Pifuskin de Wei Keong Tan

Chaque année, Annecy présente un cinéma d’animation aux multiples visages. L’un des plus fascinants est sûrement le court-métrage non narratif se rapprochant alors du tableau animé, souvent très personnel. Le revers de la médaille est qu’il n’est pas toujours facile de se sentir concerné. « Pifuskin » de Wei Keong Tan, unique court-métrage issu de Singapour y parvient avec un thème simple autour de l’acceptation de son propre corps et une réponse entièrement visuelle à une question intime récurrente : « Est-ce ainsi que les autres me voient ? « .

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Le film fonctionne en deux temps. D’abord, il montre un personnage dessiné, nu et anonyme, qui pourrait autant être le réalisateur que le spectateur, autant être un enfant qu’un adulte. Le personnage se gratte et le bruit de ses grattements est, dès le début, insoutenable. Puis, progressivement, le film est contaminé par des éléments en photocopies animées et en pixillation (stop motion constitué de photos, à la manière de « Trespass » de Paul Menninger, Prix Format Court au Festival d’Angers 2014).

Apparaît alors sous le papier, un univers organique riche et inquiétant, composé de moments flous montrant des corps près de l’œil et des bruits tout proches du creux de l’oreille. Le spectateur est d’autant plus attentif à cet univers sonore que le film ne laisse entendre aucun dialogue au-delà d’une clameur extérieure. Soudain, du sang vient entacher le fond blanc du début et l’on comprend que le personnage songe à s’évader de son propre corps sans y parvenir.

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Cette cruauté du rapport au monde, Wei Keong Tan l’avait déjà mise en scène dans son premier film, « White » et dans son deuxième, « Hush Baby ». Il s’agissait à chaque fois de films très courts développant une seule idée jusqu’à son épuisement. Le réalisateur part souvent du corps de ses personnages et appelle, à travers eux, des concepts plus larges. Le bébé de « Hush baby » se retrouve par exemple, progressivement enfermé dans un espace de plus en plus petit, guidé par une main représentant l’autorité et un arrière-plan arc-en-ciel symbolisant le reste du monde. Ce n’est pas tant le dépouillement que le jeu de ces éléments visuels les uns avec les autres qui fait la force du film.

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Dans ces films comme dans « Pifuskin », on retrouve ce « réalisme sensitif » qui renforce la proximité avec les personnages et qui nous fait ressentir presque physiquement leurs questionnements et leur souffrance.

Au-delà de la présence du geste humain dans le dessin par la mise en avant du trait, une tendance très à la mode cette année à Annecy, « Pifuskin » tente donc un cinéma où la présence humaine se manifeste par le corps. Peu exploitée en cinéma d’animation, cette idée n’aurait sûrement pas été reniée par Norman McLaren, honoré cette année pour son centième anniversaire posthume et dont les films « Pas de deux » (1968) et « Narcisse » (1983), son dernier, montraient justement des corps de danseurs aux mouvements décrits en pixilation.

Georges Coste

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