Les écritures documentaires aux César du court 2022

La 47e Cérémonie des César, qui se tient ce vendredi, le 25 février, voit le retour d’une récompense qui n’avait pas été décernée depuis 1991 : le César du meilleur court-métrage documentaire. Ce César a été remis, de 1977 à 1991, à des cinéastes comme Agnès Varda, Chris Marker, Marceline Loridan et Joris Ivens, Georges Rouquier ou encore Raymond Depardon, à deux reprises.

Cette année, quatre films sont nommés dans cette catégorie. Leurs durées sont extrêmement différentes, de 8 à 59 minutes. Ce sont cependant surtout leurs formes qui témoignent d’une remarquable variété. Peut-être est-ce dû à la jeunesse du prix, sans doute davantage aux caractéristiques propres du cinéma documentaire, aux frontières difficilement définissable. Quoiqu’il en soit, les quatre films nommés dans la catégorie du César du meilleur court-métrage documentaire entretiennent un rapport au réel qui leur est propre. Chacun d’eux témoigne d’une manière particulière de faire du cinéma documentaire.

America de Giacomo Abbruzzese est une enquête sur une histoire familiale : le réalisateur se penche sur la vie de son grand-père, qui a quitté sa femme et ses enfants en Italie au milieu des années 1950 pour vivre aux États-Unis. Il revient en particulier sur les circonstances mystérieuses de la mort de celui-ci. Des quatre films en compétition, America est le seul dans lequel le réalisateur, moteur de l’enquête comme du film, se met en scène. Celui-ci est présent dans la voix off mais apparaît également à l’occasion de plusieurs discussions en vidéoconférence. Le cinéaste utilise également des archives : des photographies et des vidéos appartenant à sa famille pour donner vie au disparu, et des archives plus générales (essentiellement des vues de New York) qui constituent en quelque sorte un contrepoint des premières et dressent le portrait d’une société et d’une époque. Avec America, Giacomo Abbruzzese écrit une page de l’histoire de l’immigration italienne aux États-Unis et des conditions de vie des italo-américains des années 1950 aux années 1970. Giacomo Abbruzzese a déjà réalisé des documentaires (Fame) et des fictions (Stella Maris, I santi), America est le premier film dans lequel il se met en scène et s’intéresse à une histoire personnelle. Il vient de terminer le tournage de son premier long-métrage de fiction, Disco Boy.

La Fin des rois de Rémi Brachet est le documentaire de la sélection le plus proche du cinéma direct. En filmant des infirmières donnant naissance à des enfants, des employés municipaux aidant les habitants de logements insalubres, des footballeuses à l’entraînement et en plein match, Rémi Brachet réalise la chronique d’un lieu, Clichy-sous-Bois. Au montage, toutes ces séquences s’alternent en parallèle d’un fil narratif plus présent, qui suit un atelier de théâtre dans un lycée. Les lycéens et lycéennes travaillent sur une pièce autour de l’assassinat du roi Chilpéric 1er dans la forêt de Bondy, au VIe siècle. Les lycéennes écrivent des rôles féminins forts et redonnent aux femmes la place que l’histoire ne leur a pas donnée. Le titre est une métaphore : à l’hôpital, dans les logements, sur le terrain, au théâtre, les femmes prennent le pouvoir, quand elles ne règnent pas déjà. À toutes ces séquences filmées en cinéma direct s’ajoutent l’ouverture et la fin du film, des séquences de fiction, elles aussi sont le résultat d’un travail d’atelier, réalisé lors de la résidence CLÉA de Rémi Brachet aux Ateliers Médicis à Clichy-sous-Bois/Montfermeil. La Fin des rois est le troisième film de son réalisateur et son premier documentaire. Il est également scénariste (diplômé de la Fémis en scénario), assistant réalisateur et technicien effets spéciaux.

Les Antilopes de Maxime Martinot est à la frontière entre le documentaire et le cinéma expérimental. Le film est un montage entièrement réalisé à partir d’images trouvées sur internet. Il commence avec des images d’antilopes filmées en plongée, la voix off est une lecture d’un texte de Marguerite Duras sur un suicide collectif, d’antilopes précisément. Les plans sont longs, les mouvements amples et délicats. Puis la musique grince et le dispositif est dévoilé : toutes les images du film sont des prises de vues de drones. Lorsque les antilopes sont filmées, ne sont-elles pas également traquées, chassées ? Les Antilopes part du poétique pour s’inscrire dans le politique : Maxime Martinot termine son film par un plaidoyer contre la prolifération des drones dans l’indifférence générale. À la fois film essai (comme le précédent film du cinéaste, Histoire de la révolution) et found footage réemployant des archives internet, Les Antilopes est une critique de la violence des images volées et une fascinante expérience cinématographique.

Maalbeek d’Ismaël Joffroy Chandoutis, qui avait remporté le Prix de la Presse à notre Festival Format Court, commence par une image abstraite qui prend peu à peu la forme d’un métro. Cette image, c’est celle que recherche Sabine, rescapée de l’attentat à la station de métro Maalbeek, à Bruxelles, le 22 mars 2016. Dans le film, Sabine témoigne de sa recherche d’une image manquante, de son impossibilité à reconstituer sa mémoire à partir des images de l’événement. Ce témoignage s’accompagne d’images virtuelles animées qui s’approchent de la représentation mentale, presque onirique, d’un événement passé. La forme originale de Maalbeek, confrontation d’un témoignage et d’images numériques, est proche de celle de Swatted, le précédent film d’Ismaël Joffroy Chandoutis, dont les images proviennent d’un jeu vidéo. Nommé l’année dernière pour le César du meilleur court-métrage d’animation avec Swatted, Ismaël Joffroy Chandoutis navigue entre les catégories avec un cinéma aux frontières poreuses. Il travaille actuellement sur son premier long-métrage, Deep Fake, autour des identités numériques.

Qu’il soit construit autour d’une voix off ou uniquement en son direct, qu’il souligne la présence du cinéaste à l’image et au son, ou au contraire que celui-ci s’efface derrière le cadrage et le montage, qu’il soit composé uniquement d’images d’archives ou de prises de vues inédites, chaque film de la compétition pour le César du meilleur court-métrage documentaire témoigne d’une écriture qui lui est propre et offre un remarquable florilège du paysage documentaire contemporain. Verdict demain soir lors de la remise des prix…

Paul Lhiabastres

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *