Leonardo Brzezicki : « Quel est l’intérêt de faire un film si on n’essaie pas d’offrir de nouvelles perspectives par rapport à ce qui a déjà été fait ? »

Lauréat du premier Prix Format Court à IndieLisboa et sélectionné au préalable à la dernière Berlinale, « The Mad Half Hour » est un court-métrage, noir, drôle, argentin, blanc, mélancolique et danois, réalisé par un ancien comédien, Leonardo Brzezicki, déjà auteur d’un long-métrage, « Noche », bien repéré sur la scène festivalière. En amont de la projection de son film que nous avons organisée en mai à Paris, nous avons rencontré Leonardo Brzezicki à Lisbonne pour un entretien autour du court, des non-professionnels, du cinéma français et des difficultés à se forger une filmographie en Argentine.

leo2

Format Court : Ton film, « The Mad Half Hour » se présente comme une co-production entre le Danemark et l’Argentine. Quel est l’apport de chaque pays et ton lien avec Gudmundur Arnar Gudmundsson (ndrl. réalisateur de « Whale Valley » et « Artùn ») sur ce projet ?

Leonardo Brzezicki : Avec Gudmundur, on s’est rencontré lors du festival CPH : DOX, à Copenhague. Il y existe un programme, le « CPH : LAB », qui consiste à inviter des réalisateurs du monde entier à Copenhague pour participer à une sorte de labo pendant huit jours. Gudmundur et moi avons été choisis pour faire un film ensemble. Malheureusement à cette époque, il était sur le montage de son dernier film et venait de rentrer à la Résidence de Cannes, il n’avait donc pas beaucoup de temps pour s’investir dans ce programme. Je ne voulais pas postposer le projet un an plus tard car je suis pris par l’écriture d’un long, nous avons décidé ensemble que j’écrirais et réaliserais le film quand même et qu’il ferait figure de producteur exécutif. C’est comme ça qu’est né « The Mad Half Hour ». En fait, l’argent et la production viennent du Danemark mais le film a été tourné en Argentine, c’est pourquoi c’est un film dano-argentin.

Parfois, sur des co-réalisations, il y a des conflits d’idées. Parfois ça marche, parfois pas. Mes différentes expériences de co-réalisation ont été différentes en fonction du réalisateur sur lequel je suis tombé. Avec Gudmundur, nous nous sommes très bien entendus. Nous avons échangé quelques idées au départ, puis tout s’est passé très vite, il n’avait plus le temps et j’ai fini le film tout seul.

L’univers des films de Gudmundur est très différent du tien. As-tu une idée de la raison pour laquelle vous êtes-vous retrouvés ensemble sur ce projet ?

L.B. : Je ne sais pas. C’est comme un couple, plein de mystères. C’est peut-être lié au fait que mon précédent long-métrage, « Noche », parlait de dépression et de suicide. C’est l’histoire d’un groupe de six amis qui se rendent chez un homme qui s’était auparavant tué chez lui. Cet homme était designer sonore et a laissé derrière lui tous les sons sur lesquels il travaillait. Les jeunes se mettent à écouter les enregistrements et entrent dans une étrange ambiance de deuil et de réalité subjective. Hormis cela, je ne vois vraiment aucun lien entre mon travail et celui de Gudmundur.

Peux-tu me parler de toi et de ce que tu as fait avant ce court-métrage ?

L.B. : J’ai étudié le théâtre dramatique et le cinéma en même temps. Quand je suis sorti de l’école de cinéma, j’ai plus trouvé des emplois d’acteurs. J’ai enchainé les rôles, aussi bien au théâtre qu’au cinéma, dans des longs comme dans des courts. Au bout d’un moment, j’en ai eu assez. J’ai joué dans un film américain dont je n’aimais pas du tout le scenario. Je réécrivais les pages du scénario tous les matins et je me suis dis que je ne voulais plus faire ça, que je voulais juste faire mes propres films.

Toutefois, en Argentine c’est très difficile de faire son premier film. La différence est très forte entre les réalisateurs qui ont de l’argent et ceux qui n’en ont pas. Moi, je fais partie de la deuxième catégorie. J’ai donc pris deux ans pour faire mon premier film tout en travaillant comme serveur pour économiser de l’argent. J’ai donc fait mon premier film, un long, comme ça, avec mon propre argent.

Il n’y a aucune aide de la part de l’État argentin ?

L.B. : Il n’y a pas d’aide au développement et puis, c’est difficile d’obtenir une aide quand tu n’es pas connu. En plus, le type de film que je voulais faire n’aurait pas tellement intéressé les fonds d’aide. C’était un film très personnel, basé sur ma propre expérience. Je voulais dresser le portrait d’un état émotionnel et le film ne suivait pas du tout un scénario classique. Celui-ci était plus libre, plus ouvert. Le film a gagné au LAB films de Rotterdam, ce qui nous a permis de le finir et de payer tout le monde.

Aujourd’hui, je travaille sur un scénario bien plus narratif et j’ai besoin de plus d’argent. La situation est de plus en plus difficile en Argentine pour les longs-métrages car il y a moins de moins en moins d’argent pour le cinéma. La majorité des films réalisés en Argentine ne sortent pas ou s’ils sortent, ils ne restent pas plus d’une semaine à l’affiche. Personne ne va au cinéma.

Pourquoi es-tu passé du long au court-métrage ? Est-ce que cela te paraissait plus simple ?

L.B. : En fait, avec l’argent de programme danois, j’aurais pu faire aussi bien un long qu’un court, mais depuis le début, on s’est mis d’accord avec Gudmundur qu’on ferait un court-métrage. Je souhaite faire mon propre long avec d’avantage d’argent et de temps.

Qu’as-tu voulu raconter dans ton film ?

L.B. : Je commence toujours par une image, après une chose en entraîne une autre. J’avais l’image de ce garçon qui voulait soudainement arrêter de jouer au tennis, je voulais aussi explorer les rôles que chacun joue dans une relation amoureuse sous différents angles, fantaisiste, fantastique, absurde et existentialiste.

Le film emprunte différentes directions. La première partie est absurde et très drôle tandis que la deuxième adopte un côté plus sombre.

L.B. : Oui, sombre et incertaine. Je voulais finir le film avec un sentiment d’incertitude. J’ai le sentiment que parfois dans les relations amoureuses, on oublie ce qu’on veut vraiment, ce que chacun désire et qu’on est seulement obnubilé par l’amour.

C’est marrant mais je pense qu’au fond, le film est très mélancolique. Je ne voulais pas explorer ces sentiments sérieusement mais en même temps, il y a toujours une certaine forme de mélancolie dans mon travail, même quand j’essaie d’être drôle.

Mon prochain projet parlera d’amour aussi, mais je vais traiter d’une relation plus complexe, celle de deux hommes ayant une fille. Il s’agira d’un long-métrage, ce sera donc différent. Ce que je souhaite le plus en faisant du cinéma, c’est de pouvoir offrir un nouveau point de vue sur un sujet. Quel est l’intérêt de faire un film si on n’essaie pas d’offrir de nouvelles perspectives par rapport à ce qui a déjà été fait ?

Sur « The Mad of the Hour », tu as travaillé avec des non-professionnels. Comment s’est passée la direction d’acteurs ?

L.B. : C’était génial ! J’ai choisi ces personnes parce qu’elles possédaient en elles les qualités que je cherchais, leur jeu était donc très naturel. Ma nièce, par exemple, joue dans mon film. Elle n’est pas actrice, elle n’avait jamais joué avant. Le casting est l’élément le plus important pour moi. Pour mes prochains projets, j’investirai d’ailleurs plus de d’ailleurs dans le casting.

201507824_1_IMG_FIX_700x700

L.B. : À quoi ressemble le scénario de ton film ? Est-il très écrit ou as-tu laissé une grande part à l’improvisation ?

C’était écrit, il n’y avait pas d’improvisation. Les scènes étaient écrites mais en rediscutant avec les acteurs, je les ai réécrites en fonction de leurs remarques.

Tes références de films sont-elles plutôt européennes ou américaines ? Où vois-tu les films ? Sortent-ils en Argentine ?

L.B. : Les films ne sortent pas mais je vais les voir à la Cinémathèque et je les télécharge. Je suis un grand fan des films français. Ceux-ci offrent vraiment des nouveaux regards, notamment sur les relations humaines. J’adore les dialogues et la manière dont les acteurs jouent. Ils jouent beaucoup sur les émotions mais en même temps, il est possible de percevoir l’artifice de leur jeu. Ce n’est pas la réalité, on sent un réalisateur derrière. Je pense que ce que j’aime aussi dans le cinéma français, c’est que généralement ce ne sont pas des films à gros budgets. Ils ne sont pas loin de mon univers et de moi-même.

Tu as produit « Noche » et « The Mad Half Hour », tu travailles fréquemment avec des amis. Comment perçois-tu l’étape supérieure, la professionnelle, associée au long-métrage ?

L.B. : Les gens avec qui je travaille sont des professionnels et je n’ai pas tellement envie de changer mon style de production. J’aimerais avoir plus d’argent pour développer et faire des films, mais je ne sais pas si je suis fait pour en avoir trop car ça pourrait changer le type de film que j’aime faire. De plus, je pense que vraiment profitable de travailler avec la même équipe car on se connaît de plus en plus et on arrive à un point où on n’a même plus besoin de se parler pour se comprendre.

Aujourd’hui, tu prépare un long-métrage, penses-tu revenir un jour au court-métrage ?

L.B. : Faire du cinéma, c’est super mais un court n’est pas plus facile qu’un long. Faire un film pour moi, c’est faire un film. C’est pareil.

Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Sukriti Syal. Traduction : Zoé Libault

Article associé : la critique du film

Consulter la fiche technique du film

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *