Benjamin Parent : « J’ai mis en place l’idée d’un mec un peu dur à cuire, qui tout à coup est ému par une histoire d’amour entre deux hommes »

Sélectionné au Festival du court-métrage de Clermont-Ferrand en compétition nationale, « Ce n’est pas un film de cow-boys » poursuit sa belle carrière. Ce huis clos, mettant en scène deux paires d’adolescents parlant du film « Brokeback Mountain », évoque la façon dont ces jeunes communiquent entre eux sur le thème de l’homosexualité. Benjamin Parent revient sur la réalisation de son film, de l’écriture au tournage.

© Chloé Vollmer-Lo

© Chloé Vollmer-Lo

D’où est venue l’idée du film ?

Il y a environ sept ans avec Joris Morio, mon co-scénariste, on voulait développer un programme court qui se passait dans les toilettes d’un collège. Chaque épisode parlait de conversations d’ados. On a écrit quelques épisodes dont un autour de « Brokeback Mountain ». À l’époque, on s’était centré sur deux garçons. Cet épisode plaisait bien, on a commencé à le développer. Finalement, on a rajouté des filles, envisagé un montage parallèle, avec l’idée de montrer comment les garçons et les filles de cet âge-là traitent un même sujet. Et puis, finalement, ce projet est resté au fond d’un tiroir pendant des années.

Quand je me suis remis à la mise en scène, j’ai montré les scripts des épisodes à mon producteur et il m’a dit : « C’est celui-là qui doit être ton premier court métrage ». Je l’ai ré-écrit pour en faire quelque chose de plus personnel, au-delà du sketch. Par exemple, dans la première version, les garçons étaient copains, ils discutaient tranquillement et j’ai commencé à changer ça. J’ai mis en place l’idée d’un mec un peu dur à cuire qui tout à coup est ému par une histoire d’amour entre deux hommes. Ça le bouleverse mais il ne peut pas en parler à ses amis. Donc, il va en parler au premier de la classe parce qu’il sait que le type peut éventuellement l’aider et surtout qu’il ne va pas parler dans son dos, sinon il se fera casser la gueule.

L’idée est venue de là. C’est devenu un film personnel qui parle en fait beaucoup de ma famille, de mon père, de mon frère, de ma mère. Je suis en train de me rendre compte que tous mes projets en tant que réalisateur parlent de ma famille de manière plus ou moins détournée. C’est mon truc.

Comment as-tu trouvé un producteur prêt à te suivre sur ce projet ?

Je travaillais en agence de publicité comme concepteur. J’avais écrit des films pour Ikea et j’ai eu un bon contact avec un des producteurs des Télécréateurs, Arno Moria. Deux ans plus tard, il m’a présenté David Frenkel, producteur chez Synecdoque, je lui ai pitché des idées qu’il a aimé.

Et puis, Canal+ a organisé la collection « Écrire pour Nathalie Baye ». Avec le réalisateur Didier Barcelo, on a décidé d’écrire ensemble sur ce thème. Il regardait plein de films avec la comédienne, et un matin il m’a dit : « J’ai rêvé cette nuit qu’elle n’était plus dans ses films ». J’ai rebondi sur cette idée en envisageant qu’il y avait quelqu’un d’autre à sa place. De là, on a écrit un script en trois jours, on l’a envoyé à la collection, ils l’ont adoré mais Nathalie Baye, elle, n’a pas aimé… . Entre-temps mon producteur, qui avait lu le scénario, l’a récupéré. On a fait le film « The End », c’est Charlotte Rampling qui a joué le personnage principal et le film a été sélectionné à Berlin il y a un an.

À partir de là, j’ai repris le projet de « Cow-boys » et je l’ai retravaillé. Ça m’a permis de ré-injecter encore plus de choses personnelles et cinématographiques. Après ça, le CNC et Canal+ ont suivi. On ne peut pas vraiment dire qu’on a eu du mal pour le financement. La seule chose qui a été longue, ça a été le casting, il a duré cinq mois. En même temps les acteurs sont au cœur du film.

Peux-tu nous raconter le déroulement de ce casting ?

Cinq directrices de casting ont travaillé successivement sur le projet. On ne trouvait pas les comédiens et, au début, je m’emballais parfois trop, j’avais un désir de tourner qui était un peu trop fort. Et puis, on a trouvé Malivaï Yakou (Moussa). Son frère jumeau est comédien. Au début c’est lui qu’on voulait voir mais c’est Malivaï qui est venu. Quand sa famille a su qu’on était intéressé mais qu’on voulait quand même voir son frère, celui-ci a refusé en disant qu’il ne voulait pas passer une audition qui pourrait priver son frère de ce rôle.

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Ensuite, on a trouvé Garance Marillier (Nadia). C’est la directrice de casting Judith Chalier qui nous a montré ses essais pour le film « Junior ». Garance a cette colère en elle qui collait avec le rôle. Et pour Leïla Choukri (Vanessa), ça a été du casting sauvage.

Il ne nous restait plus que le dernier rôle, celui de Vincent. On avait trouvé un gars qui n’était pas mal, un peu plus petit, le visage très fermé qui proposait une autre couleur. On lui doit d’ailleurs des répliques qui sont restées après le casting. Mais un samedi, la dernière casteuse m’a dit : « Viens, j’ai deux gars ». J’ai vu le premier, vraiment bien : grand, long, qui pouvait sembler gay alors qu’il ne l’est pas, avec une ambiguïté que je trouvais intéressante. Mais juste après, Finnegan Oldfield – qui a reçu entre temps le prix ADAMI d’interprétation pour son rôle dans le film, au Festival de Clermont – est entré dans la pièce. Physiquement déjà, c’est comme ça que je voyais le personnage : hyper sec, avec un look très anglais. Il a parlé 15 secondes : c’était lui. Finnegan a appris à jouer la comédie à 14 ans, il a un jeu super instinctif. C’est un petit punk qui est adorable. Il a énormément de cœur. II a beaucoup de générosité, il est très pro, il écoute sur le tournage. Quand il parle d’une scène, on la voit dans ses yeux. L’anecdote qui est super avec lui, c’est que je lui disais de regarder le film « Brokeback Moutain » avant de tourner, et qu’il ne le regardait pas. Finalement, il l’a regardé la veille du tournage. Quand il parle du film dans « Cow-boys », il l’a vraiment vu la veille !

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Pourquoi avoir choisi de tourner dans un espace confiné comme les toilettes ? Comment as-tu trouvé le décor du film ?

On a fait un casting de toilettes et on a trouvé le décor dans le lycée Marie Curie de Sceaux qui date de la Seconde Guerre mondiale. Les toilettes étaient immenses. En fait, celles des filles et des garçons du film sont dans le même espace réel, il n’y a pas de mur entre les deux. On a construit un mur pour les séparer et une sortie pour que la caméra puisse passer « entre les murs ». On a aussi créé des portes battantes.

Le choix du décor est dû au fait qu’au collège je me souviens que quand j’allais aux toilettes avec des copains, on y restait et on discutait. Les gens aux toilettes passent, repartent mais c’est aussi là qu’on s’isole. Je voulais montrer les toilettes à la fois comme un confessionnal mais aussi comme un saloon. Dans le film, il y a beaucoup de détails de western que les gens ne captent pas forcément. Même si on ne les voit pas, on les sent, par exemple dans la bande son : on entend des trains, des corbeaux, du vent, des trucs qui roulent. Les vêtements sont aussi référencés avec des codes de western : quand Vincent marche, on entend des éperons qui sont symboliquement les étoiles blanches de ses converses.

Les toilettes devaient être un endroit très intime, un sanctuaire en opposition à la cour très bruyante, chaotique et devait justifier la raison pour laquelle ils étaient là : le lieu est silencieux, les gens peuvent se parler. Cet endroit préserve de la violence de la cour du collège, mais c’est aussi un endroit qui porte les stigmates de tout ce qui a trait à l’homophobie ou au sexisme. Énormément d’insultes de ce genre sont écrites sur les murs, je voulais qu’à l’image, les personnages soient entourés de tags agressifs à connotation sexuelle.

Dans le film, avec le montage en parallèle, on voit les garçons et les filles qui parlent du même sujet, le film « Brokeback Mountain », mais parlent-ils vraiment de la même chose ?

Chez les garçons, Vincent est sur le film et pas sur sa portée, il n’est pas sur l’après. Chez les filles, le film est juste le point de départ pour discuter de l’homosexualité du père. L’idée, c’est aussi de montrer que garçons et filles ne savent même pas qu’ils peuvent parler ensemble, qu’ils peuvent échanger. Dans la construction de la masculinité chez les garçons, on parle de filles, et quand on veut devenir un homme j’ai l’impression qu’à cet âge-là, il ne faut peut être pas trop traîner avec des filles, il faut être un dur.

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Tu as fait une fac de cinéma plus théorique que technique. Comment as-tu abordé le rôle de réalisateur ?

Je me suis toujours un peu sous-estimé dans la mise en scène. Je pense notamment que c’est parce que je ne savais pas quoi raconter, et que je ne savais donc pas comment filmer. J’ai fait un court métrage amateur quand j’avais vingt-trois ans, je ne savais pas ce que je filmais, je n’apportais aucun sens aux images. Il y a l’histoire et il y a ce que l’on raconte. Pour moi, la façon dont on raconte les choses est la plus importante.

Un de mes producteurs en habillage, Eric Nung, qui a été l’un des premiers à lire le script, m’a dit qu’il fallait que je le réalise, que je saurais le faire. Je pense que j’avais vu et emmagasiné plein de films et puis il y a eu un déclic, tout a pris du sens. Apparemment, j’ai trouvé mon propre style, mais je suis, comme beaucoup de réalisateurs, pétri de doutes. Mon producteur reçoit toutes mes angoisses.

Où en sont tes projets ?

J’ai plusieurs projets, notamment un court-métrage d’animation qui sera une fable sur la filiation et puis il y a mon premier long-métrage. Ça fait pas mal de temps que je suis sur l’écriture de celui-ci avec ma co-scénariste. C’est un film qui est difficile à écrire. Je vais bientôt attaquer la continuité dialoguée. J’ai envie de tourner l’année prochaine. Le sujet traite de la masculinité et de la façon dont on devient un homme.

Fanny Barrot

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