Transgression et sens de l’absurde au Court en dit long

Le 30ème festival Le Court en dit long dédié aux courts-métrages belges francophones s’est déroulé au début du mois.  Format Court vous propose d’en savoir plus sur deux courts primés : Balaclava de Youri Orekhoff (Grand Prix ex-aequo) et En fin de conte réalisé par Zoé Arène (prix du scénario).

Balaclava est une courte animation créée par un jeune cinéaste prometteur, étudiant à La Cambre à Bruxelles. Le récit porte sur deux jeunes femmes qui, en plein cambriolage, improvisent des discussions existentielles à la manière d’une soirée pyjama. Ce court-métrage s’inscrit parfaitement dans l’air du temps, reprenant les codes de la génération Z avec l’esthétique de la pop culture flashy et bling-bling, qu’on peut retrouver aujourd’hui dans les clips de rap.

Tina et Nadja, des cagoules sur le visage, discutent dans un salon. Nadja raconte une anecdote amusante à la manière d’une « Story-time », une tendance sur YouTube qui consiste à narrer une histoire de la manière la plus palpitante possible pour captiver l’audience. Alors qu’elles sont en plein cambriolage, le vol d’objet précieux et onéreux ne semble pas être leur priorité, et elles préfèrent redresser le cadre d’un tableau, profiter de la baignoire afin de se prélasser dans un bon bain, voler à foison de la nourriture dans le frigidaire, avant de se décider finalement à mettre le « bordel » à coups de peinture sur les murs, crachats par terre et bataille de nourriture. Lorsqu’une sirène de police retentit au loin, Nadja interpelle les policiers et, par provocation, tente en vain d’attirer leur attention.

Youri Orekhoff crée un univers très moderne en s’inspirant des codes d’internet et de la pop culture. Certains plans au format vertical ou carré renvoient au visionnage d’une vidéo sur téléphone. Les téléphones portables sont d’ailleurs omniprésents, que ce soit à travers la prise de selfie ou le bruitage du son des touches. Les deux protagonistes, très extravagantes dans leur apparence et leur manière de s’exprimer, rappellent certaines rappeuses, très à la mode aujourd’hui telle Cardi B. Elles s’en inspirent par leurs tenues et maquillages flashy, leurs longs cils et leurs faux ongles démesurés. Leur vocabulaire s’inscrit aussi dans  une culture internet, par l’usage de termes anglais et d’abréviations orales. La musique, signée Juicy, nous immerge également dans une esthétique pop-rap très dynamique.

Le court-métrage retient l’attention par son design tout à fait particulier et propre à son créateur. Seules les protagonistes sont colorées, alors que le décor est épuré, dessiné, comme en négatif, d’un trait blanc sur fond entièrement noir. Ce contraste renforce l’impression de vide autour des deux femmes, et leur sentiment d’isolement compensé néanmoins par leur forte complicité.

L’animation des gestes, saccadée, provoque un dynamisme et participe à l’énergie du court-métrage. Cette vitalité s’oppose au sentiment d’impuissance des deux protagonistes.  Ces deux dernières détruisent tout volontairement, puis affirment en admirant leur œuvre :« c’est beau ce bordel ». A travers l’acte cathartique de ses deux personnages, Youri Orekhoff illustre le désœuvrement que peuvent traverser les jeunes à l’aube de leur vingtaine. A travers son animation, il extériorise la frustration accumulée par la jeunesse d’aujourd’hui et nous plonge dans un monde très jeune et moderne en l’espace de quelques minutes.

On peut saluer aussi l’originalité du court-métrage En fin de conte réalisé par Zoé Arène qui a reçu le prix du scénario au Court en dit long. La réalisatrice dresse le portrait d’une femme marginale au sein d’une société désenchantée à travers un« mockumentary » (documentaire fictionnel). Malgré le registre totalement différent de Balaclava, on retrouve cependant chez la protagoniste de la fiction de En fin de conte cette même volonté de transgression et de quête d’attention que les deux jeunes femmes animées, ainsi qu’une touche comique et légèrement absurde.

Zoé Arène montre la manière dont une femme, Coco, créé un refuge mental pour échapper à la réalité. Malgré l’aspect réel de ce faux-documentaire, Zoé Arène nous transporte avec la protagoniste dans un imaginaire fantaisiste éloigné de la société.

Un étudiant en cinéma, Juan, a le projet de faire un documentaire sur une personne marginale, qui vit hors des codes de la société. Il ne pensait pas tomber sur une femme aussi excentrique que Coco, persuadée qu’elle est … une fée ! Juan suit donc dans la rue Coco qui tente de prouver au monde sa nature magique et l’existence de ses pouvoirs.

Le court-métrage de Zoé Arène résonne particulièrement aujourd’hui. On est touché par cette femme en quête de merveilleux et d’enchantement dans un monde qui semble tout sauf magique, en proie à la crise sanitaire et aux divers problèmes politiques et écologiques. On a envie de croire à ses pouvoirs et à ses capacités féériques. Derrière la folie apparente de la protagoniste, qui laisse exploser sa colère dans un bureau de Pôle Emploi, Zoé Arène souligne l’absurdité du système qui ne jure que par des documents administratifs et des justificatifs. Devant le Palais du Roi, les cris de détresse de Coco qui restent sans réponse, évoquent une société où les individus sont livrés à leur propre sort, ainsi qu’un certain égoïsme ambiant. La cruauté de la réalité finit par faire douter Coco de son existence, elle disparaît alors comme par magie de ce monde qui ne lui sied pas.

Filmée en caméra à l’épaule à travers le caméscope de Juan, cette fiction qui reprend les codes du documentaire permet une immersion totale dans le monde de Coco. On ne lâche pas d’une semelle cette femme excentrique qui ne faillit jamais à ses croyances. A travers une abondance de cut, le montage créé un dynamisme renforcé par l’intensité du jeu de l’actrice Aline Mahaux, qui porte son personnage avec une énergie extraordinaire.

Le personnage de Coco, symbole d’un espoir ou d’une folie causée par la réalité de la société, peut nous amener à nous demander qui est le plus humain. Zoé Arène offre le portrait extrêmement marquant d’une femme marginale, qui se révèle être finalement la plus sensible et peut-être la plus humaine dans cette société si froide.

Laure Dion

Articles associés : notre 2ème reportage sur Le Court en dit long et l’interview de Youri Orekhoff

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *