Les Lézards de Vincent Mariette

Les lézards, animaux à sang froid, ont un corps dont la température varie en fonction de celle de leur environnement. Ne pouvant maitriser leur température interne, ces derniers se mettent souvent au soleil pour se réchauffer. En plaçant ses acteurs dans un hammam, Vincent Mariette réinvente en quelque sorte d’un même geste, le vivarium et le film animalier. Benoit Forgeard et Vincent Macaigne incarnent ces deux reptiles en chasse dans un film proche du buddy movie qui laisse une grande place au talent de dialoguiste de son auteur, déjà repéré dans ses deux courts précédents.

À première vue, deux corps nus, serviettes autour de la taille, que tout oppose. Un homme imberbe et chétif, un autre poilu et plus massif. Deux amis réunis dans l’espoir d’apercevoir une femme rencontrée sur le net à qui l’un deux a donné rendez-vous dans un hammam, tentative risquée pour déjouer les artifices vestimentaires et les illusions de la première impression.

Le principe d’un duo donc, dynamique déjà présent dans les deux courts précédents de Vincent Mariette, « Le meilleur ami de l’homme » (2010) et « Double Mixte » (2011) qui démontraient déjà un sens aigu du casting : Noémie Lvovsky et Jules-Edouard Moustic pour le premier, Gilles Cohen et Alexandre Steiger pour le second.

Ici, Mariette met en scène deux réalisateurs/acteurs : Benoit Forgeard, membre du Jury Labo cette année à Clermont et auteur de nombreux courts délicieusement décalés pour Ecce Films (« La course nue », « Coloscopia »…), et Vincent Macaigne, omniprésent ces dernières années dans le paysage du court métrage français. Leur duo, inattendu, est la grande réussite du film. Même si Macaigne reprend la posture du garçon sensible manquant de confiance en lui déjà vue chez d’autres (« Un monde sans femmes », « La règle de trois »), on doit bien reconnaître qu’il y excelle. Forgeard, pour la première fois dirigé par un autre cinéaste que lui-même, garde le côté pince-sans-rire qu’on lui connaît et ne démérite pas face à l’expérience de son partenaire. Vincent Mariette fait également appel à Estéban (vu récemment dans « La Vie parisienne ») acteur -et surtout chanteur -à la voix improbable qui fait son apparition au milieu du film et par là-même accentue encore un peu plus le côté étrange de ce huis-clos embué et moite.

Vincent Mariette opte pour le noir et blanc qui adoucit les corps nus que la couleur aurait rendu certainement plus triviaux. Le choix de plans souvent fixes et l’attention portée aux positions des corps ramène le film vers une mise en scène et un vocabulaire pictural. Y sont convoqués bien sûr le fantôme d’Ingres et de son célèbre Bain Turc peuplé de femmes. Ces dernières justement, au nombre de trois -à parité avec les hommes, sont l’incarnation du désir, n’hésitant pas à en jouer quitte à se jouer de leurs prétendants. Au milieu de cette tension érotique, un lézard erre seul transformant ce hammam en vivarium occupé par des créatures au sang chaud.

Amaury Augé

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