Lisa Krane : « Le cinéma peut s’exprimer de différentes façons et à différents niveaux et c’est ce qui me passionne »

« In uns das universum » est le premier court-métrage de Lisa Krane. Sélectionné au 36ème festival du film court de Villeurbanne, le film y a obtenu le Prix Format Court. Il a été projeté à notre séance anniversaire de janvier 2016, en présence de sa réalisatrice. Pour nous, Lisa Krane revient sur son film de fin d’études de l’Academy of Media arts de Cologne et la réalisation de ce premier court plein d’oppositions et de contrastes revendiqués. L’histoire ? Celle de Li, jeune danseuse, confrontée à la découverte d’un deuxième coeur dans sa poitrine.

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Qu’est-ce qui t’a amené au cinéma et à réaliser ton premier film ?

J’ai débuté mon parcours dans les arts plastiques, puis évolué vers le film expérimental pour enfin me découvrir récemment des affinités pour la fiction narrative. La capacité qu’a le cinéma à combiner les arts sous diverses formes m’a toujours fasciné. Il peut s’exprimer de différentes façons et à différents niveaux et c’est ce qui me passionne. En revanche un film doit être délicatement composé et il faut y porter beaucoup d’attention.

« In uns das universum », mon film de fin d’études, est tout en contraste, comme dans beaucoup d’autres films. Pour moi, c’est une question très importante car certains contrastes peuvent sembler incompatibles. Pour mon projet, j’ai travaillé autour de plusieurs oppositions : la technologie et la médecine face à la danse, la science face à l’art, le macrocosme face au microcosme, la musique analogique face à la musique électronique.

Certains artistes t’ont-ils influencé et t’influencent encore aujourd’hui dans ton travail ?

Je suis attirée par plusieurs formes artistiques : la littérature, le cinéma, les arts plastiques, la musique, la danse. Je pense que mon influence vient de plusieurs genres, le cinéma en premier. J’aime particulièrement les films de Steve McQueen, notamment « Hunger » et « Shame » dans sa façon de traiter de l’humain et de ses convictions sous plusieurs aspects, ses combats, ses idéaux et sa représentation. J’aime également beaucoup Jim Jarmusch et son film « Dead Man » qui utilise la musique et la poésie dans un univers assez innovant; la musique de Neil Young est parfaite ainsi que la photographie qui me rappelle celle d’Ansel Adams. Albert Camus, Aldous Huxley, George Orwell ou Susan Sontag m’influencent en littérature. J’aime aussi Björk dans son approche esthétique de la musique. La philosophie et la science font partie intégrante de ma réflexion également. À vrai dire, c’est plus un état d’esprit et des travaux d’artistes qui m’ont construite artistiquement.

In uns das universum

« In uns das universum » est un film d’école. Comment s’est passé la production ?

Produire mon film de fin d’études à été très compliqué, car j’ai dû écrire, réaliser et produire le film par moi-même. Mais ce fut une expérience très enrichissante et j’ai appris tout au long de la réalisation du film. C’était assez chaotique car nous avions un très, très petit budget mais j’ai toujours réussi à trouver des solutions inventives pour surmonter les problèmes. J’ai été très chanceuse d’avoir une super équipe autour de moi (30 personnes) qui a vraiment cru en ce projet, qui y a investi du temps et qui y a mis tout son cœur. Sans eux, cela n’aurait jamais pu être possible.

Ton film repose beaucoup sur le jeu d’acteurs-danseurs. Comment as-tu choisis tes comédiens ? Étaient-ils déjà danseurs en plus d’être acteurs ?

Le casting était principalement composé d’acteurs qui ont suivi des entraînements de danse pour le film. J’ai essayé de trouver une actrice (Lore Richter) qui pouvait exprimer la rudesse et la vulnérabilité en même temps car son personnage est fort mentalement mais aussi très sensible à ce qui se passe autour de lui.

Les cours de danse, au cours desquels les acteurs ont appris à travailler avec leur corps, ont duré deux semaines avec des professeurs de danse contemporaine.

J’ai voulu participer aux sessions de danse avec le directeur de la photographie. Nous les avons observées de manière à trouver la manière de traduire les scènes de danse à travers le langage corporel.

Ces scènes de danse, entre lutte et tendresse, peuvent-elles être vues comme des métaphores de ce qui arrive à Li, partagée entre son état de santé et sa passion pour la danse ?

La danse représente une journée de Li. Elle montre comment son corps réagit, comment ses émotions et ses fantasmes peuvent altérer sa situation. Elle montre une perspective plus personnelle comparée à celle plus impartiale de la médecine ou de la technologie. Elle sent son corps, elle travaille avec, elle l’écoute. D’un autre côté, les scanners, les ordinateurs la comparent elle, à une norme, une base.

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Qu’est-ce qui t’a emmené à écrire sur le thème de la maladie, de la médecine et des différents choix de vie. D’où est venue cette idée des deux cœurs ?

Tout a commencé par une question que je me suis posée lors d’une période assez compliqué de ma propre vie. Je me suis demandée quelle était la définition de la maladie et quel rôle la médecine contemporaine jouait dans nos vies. Qui connait le mieux mon corps : moi ou mon docteur ? Puis-je me fier à mes sentiments ? Y-a t-il certains modèles auxquels nous devons ressembler ? À quel point sommes-nous prévisibles, et quand vient la question de la santé, que pouvons nous contrôler ? Que se passe-t-il si la nature nous joue des tours, et que notre corps révèle un phénomène qui semble en dehors de toutes règles et dont personne ne possède d’explication ? Deviendrons-nous courageux ou complètement transis de peur ?

L’Univers et notre corps ont beaucoup de choses en commun, ils sont faits d’une même matière et pourtant, nous avons toujours une connaissance très infime de ce qui les constitue.

Pour ce film, je me suis intéressée aux deux différentes perspectives de notre corps. Je me suis efforcée dans un premier temps de les voir de la manière la plus objective possible autant sur le point de vue médical que scientifique, puis, d’une manière plus personnelle, d’un angle plus artistique. Quelques fois, ces deux aspects semblent incompatibles et nous devons faire des choix.

Si j’avais un deuxième cœur comme la protagoniste du film (ou une autre anomalie) et que l’on me disait qu’il n’y a aucune explication à mon cas, que ferais-je ? Qu’est-ce que la médecine me suggèrerait comme échappatoire ?

Le cœur est souvent vu comme un second cerveau d’un point de vue émotionnel. C’est une part que l’on ne lâche pas si facilement. C’est un organe pour lequel on continue à se battre…

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Le titre « In uns das Universum » se réfère directement à la maladie de Li mais aussi à sa place dans l’univers. Photographiquement, a t-il été compliqué de trouver un moyen d’exprimer la dimension « univers » en même temps que la dimension microbiologique de notre corps ?

Pour le coup non, cela n’a pas été difficile. Si on regarde les images macros et micros, elles sont étonnamment similaires. Toutes les images en micro perspective de nos cellules pourraient presque ressembler aux images de la NASA.

La musique est très présente pendant tout le film, peux-tu nous en parler ?

J’ai demandé au compositeur de ne pas regarder le film et de composer une musique qui mettrait en valeur ou expliquerait ce que le film raconte. Je voulais que la musique exprime “l’émotion pure”. Du coup, j’ai écrit et décrit l’atmosphère de certaines scènes pour le violoniste. Sans avoir vu le film, sans savoir de quoi il parlait, il a improvisé sur les seules bases de mes descriptions. Le violon a été enregistré dans une église (pour son acoustique spéciale), et ensuite nous avons récupéré ces enregistrements et les avons transformés en fonction des scènes. La musique que l’on entend au début est de plus en plus transformée au fur et à mesure que l’on avance dans le film.

Travailles-tu sur un nouveau projet ?

Je travaille sur un scénario de long-métrage dans lequel trois personnages évoluent dans une sous-culture musicale. Encore une fois, on y trouvera ces fameuses oppositions qui m’intéressent et qui mettent en valeur des individus en créant des tensions fascinantes.

Propos recueillis par Clément Beraud

Article associé : la critique du film

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