous en offrons d’ailleurs 3 exemplaires.

Le film qui avait été repéré à la Semaine de la Critique 2022 a fait une belle carrière en salles et attend maintenant d’être vu (ou revu !) dans les salons des cinéphiles français. En têtes d’affiche, Blanche Gardin et Laurent Lafitte se partagent la vedette.

Tout le monde aime Jeanne, sauf Jeanne. Pourtant, elle est belle, intelligente, utile, drôle, riche, elle est sacrée la “femme de l’année” ; mais d’un retournement de situation – un plongeon pathétique – toute sa belle vie coule au fond de l’eau avec “Nausicaa”, une machine révolutionnaire censée récolter les déchets en plastique si les câbles avaient tenu. La faillite personnelle guette la femme de l’année si elle n’agit pas au plus vite. Haut les chœurs, la petite voix dans la tête de Jeanne lui ordonne de se jeter sous le bus. Sous les conseils d’une avocate aux yeux de grenouille et aux remarques sans tact, elle part à Lisbonne vendre l’appartement de sa mère décédée l’année dernière – comment direz-vous ? d’un suicide, pardi !

Si l’on se permet autant de sarcasme, c’est parce que le film n’en manque pas ; un sarcasme qui n’est pas de mauvais goût, bien au contraire. Tout le monde aime Jeanne peut se résumer dans ce bel oxymore, il est d’une douceur sarcastique. Guidé par les pensées de son personnage principal, le film ne manque pas de commentaires ironiques. Pourtant, le film ne manque pas de tendresse pour ses personnages, pour ce qu’ils vivent, pour leurs émotions que Céline Devaux explore avec beaucoup de poésie.

La réalisatrice mêle à la prise de vues réelles de nombreux et courts passages en animation. Dès le générique, on reconnaît sa technique bien à elle où la magie existe grâce à quelques feutres, de la peinture acrylique, une feuille transparente et une tablette lumineuse. Elle dessine, efface, redessine, colorie, efface encore et les objets se transforment sous nos yeux envoûtés par les couleurs et les mouvements de ses dessins. Par ce tour de passe-passe, elle nous invite dans la tête de Jeanne qui est dominée par ses angoisses, ses petits défauts, son orgueil, sa morosité et surtout, son sarcasme. Sous ce semblant d’humour, elle se cache à elle-même sa détresse. Parfois, les souvenirs l’envahissent et au fond d’une boîte bien rangée, se cache le regard de sa mère. Alors les remords surviennent et l’humour peine à garder le contrôle dans la tête de Jeanne où tout se bouscule. C’est dans ce vacarme de pensées que survient la rencontre avec Jean. Personnage atypique, anti-capitaliste, dragueur lourd et touchant, il se fera l’apôtre de la réconciliation avec sa maladie.

Jeanne a les pensées aussi noires que ses tenues de tragédienne parisienne et derrière ses grandes lunettes de soleil, se cache un regard que le déni a rendu morose. On doit à Blanche Gardin beaucoup : déjà célèbre pour son humour sans détour, la comédienne habituée des planches comme de la caméra, ajoute ici à ses boutades sur scène (qui sont d’un entrain admirable) une profondeur touchante. L’humouriste tient le rôle d’une femme essouflée, guettée par la maladie, rongée par le désespoir et l’angoisse ; pourtant, elle garde toute son énergie qu’elle puise avec force dans son humour noir. Blanche Gardin joue du tragique au burlesque, et sans sourciller ; tandis que Laurent Lafitte joue le rôle d’un homme fragile et dont l’étrangeté déplaît avant d’attendrir. Il nous prouve une fois de plus son talent à construire derrière des personnages aux ressorts comiques de la sensibilité.

“Tu n’es pas du tout décevante par rapport à ce que j’avais imaginé” balance Jean à Jeanne après l’avoir croisée par hasard à l’aéroport. On pourrait dire la même chose du film de Céline Devaux qui signe son premier long-métrage. La réalisatrice était très attendue effectivement grâce aux succès de ses courts-métrages : Le Repas dominical (2015) avait remporté un César du meilleur court-métrage d’animation et Gros Chagrin (2017) le Lion du meilleur court-métrage à Venise.

Bonheur, ses courts sont visibles dans les bonus du présent DVD. On retrouve dans Le Repas Dominical la délicieuse ironie du long-métrage. Dans ce court, c’est Vincent Macaigne qui nous raconte avec morosité un repas de famille du dimanche. Après une soirée trop arrosée, les remarques parentales grincent dans la tête du jeune homme invité chez ses parents. Les non-dits de l’éminence paternelle sur l’homosexualité de leur fils retentit dans le crâne fatiguée du pauvre garçon qui est sans cesse déstabilisé par la douceur maternelle. Vincent Macaigne chuchote et hurle comme parfois il nous semble que nos pensées doivent crier. Dans Gros Chagrin, pas de cris ni de sarcasme : Swann Arlaud raconte une rupture et toute sa douleur s’écoule de son quotidien, de son corps, de sa voix et des dessins de Céline Devaux.

On reconnaît dans le film la patte de la monteuse, Gabrielle Stemmer (la réalisatrice du court-métrage Clean With Me After Dark), et l’auteur de la bande-originale, Flavien Berger. Le film est effectivement rempli de l’humour et de la modernité de la première dans le rythme du film et de la sensibilité du deuxième dans sa musique, qu’on écoute en boucle depuis la sortie du film. Pour une expérience complète du film, direction les bonus où un entretien avec la réalisatrice et Flavien Berger nous racontent leur voyage à Lisbonne pour construire une “cartographie de souvenirs sonores”, et une version du film commentée avec Gabrielle Stemmer, Céline Devaux et la productrice Sylvie Pialat des films du Worso qui nous en apprend plus sur leur collaboration.

Agathe Arnaud

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